Ligue des champions : Derrière la jolie vitrine de Manchester City se cache un univers impitoyable

Football En lice pour un triplé, l’équipe anglaise part largement favorite de la finale de C1 contre l’Inter Milan, ce samedi soir à Istanbul

Nicolas Stival avec Adrien Max
Pep Guardiola, l'entraîneur star de Manchester City depuis 2016.
Pep Guardiola, l'entraîneur star de Manchester City depuis 2016. — Paul Ellis / AFP
  • Manchester City visera sa première victoire en Ligue des champions ce samedi soir lors de la finale contre l’Inter Milan, à Istanbul. Le coup d’envoi est prévu à 21 heures. Le match sera diffusé sur TF1 et Canal+.
  • Déjà vainqueurs du championnat et de la Coupe d’Angleterre, les hommes de Pep Guardiola partent largement favoris.
  • Derrière un jeu séduisant et une stratégie de développement intelligente, le club dirigé par un fonds émirati est la tête de pont du City Football Group, qui incarne un sport mondialisé et clairement inégalitaire.

Manchester City a encore battu le Real Madrid. Déjà bourreau sans pitié du tenant du titre en demi-finale de la Ligue des champions (1-1, 4-0), le meilleur club d’Angleterre l’a dépassé pour la première fois en termes de valeur commerciale (4,073 milliards d’euros, contre 4.006 milliards) en 2023. C’est ce que révèle une étude révélée jeudi par Football Benchmark, plateforme spécialisée dans l’économie du sport le plus populaire de la planète.

En lice pour un formidable triplé Premier League – Cup – C1, les Cityzens marchent sur l’eau avant la finale européenne de ce samedi à Istanbul, contre l’Inter Milan. Deux ans après avoir échoué contre Chelsea (0-1), les joueurs de Pep Guardiola partent largement favoris pour (enfin) assouvir la quête ultime du club racheté en 2008 par l’Abou Dhabi United Group (ADUG), société dirigée par Mansour ben Zayed al Nahyan (aka Cheikh Mansour), demi-frère de l’actuel président des Emirats arabes unis.


Les forces en présence, ce samedi à Istanbul.
Les forces en présence, ce samedi à Istanbul. - Sofascore / 20 Minutes

Les Skyblues venaient alors de terminer 9es de Premier League, 32 points derrière l’encombrant et prestigieux voisin United, roi d’Angleterre et d’Europe, puisque vainqueur de la Ligue des champions la même année. Leur palmarès, bloqué dans les années 1970, sentait fort la naphtaline.

« Comme le Paris Saint-Germain à l’époque, c’était un outsider, que l’on ne prenait pas forcément au sérieux, observe l’historien du football Paul Dietschy. Abou Dhabi a montré une patience que n’a pas eue le Qatar avec le PSG [depuis 2011]. Les dirigeants ont mené une politique à moyen et long terme, qui porte aujourd’hui ses fruits. »

La star, c’est Guardiola

Sept titres de champions et trois Cups plus tard, City n’est plus l’équipe des frères Gallagher, ses plus célèbres fans, mais, depuis 2016 celle du charismatique Guardiola. « La vedette du club, c’est l’entraîneur, reprend le directeur de la revue semestrielle Football(s). Il s’appuie sur de très bons joueurs, comme Kevin De Bruyne ou Bernardo Silva, qui ne sont pas tout à fait des stars internationales comme peuvent l’être Benzema et Mbappé. Mais c’est une équipe composée d’éléments excellents et complémentaires, qui composent un effectif homogène, avec un style de jeu difficile à contrer. »

Remarquablement stable, autre gage de réussite, le puzzle a été intelligemment complété l’été dernier grâce à l’arrivée d’Erling Haaland, l’Attila des surfaces de réparation, en provenance de Dortmund. Si on voulait être mesquin, on pourrait presque parler d’anti-PSG, aspirateur à vedettes mondiales sur le déclin ou peu motivées et consommateur frénétique d’entraîneurs.




« Je ne comprends pas trop la différence de traitement entre les deux clubs », coupe Vincent Chaudel, qui rappelle que, jusqu’à ce samedi soir en tout cas, City échoue en C1 depuis encore plus longtemps que Paris. « Il y a un côté charmeur de serpents, développe l’économiste fondateur de l’Observatoire du sport business. L’habillage est beau, le travail très bien fait, le jeu agréable, le stade chante. Mais ça va faire 15 ans qu’ils courent après la Ligue des champions. »

Et puis, derrière la jolie vitrine, l’arrière-boutique révèle une vision du foot beaucoup moins romantique. Manchester City constitue la figure de proue du City Football Group, une galaxie de 13 clubs disséminés sur tous les continents, de Troyes à Melbourne en passant par New York et Mumbai (Inde). Il ne manque plus que le rachat de l’En Avant Terre-Adélie (Antarctique) pour que la globalisation soit achevée.

Division entre « ligues secondaires » et « grandes ligues »

« C’est un groupe qui représente la financiarisation du foot mondial et la domination de quelques championnats sur d’autres, estime Paul Dietschy. Il y a une division internationale du travail : les ligues secondaires s’occupent de la formation et expédient ensuite les joueurs dans les grandes ligues. C’est un système pour essayer des joueurs, des entraîneurs… En fait, le fonctionnement est le même que dans un centre de formation, où sur 100 joueurs au départ, il n’y aura que trois ou quatre pros. »

Au rayon techniciens par exemple, Patrick Kisnorbo, champion d’Australie en 2021 avec Melbourne, a été envoyé à Troyes pour voir ce qu’il pouvait donner dans une compétition plus relevée. Le bilan est désastreux : 15 défaites, sept nuls et une petite victoire. 13e de Ligue 1 en novembre, après l’éviction de Bruno Irles, l’Estac a fini 19e et reléguée… Cette saison en enfer a raturé la plutôt bonne impression laissée jusque-là par City Group depuis le rachat du club alors en Ligue 2, en septembre 2020.

L’exemple troyen

« Au début, c’était une réussite, on est monté en Ligue 1 [en 2021], les dirigeants ont mis des moyens, avec des sommes jamais vues avant, rembobine Richard, 26 ans dont 13 comme abonné au stade de l’Aube. On voyait ça comme une bonne chose, malgré la peur de perdre notre identité, et de devenir un club satellite sans intérêt. L’année dernière s’était aussi bien passée. »

Et puis patatras, malgré les signatures en prêt du milieu offensif portugais Rony Lopes (FC Séville) ou celle du tout jeune Français Wilson Odobert (17 ans), en fin de contrat aspirant avec le PSG. « Des joueurs d’un peu partout dans le monde sont arrivés, sans aucune attache avec le club, regrette le fan troyen. On a eu l’impression qu’ils s’en foutaient complètement, qu’ils étaient juste là pour honorer leur contrat, sans penser à l’avenir du club ou aux supporteurs. »



« Quand le City Group prend Troyes, il n’avait même pas calculé que le club puisse monter en Ligue 1, appuie Vincent Chaudel. Il lui sert à capter de jeunes joueurs français, à leur donner du temps de jeu. » Sachant que seule une infime minorité de ces gamins alignés à Troyes, Gérone, Lommel ou autres filiales aura la chance de fouler un jour la pelouse de l’Etihad Stadium de Manchester.

Dépité, Richard va plus loin que l’économiste : « City Group avait dit qu’il n’était pas prévu dans leur plan d’être promu en L1, donc on les soupçonne d’avoir voulu redescendre pour pouvoir faire jouer des jeunes. C’est un immense sentiment de gâchis. » En avril, dans les colonnes de l’Est Eclair, Erick Mombaerts ne semblait pas se formaliser outre mesure d’une relégation déjà inéluctable. « Le "City game" se met en place quand c’est le moment, quand tous les éléments sont réunis, lâchait l’ancien entraîneur, désormais représentant du City Group dans l’Aube. Ce n’était pas le moment ».

Au-delà du simple cas troyen, la multipropriété dessine « le vrai danger du foot » pour Vincent Chaudel.

« Ce qui risque de déstabiliser le marché de ce sport, c’est le modèle de City, assure l’économiste. Des clubs qui achètent beaucoup de stars, il y en a toujours eu. Mais à partir du moment où vous pouvez jouer sur plusieurs tableaux… On l’a vu avec Red Bull, qui avait Salzbourg et Leipzig dans la même compétition [la Ligue des champions en 2017-2018]. »

Si l’UEFA interdit que deux clubs dépendant du même actionnaire évoluent ensemble en Coupe d’Europe, il y a toujours moyen de bidouiller, comme l’avait fait la fameuse firme de boissons autrichienne voici six ans. Salzbourg avait remanié son organigramme pour rentrer dans les clous. Le cas se pose de nouveau cette année, avec l’AC Milan et le TFC, tous deux détenus par le fonds américain RedBird Capital Partners. « Imaginons que vous possédez 51 % des actions d’un club, image Vincent Chaudel. Vous descendez à 49 %, mais vous dites à des copains d’acheter 2 % pour être de nouveau à 51 %. » Habile.

De gros nuages au-dessus de l’Etihad

Si Manchester City gagne enfin la Ligue des champions ce samedi, et réussit le même triplé que le rival United en 1999, toutes ces histoires de gros sous seront noyées un temps sous les larmes de Guardiola et des fans des Skyblues. Mais l’enquête annoncée début février par la Premier League, trop lente au goût des clubs concurrents, va bien finir par avancer.

Une commission indépendante doit examiner plus d’une centaine de possibles infractions aux règles financières entre 2009 et 2018, que ce soit au sujet des revenus du club ou de certaines rémunérations, comme celles de l’ancien manager Roberto Mancini. La pire sanction encourue ? Tout simplement l’exclusion du championnat.

Déjà puni puis blanchi

« Est-ce que la Premier League va accepter des sanctions qui risquent de pénaliser l’un des fers de lance du football anglais ? », s’interroge Paul Dietschy. « Certains en Angleterre aimeraient bien que Manchester City soit puni sévèrement, enchaîne Vincent Chaudel. Mais en cas de nouvelle offensive de la Super Ligue. Il vaudrait mieux pour la Premier League que tout le monde soit uni, car City peut se retrouver dans l’autre camp en cas de fortes sanctions. »

Remarquez, le club du Cheikh Mansour en a vu d’autres. En 2020, il avait été banni des compétitions européennes pendant deux ans par l’UEFA pour des violations présumées de ses règlements. Avant d’être blanchi par le Tribunal arbitral du sport (TAS) en juillet de la même année.