Mondiaux de nage en eau glacée : « Notre corps n’a normalement rien à faire là »… Comment faire face à une eau à 4°C ?
Hors-terrain Un lac de Samoëns (Haute-Savoie) accueille de jeudi à dimanche la 5e édition des championnats du monde de nage en eau glacée. Cette discipline extrême, dans une eau à moins de 4°C et sans combinaison, rêve des JO d’hiver
- Un jeudi sur deux, dans sa rubrique « Hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
- Cette semaine, nous nous consacrons aux championnats du monde de nage en eau glacée, qui se déroulent de jeudi à dimanche à Samoëns (Haute-Savoie).
- Un bassin a été conçu au cœur du lac aux Dames (à 700 m d’altitude), et affiche une température inférieure à 4°C, ce jeudi, pour accueillir 511 nageurs venus du monde entier, et sans combinaison.
Depuis ce jeudi matin, 511 nageurs disputent à Samoëns (Haute-Savoie) des championnats du monde, en pratique classiques, avec dix lignes d’eau à disposition dans un bassin. A ceci près qu’ils ne basculent en maillot de bain qu’au tout dernier moment, avant d’entrer dans l’eau en cinq secondes, pour entamer leur course trois secondes plus tard. Et pour cause, ce bassin de 25 m conçu spécialement au cœur du lac aux Dames (à 700 m d’altitude) affiche une température… inférieure à 4°C !
Pour que ce Mondial de nage en eau glacée soit validé, il faut en effet que l’eau soit à moins de 4,6°C, ce qui sera donc le cas jusqu’à dimanche (elle est à 3,7 °C ce jeudi) pour les épreuves de 50, 100, 250 et 500 m, ainsi que « la course reine d’1 km. Une quarantaine de nations sont représentées pour ces premiers championnats du monde disputés en France, avec 22 Américains, des Australiens, Mongols, Ukrainiens, Néo-Zélandais ou une Chilienne. Tous s’apprêtent évidemment à concourir sans combinaison, comme s’il s’agissait d’un bassin municipal chauffé à 27 °C.
« La douleur se transforme en bien-être »
Qui sont exactement tous ces « givrés » se consacrant avec passion à l’ice swimming ? Hassan Baraka vient spécialement du Maroc pour participer à cette 5e édition des Mondiaux de l’histoire. A 35 ans, il a déjà connu plusieurs vies dans le sport de haut niveau, entre des tests comme footballeur au Real Madrid à 12 ans, puis une carrière de rugbyman entre D1 espagnole et Fédérale 2 française, jusqu’à une grave blessure à l’épaule en novembre 2009. Suivent des Ironman, d’impressionnantes traversées à la nage afin de rallier cinq continents de 2013 à 2014, puis sept marathons réalisés en sept jours consécutifs sur sept continents en 2016, soit 295 km au total en 168 heures, une première pour un athlète marocain.
« Je cherche depuis toujours à repousser mes limites, indique ce coach en entreprise originaire de Tétouan. A partir de 2017, je suis vite devenu accro à l’ice swimming, à cette sensation de froid. En fait, la douleur se transforme en bien-être, et ça me permet de me sentir vraiment vivant. » En mai dernier, cet habitué des longues distances s’est même lancé dans une expédition au pôle Nord, durant laquelle il en a profité pour nager le 500 m en 9 minutes, dans une eau à -1°C. Il s’est au passage un peu brûlé la main en la passant dans la foulée… sous de l’eau à 10°C.
« J'ai eu chaud en marchant à -8°C dans la neige »
Fréquemment finaliste des championnats de France en natation « classique » (en 50 et 100 m nage libre), Ludivine Blanc (27 ans) est elle aussi de la partie en Haute-Savoie. Après avoir goûté au sauvetage sportif en bassin, avec six médailles à la clé aux championnats de France et un record du monde de relais avec mannequin, cette préparatrice mentale et physique a été attirée par la perspective de ces premiers Mondiaux de nage en eau glacée en France. Même un traumatisme crânien après un accident à vélo en novembre ne l’a pas dissuadée de vivre son baptême de glace à Megève en décembre, lors des championnats de France.
Et pour ses premières courses ever, elle s’est offert deux records du monde, en 50 m nage libre et en 50 m dos, tout en constatant que ses temps sont environ 20 % moins rapides que ceux qu’elle réalise sur la même distance dans un bassin chaud. Un signe évident de la difficulté de l'entreprise pour la Montpelliéraine, qui s’était surtout préparée avec des séances de cryothérapie et de bain froid chez son kiné, elle qui n’avait jamais nagé dans une eau inférieure à 9°C.
On n’a que 3 secondes avant de partir et heureusement, car ça m’a évité de cogiter. Au bout de 10 m, j’ai senti que tous mes organes se refroidissaient d’un coup, et j’avais la sensation de subir des coups de couteau un peu partout. Puis ma bouche s’est crispée après 35 m, et j’avalais de l’eau malgré moi. En fait, on a souvent envie de sortir du bassin en voyant les échelles près de nous mais on tient à rester car on se sent bien. A l’arrivée, je vérifiais si je remontais bien l’échelle en regardant mes pieds et mes mains, car je ne les sentais plus du tout. Et je me souviens avoir eu chaud en marchant à -8°C dans la neige, ça m’a marquée. Certains nageurs ne parviennent pas à entrer dans l’eau, d’autres sont obligés de sortir à mi-parcours. On sent immédiatement à quel point c’est un sport extrême et dangereux, et que notre corps n’a normalement rien à faire là. »
Sport en démonstration aux JO d'hiver 2026 ?
Alors, tentés ? Ludivine Blanc est tout de même allée au-delà de ses plans en bouclant ensuite un 100 m à Megève. Mais quel plaisir est-elle allée chercher dans cette improbable discipline ? « Mon objectif était de prendre part à un truc hors du commun, de me dépasser et de partager ça avec les autres participants », énumère-t-elle. Car ici, il n’est clairement pas question de rivalité, d’obsession du chrono et de sport 100 % individuel comme Ludivine Blanc le vit chaque année aux championnats de France de natation. La solidarité entre nageurs, face à cette épreuve hors normes, est un atout majeur de cette discipline lancée par le Sud-Africain Ram Barkai, fondateur de l’International ice swimming association (IISA) en 2009.
En France, ce sport encore inconnu du grand public est rattaché depuis 2019 à la Fédération française de natation. Il pourrait arriver à toute vitesse sur nos écrans, à en croire Catherine Plewinski, quintuple championne d’Europe de natation de 1989 à 1993 et organisatrice de ce Mondial : « Il y a un engouement réel pour cette discipline et l’IISA se démène pour que la nage en eau glacée fasse partie des sports en démonstration dès les JO d’hiver 2026 à Milan et Cortina d’Ampezzo ».
« Beaucoup plus dur qu’un Ironman »
Il faudra alors être en mesure d'assurer que l’ice swimming ne présente aucun risque pour la santé. Médectin généraliste à Rouen et pionnier français de nage en eau glacée depuis un 1.000 m dans un lac russe en 2015, Alexandre Fuzeau (56 ans) est bien placé pour se prononcer sur le sujet. « Dans la glace liquide, on peut se retrouver en hypothermie en seulement cinq minutes, évoque-t-il. L’impact physique est tel que la discipline ne s’improvise pas. J’ai vu des triathlètes de haut niveau ne pas boucler leur 1.000 m dans l’eau glacée. Il faut savoir que c’est beaucoup plus dur à réaliser qu’un Ironman. » C’est pourquoi Alexandre Fuzeau conseille de s’entraîner en nageant trois fois par semaine, pendant une dizaine de minutes, dans une eau à 10°C, « avant de descendre progressivement ».
Dans leur quête du spot idéal, certains athlètes, comme le Lyonnais David Briand, se baignent durant toute l’année dans des rivières, en nageant à contre-courant. Si en 2015, « on y allait au forcing » (dixit Alexandre Fuzeau), les précautions ont clairement évolué depuis huit ans. « Ce sport ne pourra pas durer s’il y a de la casse, résume celui qui a vite hérité du surnom d' "Ice Doc". Des critères précis ont été fixés pour sortir un nageur de l’eau dès qu’on sent qu’il n’avance plus bien droit ou qu’il perd beaucoup de vitesse. Il faut absolument boucler en 22 minutes maximum un 1.000 m, qui est notre distance de marathon à nous. »
Le corps descend à 34°C
Chaque athlète se présente en compétition avec « un chaperon », qui le connaît bien et qui le suit de près avant, pendant et après les épreuves. De plus, quatre secouristes, deux urgentistes, un médecin fédéral et deux infirmières sont présents durant quatre jours à Samoëns pour assurer une haute surveillance de ce Mondial. Cinq médecins étaient également là mercredi pour s’assurer que chaque participant présentait bien un électrocardiogramme (ECG) sans contre-indication de moins de trois mois, avant d’effectuer un dernier check-up de veille de courses, avec prise de tension et de température.
« Aux derniers championnats de France, des nageurs étaient tellement stressés qu’ils avaient 20 de tension avant d’entrer dans l’eau, raconte Catherine Plewinski. Ils ont dû attendre une baisse de tension avant de pouvoir participer. Tout le monde est bien conscient des risques encourus. » Finalement, les principaux risques apparaissent après la course, lorsque le corps, le plus souvent descendu à 34°C, doit se réchauffer d’urgence.
« Il y a un côté mystique en hypothermie »
« Il y a un phénomène d’afterdrop : on croit qu’on est vite mieux, même si on reste groggy, puis la température va rechuter, confie Alexandre Fuzeau. En fait, la chaleur se focalise sur le cerveau et le cœur, et les extrémités des pieds et des mains perdent leur sensibilité. Généralement, il peut y avoir des séquelles de sensibilité à ces endroits pendant plusieurs mois. » En réalisant son deuxième ice mile (1,609 km en 33 minutes), la distance ultime autorisée par l’IISA (même si elle n’est pas proposée en compétition), en février 2022 en Pologne, Hassan Baraka s’est fait une sacrée frayeur.
Mon corps a beau être habitué à l’immersion dans l’eau glacée, là le médecin présent m’a vu revenir de loin. Une fois passé les 1.200 m, j’ai subi une chute de température brutale et critique, qui a conduit mon corps à 32°C. J’étais en train de m’endormir. Quand on est en hypothermie, on ne se sent pas partir, il y a un côté mystique. »
C’est pourquoi les participants de ces Mondiaux vont foncer cette semaine dans les trois saunas, quatre spas et deux dômes chauffés installés à moins de 50 mètres de ce bassin si particulier de Samoëns, et ce dès la fin de leur épreuve. Après son « défi extrême », Hassan Baraka indique n’avoir récupéré toutes les sensations de trois de ses doigts que deux mois après cet ice mile dans une eau à 3°C. Tout en ayant redouté bien pire ce jour-là. « Même si j’ai très longtemps été casse-cou, j’ai désormais un enfant de 5 ans, donc je vais adapter mes distances et renoncer au ice mile », poursuit le trentenaire marocain. Assagi Hassan, mais rassurez-vous, il prendra tout de même part à sept épreuves en quatre jours à Samoëns, de 50 m à 1 km.