PSG-Manchester City: Entre pression sociale et arrangements politiques, pourquoi City s'est retiré si vite de la Super Ligue

FOOTBALL Le club détenu l'Emirat d'Abu Dhabi, intégré parmi les derniers au projet mort-né, n'a pas tardé à se rendre compte de son erreur

Nicolas Camus
Les fans de Manchester City réagissent à l'annonce de la création de la Super Ligue, le 24 avril 2021.
Les fans de Manchester City réagissent à l'annonce de la création de la Super Ligue, le 24 avril 2021. — CARL RECINE / POOL / AFP
  • Manchester City se déplace sur la pelouse du PSG ce mercredi soir en demi-finale aller de la Ligue des champions.
  • Les Citizens ont fait partie des douze clubs fondateurs de la Super Ligue, enterrée en à peine deux jours en début de semaine dernière.
  • Premier club à faire officiellement marche arrière, City, détenu par l'Emirat d'Abu Dhabi, avait finalement beaucoup plus à perdre qu'à gagner dans cette entreprise.

Le dernier à bord et le premier dehors. Chez les suiveurs et les fans de Manchester City, voilà comment on définit le rôle joué par le club anglais dans le projet avorté de Super Ligue. Une manière de se rassurer, de se dire que leur club n’en voulait pas vraiment et s’en est désolidarisé avec soulagement, montrant l’exemple pour les autres.

La réalité est moins avantageuse que ça, et si Florentino Perez, frustré comme un enfant à qui on a refusé un jouet à noël, en rajoute un peu quand il dit que City « n’a jamais vraiment été intéressé », il y a bien du vrai là-dedans. City était probablement le club qui avait le moins à gagner dans cette histoire, et il est effectivement le premier des « douze salopards » à avoir officiellement annoncé son retrait, le 20 avril à 21h19 pour être tout à fait précis.

Une décision prise avant la colère de Guardiola et des supporters

Retraite très vite suivie par les cinq autres clubs anglais, puis par la plupart des instigateurs de cette grande idée, qui ont rendu les armes – provisoirement rappelons-le – un à un. Le club détenu par l’Emirat d’Abu Dhabi a, à première vue, cédé à la pression populaire et à celle exercée par son coach Pep Guardiola, qui s’était fermement opposé à ce projet dans l’après-midi. « Le sport n’est pas du sport quand il n’existe pas de relation entre effort et récompense. Ce n’est pas du sport si le succès est garanti ou si perdre n’a aucune importance », avait tonné en conférence de presse la tête de gondole du projet des Citizens depuis 2016.

Sauf que la décision n’a en réalité que peu à voir avec cette prise de position, ou celle de Kevin Parker, l’un des porte-parole du groupe de supporters officiel des Sky Blues. « J’ai un goût amer dans la bouche. Un ami m’a envoyé un message ce matin en me disant " J’ai l’impression d’avoir perdu un proche ". C’est de ça qu’il s’agit, avait-il écrit au nom de tous les fans dans un vibrant plaidoyer. J’ai toujours pensé que nos propriétaires étaient un peu différents, qu’ils avaient vraiment une âme et faisaient les choses pour les bonnes raisons. »

Et non, deux jours plus tard, le Times racontait comment le Premier ministre britannique Boris Johnson, via un intermédiaire bien implanté dans le Golfe, avait clairement fait comprendre aux propriétaires du club que les relations entre le Royaume-Uni et Abu Dhabi seraient bien plus fructueuses si la Super Ligue ne voyait jamais le jour.

Une théorie validée par Stuart Brennan, expérimenté journaliste du Manchester Evening News et l’un des mieux informé du Royaume sur le club : « La décision avait déjà été prise avant que Pep ne s’exprime, a-t-il assuré lors d’un chat avec des supporters, ce mardi. Il avait parlé aux dirigeants avant de se rendre à la conférence de presse et ces derniers lui avaient donné leur bénédiction pour qu’il exprime son opinion. »

« Leur agenda n’a rien à voir avec le quotidien des fans »

On ne prendra pas trop de risques en écrivant que l’Abu Dhabi United Group, la holding contrôlée par le cheikh Mansour qui chapeaute le City Football Group, n’est pas vraiment connue pour ses activités philanthropiques. Certes, l’implantation locale compte, comme en atteste la construction d’un CFA ou d’un collège à Manchester, mais l’Emirat voit bien plus large.

« Ce n’est pas pour les supporters qu’ils se sont retirés, confirme Raphaël Le Magoariec, chercheur spécialisé en géopolitique du Golfe. Abu Dhabi est dans une logique de développement d’un réseau à l’échelle mondiale, et leur agenda n’a rien à voir avec le quotidien des fans. » En tout cas, contrairement aux desseins du Real Madrid ou de la Juventus​, l’adhésion à la Super Ligue n’était aucunement liée aux retombées économiques. Les réserves de pétrole suffisent amplement pour remplir les caisses.

« L’argent, pour les pays du Golfe, n’entre pas en ligne de compte, poursuit le chercheur. Abu Dhabi y voyait seulement l’opportunité de se greffer à un projet de grande ampleur, qui allait intéresser un large public dans le monde. Mais il n’était pas question de se mettre les politiques européens à dos. »

Autre élément important dans ce dossier, les relations entre Abu Dhabi et l’Arabie Saoudite. En fin de semaine dernière, le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung assurait que l’argent devant financer la Super Ligue ne provenait pas directement de la banque JP Morgan mais de Ryad. Et que le retrait de City y était lié, Abu Dhabi ne souhaitant pas, pour une question d’image, être associé à son voisin, critiqué pour sa vision rétrograde des droits des femmes ou sa responsabilité dans l’affaire Jamal Khashoggi.

Du mieux avec l’UEFA ?

« L’Emirat d’Abu Dhabi mène la même politique autoritaire sur son territoire, mais aime cultiver sa discrétion », explique Raphaël Le Magoariec. L’argument semble donc secondaire dans la décision des dirigeants Citizens, selon le chercheur. « La provenance des fonds n’a rien changé, croit-il. C’est vraiment la pression politique et sociale. » Et peut-être, aussi, l’opportunité de montrer à l’UEFA que le club peut se ranger de son côté.

Les relations entre l’instance européenne et Manchester City sont très tendues depuis des années sur la question du fair-play financier, jusqu’au point culminant de février dernier, quand l’UEFA a prononcé l’exclusion de City de la Ligue des champions pour deux ans. Le TAS avait finalement blanchi le club, mais l’animosité entre les deux entités reste forte. Cet épisode changera-t-il quelque chose ? A Manchester, les mots d’Aleksander Ceferin, qui a salué la « grande intelligence » et le « courage » de cette défection rapide, ne sont pas passés inaperçus.