France-Maroc : Quand même le roi Mohammed VI s'en mêle, on vous raconte le renouveau de la formation marocaine
FOOTBALL Parmi les Lions de l'Atlas qui vont affronter l'équipe de France, ce mercredi (20 heures) en demi-finale de Coupe du monde au Qatar, plusieurs joueurs majeurs ont été formés au Maroc, en partie grâce à l'Académie financée par le roi Mohammed VI
- Le Maroc est devenu le premier pays africain demi-finaliste d'une Coupe du monde de football.
- Avant son choc contre la France, ce mercredi (20 heures) au Qatar, 20 Minutes s'est penché sur la formation des joueurs de cette sélection marocaine.
- Longtemps composés en majorité de binationaux, les Lions de l'Atlas s'appuient ainsi durant ce Mondial sur plusieurs cadres formés au Maroc, notamment dans la prestigieuse Académie Mohammed VI, ouverte depuis septembre 2009.
La panenka d'Achraf Hakimi, synonyme d'exploit contre l'Espagne en 8e de finale, n'a pas tardé à inspirer ses héritiers. Seulement deux jours plus tard, le milieu de terrain Houssam Essadak (17 ans) a offert la victoire à l'Académie Mohammed VI, lors de l'Africa's Cup, en réussisant le même geste lors des tirs au but, en finale contre le CNEPS Excellence de Thiès (Sénégal). Ce prestigieux tournoi U19 disputé à Agadir a symboliquement mis à l'honneur la formation marocaine, sacrée malgré la présence de l'OGC Nice, du Red Bull Salzbourg ou des académies de Jean-Marc Guillou au Mali et en Côte d'Ivoire. Dans le même temps, 11 des 26 Lions de l'Atlas qui défieront la France, ce mercredi (20 heures) en demi-finale de la Coupe du monde au Qatar, ont justement été formés au pays. Jamais la sélection ne s'était appuyée sur une telle représentation locale pour une grande compétition.
On compte parmi eux des cadres lors des immenses performances répétées face à la Belgique, l'Espagne et le Portugal, à commencer par Yassine Bounou, l'héroïque gardien du FC Séville, qui a été formé au Wydad AC de 8 à 21 ans. Il y a aussi les défenseurs Jawad El Yamiq (ex-Khouribga et Raja Casablanca jusqu'à l'âge de 26 ans) et Yahia Attiyat-Allah (qui évolue encore à Wydad), passeur décisif samedi contre le Portugal. S'ajoutent à cette liste les anciens pensionnaires de l'Académie Mohammed VI Nayef Aguerd, Azzedine Ounahi, et Youssef En-Nesyri, qui ont tous connu une formation complète au Maroc avant de rejoindre l'Europe. Autant d'exemples prouvant que cette sélection marocaine ne repose pas que sur le talent de ses binationaux Sofiane Boufal et Romain Saïss (France), Sofyan Amrabat, Hakym Ziyech et Noussair Mazraoui (Pays-Bas), Selim Amallah (Belgique), et évidemment Achraf Hakimi (Espagne).
13 millions d'euros investis par le roi Mohammed VI
« Le Maroc travaille véritablement sur sa formation depuis peu de temps, note Enzo Djebali, ancien responsable du recrutement au Stade de Reims. L'Académie Mohammed VI en est le fleuron, et la concrétisation d'une prise de conscience: il n'y avait pas de raison qu'en Afrique, les académies de Jean-Marc Guillou et le Paradou Athletic Club (Algérie) sortent de top joueurs, et pas le Maroc. » Avant de diriger le centre de formation de l'OM, Nasser Larguet avait été en 2008 l'élu du roi Mohammed VI pour mener à bien ce pharaonique projet, avec un coût de construction de 13 millions d'euros. Directeur technique jusqu'en 2014 de cette structure de 18 hectares (avec 8 terrains de football, une piscine et une salle de musculation) située à Salé (à côté de Rabat), il explique à 20 Minutes où en était alors le football marocain.
A ce moment-là, on avait perdu le fil au Maroc : le pays ne formait plus de joueurs destinés à rejoindre l'Europe. Il n'y avait pas de continuité dans la vision de la formation. On faisait de plus en plus appel à des binationaux en sélection, y compris dans les catégories de jeunes. Les clubs ne s'intéressaient aux jeunes qu'à partir de la catégorie U15, quand les principaux championnats du pays commencent. Leur priorité était d'y viser de bons résultats et non pas de former. »
Ajoutez à cela des absences aux Coupes du monde 2002 et 2006 (puis 2010 et 2014), et vous comprendez à quel point l'urgence était remontée jusqu'aux oreilles du roi Mohammed VI dans les années 2000. Nasser Larguet sillonne alors tout le pays pour organiser des dizaines de détections dès l'âge de 9 ans, et la première promotion de l'Académie voit le jour en septembre 2009, avec déjà dans ses rangs Nayef Aguerd. Sur les 57 jeunes sortis durant les quatre années avec Nasser Larguet, 47 sont devenus professionnels, et une douzaine ont rejoint des clubs européens.
Un énorme travail « sur le volet mental »
Formateur U15 et en poste à l'Académie Mohammed VI depuis 2010, Abdellatif Belmahdi présente le principal axe de réflexion d'une formation qui « n'est pas un calque des modèles en Europe » : « On veut former en vue des exigences du haut niveau, et pour cela, on travaille énormément sur le volet mental. Dans nos séances, les joueurs doivent par exemple réussir à remonter un score en un certain laps de temps, ou bien ils doivent être capables de résister au mieux à des situations de jeu en infériorité numérique ». Tiens tiens, comme l'équipe A l'a fait samedi durant le temps additionnel de son quart de finale face au Portugal (1-0).
L'Académie Mohammed VI sait aussi exposer ses talents, en participant à de nombreux tournois en Afrique comme en Europe. Le mois dernier, ses U19 ont ainsi battu les U19 nationaux de Strasbourg et de Troyes, ainsi que l'équipe réserve de Valenciennes (N3) lors d'une tournée en France. « Le Maroc a un tel vivier de joueurs et de telles installations, et pas que dans notre académie, que ces gamins n'ont rien à envier à ceux qui sont formés en France, indique ainsi Boubacar Gadiaga, Franco-sénégalais formé à l'OM et responsable du pôle performance à l'Académie. Il y avait une centaine de scouts à l'Africa's Cup et on sent qu'il y a beaucoup d'intérêt autour de notre génération 2005, avec sept joueurs selon moi faits pour le haut niveau. »
Strasbourg recrute souvent de jeunes joueurs au Maroc
Un vivier de qualité qui ne laisse pas insensibles les clubs français, puisque Strasbourg a recruté depuis deux ans les gardiens Alaa Bellaarouch et Walid Hasbi, ainsi que le défenseur Anas Nanah, tous formés à Salé. En 2018, le club alsacien avait également fait venir Azzedine Ounahi, désormais mondialement connu comme le chouchou de Luis Enrique, mais sans lui offrir sa chance en Ligue 1. Après une saison 2020-2021 remarquée à Avranches (National), Angers a foncé... pour moins de 500.000 euros, et le milieu relayeur est depuis l'une des rares satisfactions du SCO dans l'élite.
Il pourrait même rapporter un très gros chèque au club dès cet hiver. « On sait qu'il y a des territoires où on ne peut pas exister en raison de notre pouvoir économique, comme en Amérique du Sud, confie Sébastien Larcier, qui était le directeur sportif angevin au moment de ce recrutement. Les joueurs formés au Maroc restent bon marché, et comme il n'y a pas la barrière de la langue, leur adaptation est facilitée en France. Le potentiel a toujours été là au Maroc. »
Des scouts présents à la CHAN et au tournoi de l'Académie
Sébastien Larcier en sait quelque chose, puisqu'il a également contribué à la venue de Nayef Aguerd à Dijon en 2018 (pour 1,2 M€), avant qu'il n'explose au Stade Rennais. Les observateurs français sont toujours nombreux sur le CHAN, le Championnat d'Afrique des nations réservé aux joueurs africains évoluant sur le continent, dont les deux dernières éditions ont justement été remportées par le Maroc. De même, le tournoi de l'Académie Mohammed VI va attirer des yeux de toute l'Europe, alors que les U19 locaux y affronteront le Real Madrid, l'Atlético de Madrid, ou entre l'OM et l'OL.
Le club lyonnais présente d'ailleurs la particularité d'avoir misé sur un partenariat, en fin d'année 2019, à la fois avec le FUS Rabat (D1 marocaine) et l'Académie Mohammed VI. « Les deux entités sont gérées directement par le cabinet du roi, précise Jean-François Vulliez, le directeur de l'académie de l'OL. Il s'agit des deux projets de formation les plus élaborés du Maroc donc c'était naturel de travailler ensemble sur du long terme, au vu de notre ADN. »
L'OL, seul club français à avoir conclu des partenariats
Concrètement, en quoi est-ce un avantage pour l'OL d'être l'unique club français à avoir un tel accord au Maroc, alors qu'en trois ans, seul le latéral gauche Achraf Laaziri (19 ans), formé au FUS Rabat, a signé un contrat professionnel à Lyon, sans la moindre apparition jusque-là en Ligue 1 ? « Le premier objectif est d'échanger nos savoir-faire afin de créer un parcours de formation le plus performant possible, explique Jean-François Vulliez, qui se rend deux à trois fois par an au Maroc. Après, ce serait bien entendu un aboutissement qu'un joueur formé à Rabat ou à l'Académie Mohammed VI devienne un jour titulaire en Ligue 1 à l'OL. Sur ce volet du recrutement, nous sommes informés des joueurs qui suscitent de l'intérêt. Mais nous ne sommes pas prioritaires : les joueurs choisissent de rejoindre le projet qu'ils souhaitent. »
Impressionné par ces structures « dignes d'un centre de formation européen, au niveau de l'accompagnement de la performance, du suivi médical et scolaire », Jean-François Vulliez n'est en tout cas pas surpris par l'épopée des Lions de l'Atlas dans ce Mondial : « Au vu des moyens mis dans ce projet de formation, c'est pour moi d'une logique absolue que le Maroc soit devenu le premier pays africain à se hisser dans le dernier carré d'une Coupe du monde. Le travail est fait discrètement mais sur le long terme, et le pays en récolte les fruits aujourd'hui, comme cela sera peut-être le cas aussi bientôt au niveau du football féminin, qui s'y développe beaucoup ». Et si le Maroc devenait en 2023 le premier pays africain à se hisser en quart de finale du Mondial féminin, dès sa première participation ? Après tout, dans le sillage de l'aventure de Walid Regragui et des siens, cette nation semble armée pour tous les défis.