Route du rhum : « C’est une course qui m’a fait rêver quand j’étais gamin », confie Jérémie Beyou

INTERVIEW DU LUNDI A bord de son nouvel Imoca Charal, Jérémie Beyou devrait être l’un des grands animateurs de la Route du rhum, qui s’élance dimanche de Saint-Malo

Propos recueillis par Nicolas Stival
— 
Jérémie Beyou vise le Vendée Globe 2024. Mais s'il peut accrocher cette 12e édition de la Route du rhum auparavant, il ne s'en privera pas.
Jérémie Beyou vise le Vendée Globe 2024. Mais s'il peut accrocher cette 12e édition de la Route du rhum auparavant, il ne s'en privera pas. — Sébastien Salom-Gomis / AFP
  • Chaque lundi, 20 Minutes donne la parole à un acteur ou une actrice du sport qui fait l’actu. Cette semaine, place au navigateur Jérémie Beyou.
  • Le Breton de 46 ans sera au départ de la 12e édition de la Route du rhum à bord de son nouvel Imoca Charal, dimanche à Saint-Malo.
  • Si son grand objectif reste le Vendée Globe 2024, le navigateur expérimenté aimerait ajouter à son beau palmarès une course qu’il avait terminée deuxième en 2014, entre les abandons de 2006 et 2018.

Si la Route du rhum a nourri les songes de Jérémie Beyou dans sa prime jeunesse, la vénérable course ne lui a pas souvent souri. Après sa belle deuxième place de 2014, le navigateur breton avait dû abandonner quatre ans plus tard sur Charal 1, son bateau flambant neuf. Charal 2 sera-t-il sous-titré « la revanche », pour cette 12e édition qui part dimanche de Saint-Malo ? En tout cas, le skipper de 46 ans compte énormément sur son nouvel Imoca mis à l’eau en juillet dernier. D’abord pour gagner enfin le Vendée Globe 2024, après l’énorme déception de 2020. Mais d’ici là, le triple vainqueur de la Solitaire du Figaro se verrait bien ajouter une ligne à son palmarès en levant les bras cet automne à Pointe-à-Pitre.


Que représente pour vous la Route du rhum ?

C’est une course qui m’a fait rêver quand j’étais gamin. Aujourd’hui, c’est le Vendée Globe qui fait rêver tout le monde, mais lors de mon adolescence, c’était la Route du Rhum. Avec mes parents, nous allions sur les lieux le samedi, veille du départ, et le dimanche nous rentrions à la maison. Nous avions la chance d’habiter au bord de la mer, en baie de Morlaix, et le dimanche soir, nous pouvions voir au large, quand la visibilité était bonne, les feux des premiers concurrents. Je me souviens aussi des victoires de Philippe Poupon dont j’étais fan. J’ai vraiment gardé des yeux d’enfant ou d’adolescent par rapport à cette course. Je ne l’ai jamais gagnée, j’aimerais bien que ça arrive un jour.

Comment définiriez-vous ce bateau par rapport au précédent ?

Il est plus étroit mais quand on le regarde, on a pourtant l’impression qu’il est plus large. Il est très ventru à l’avant. La carène est très différente, ce qui nous permet de bien passer la mer, au portant notamment. On a des appendices très différents, notamment des grands safrans à l’arrière qui nous donnent beaucoup de stabilité de route. Mais aussi plein d'autres petits détails. Ne serait-ce que physiquement, Charal 2 est très différent de Charal 1.


Le nouveal Imoca de Jérémie Beyou a été mis à l'eau en juillet 2022.
Le nouveal Imoca de Jérémie Beyou a été mis à l'eau en juillet 2022. - Eloi Stichelbaut / PolaRYSE - Charal


On dispose aussi d’une équipe plus solide, avec une ossature qui a déjà vécu cet échec il y a quatre ans. Nous sommes à peu près une vingtaine, quasiment deux fois plus. On espère ne pas revivre ça et on redouble d’efforts pour que ça n’arrive pas même si on est conscients qu’on ne maîtrise pas tout. On est plus pros, on a plus d’expérience, plus de recul. On a une meilleure machine qu’il y a quatre ans, même si on avait alors déjà fait un grand bond en avant.

Un autre grand navigateur, Franck Cammas a rejoint l’aventure en juillet dernier. Quel est son rôle ?

Nous avons une équipe de spécialistes à terre et une de spécialistes sur l’eau, plus un bureau d’études. La figure de proue côté navigant, c’est Franck. Il est incontournable et on a la chance qu’il ait accepté de venir dans notre projet. C’est vraiment lui la pierre angulaire de la mise au point du bateau et des navigations, avec moi évidemment. Il est là pour me pousser, aller dans les détails, comprendre le bateau le plus rapidement possible.

Je suis hyper heureux et honoré qu’il ait accepté ce challenge. Mettre ces bateaux-là au point, ce n’est pas simple et les mettre au point pour un autre, parce que c’est moi qui vais partir tout seul, c’est aussi un peu particulier. On s’entend super bien, il est hyper compétent et compétitif, c’est génial.



Pour vous, le grand objectif reste le Vendée Globe en 2024…

Oui. C’est vraiment comparable à un athlète qui prépare les Jeux olympiques. L’objectif ce sont les Jeux. Mais si pendant cette période de quatre ans, l'athlète peut accrocher le titre de champion d’Europe et de champion du monde au passage, il ne va pas s’en priver. Ceci dit, il est quasiment impossible de faire un bateau qui soit performant dans toutes les conditions sur tous les parcours.

Notre référence de parcours, c’est le Vendée Globe. Néanmoins, on fait tous les efforts pour essayer d’adapter le bateau au maximum pour la Route du rhum parce que c’est quand même un objectif important pour nous. Si on avait voulu un bateau prêt pour la Route du rhum, archi-éprouvé, dont on connaît le moindre réglage, on aurait mis le bateau il y a plus d’un an. Mais ça aurait été beaucoup trop tôt pour le prochain Vendée Globe (mis à l'eau en juillet).

Charlie Dalin sur Apivia est présenté comme le grand favori de cette Route du rhum en Imoca. Êtes-vous d’accord ?

Oui. Je préférerais que ce soit moi (sourire), mais c’est totalement logique que ce soit lui. Il a remporté les trois épreuves de début de saison, il fait second de la Jacques-Vabre l’année dernière où nous terminons troisièmes. Il va super vite, notamment grâce à ses foils. Il faut qu’on progresse. D’abord qu’on se rapproche de son niveau de performance, et ensuite le dépasser. C’est le favori, nous sommes les outsiders, parfois ça fait du bien d’être dans la peau du chasseur.


Dans les entrailles de la bête.
Dans les entrailles de la bête. - Maxime Mergalet / Charal


Vous parliez de JO tout à l’heure. Comment fait-on quand on se prépare quatre ans pour une échéance, et que tout capote à cause d'une avarie ?

Il faut savoir que ça peut arriver, sans être tétanisé par ce constat. Il faut aimer ce que l’on fait. J’adore mon environnement de travail. Mon métier, c’est ma passion. J’ai la chance d’avoir une équipe super compétente autour de moi, des gens motivés, un super bateau. Tous les matins, quand j’arrive à la base technique de Lorient, j’ai l’impression de vivre un rêve. Je ne vais pas m’arrêter à cause d'un abandon ou d'une contreperformance. Cette vie-là, c’est celle dont j’ai toujours rêvé. Je suis incapable de m’arrêter.

Les préoccupations environnementales prennent de plus en plus de place, dans votre métier comme ailleurs. Des associations évoquent les risques environnementaux en raison de la foule rassemblée au départ de la Route du rhum. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Je ne suis ni scientifique, ni politique. Je suis juste un observateur de ce qui se passe en mer. C’est sûr qu’on voit des dégradations mais ce n’est pas perdu. Il faut faire des efforts. Certains sont déjà faits, par exemple au niveau de la pêche. On voit de plus en plus de mammifères marins, des dauphins de partout. J’ai l’impression qu’on voit moins de sacs plastique. Je n’aime pas trop être dans le catastrophisme, même si je vois aussi la pollution, qui est inquiétante dans certains pays, certains continents.

Au quotidien, dans notre équipe, on fait énormément d’efforts et on se modernise. L’écologie est aussi une préoccupation importante pour le chef d’entreprise que je suis. Je veux être irréprochable socialement mais également respecter les règles environnementales au sein de l’entreprise. Je pense qu’à mon humble niveau, je fais ce qu’il faut mais je ne le crie pas sur tous les toits.




Je fais confiance aux scientifiques et aux politiques pour nous montrer la voie et élaborer des règles, légiférer pour qu’on suive ces directives. Ce n’est pas à moi de les inventer, de dire qu’il y a trop de monde au départ de la Route du rhum. Ce que je vois, ce sont des gens heureux d’être là, une fête fabuleuse, des gens qui ont toujours cette frustration post-Covid, qui ont besoin de vivre les choses, de rêver.


Quels sont les efforts dont vous parlez ?

Nos bateaux, ils ne font pas deux courses et puis poubelle ! Ils font plusieurs tours du monde, ils ne polluent quasiment pas. Quand on fait un tour du monde, certains bateaux sont autonomes et d’autres consomment 200 litres de gasoil en trois mois. Quand on reste à terre, avec sa voiture, sa chaudière au fioul et autres, ce n’est pas seulement 200 litres de gasoil que l’on consomme...

Ensuite, les voiles sont réutilisées, les matériaux sont triés et recyclés. Notre sport est plutôt à l’avant-garde de ce côté-là. Evidemment, on n’est pas irréprochables. On utilise des matériaux pour lesquels on n’a pas trouvé toutes les solutions. Des recherches sont faites là-dessus, sur des tissus bio, en lin par exemple, mais avant d’arriver à trouver la résistance qu’on demande notamment sur nos mâts, nos coques, nos foils… On n’arrivera pas à aller aussi vite. Peut-être qu’un jour, on nous dira d’arrêter les courses.