Roland-Garros : Après sa comédie au filet, Sabalenka surprend tout le monde en lâchant Loukachenko en direct

TENNIS Invitée à expliquer pourquoi elle avait attendu Svitolina au filet, sachant bien que l’Ukrainienne ne viendrait pas lui serrer la main, Sabalenka a pris tout le monde de court en se positionnant contre la guerre en Ukraine et contre Loukachenko

Aymeric Le Gall
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Aryna Sabalenka a attendu Elina Svitolina au filet pour lui serrer la main mais la joueuse ukrainienne est passée sans la regarder.
Aryna Sabalenka a attendu Elina Svitolina au filet pour lui serrer la main mais la joueuse ukrainienne est passée sans la regarder. — Aurelien Morissard/AP/SIPA

A Roland-Garros,

De la bonne grosse comédie comme on ne l’aime pas. Alors qu’on scrutait avec attention (et pas mal de crainte) l’attitude du public du Court central au terme du match entre l’Ukrainienne Elina Svitolina et la Biélorusse Aryna Sabalenka pour voir si la première allait serrer la main de la seconde, ce n’est pas cela qui a le plus attiré les regards. Parfaitement au fait qu’Elina Svitolina n’allait pas la saluer, comme le veut la tradition, la numéro 2 mondiale a tout de même décidé de venir au filet pour attendre sa victime du jour. Les mains posées sur le filet, un petit sourire aux lèves et le regard fixé sur Svitolina, Sabalenka a fait les choses en grand.



Comme prévu, l’Ukrainienne est passée tête baissée, sans un regard pour son adversaire, qui a alors feinté la déception avant d’aller serrer la main de l’arbitre. Cette petite mise en scène aura finalement eu l’effet escompté, puisque le public du Central s’est mis à huer la compagne de Gaël Monfils, la même qu’il avait acclamée, sur un autre court, deux jours plus tôt, préférant cette fois-là huer Kasatkina, qui elle pourtant ne soutient pas la guerre en Ukraine. Pour tout vous dire, ça fait longtemps qu’on a arrêté d’essayer de comprendre les réactions du public de Roland-Garros, mais, pourtant, même quand on n’attend plus rien (de bien) de lui, il arrive encore à nous surprendre (en mal).

Ce ne fut pas le cas de Svitolina. « Pour les huées, je m’y attendais, donc je n’ai pas été surprise », a-t-elle expliqué en conférence de presse quelques minutes après sa défaite. Ce qui l’a plus surprise, en revanche, c’est la réaction de Sabalenka. « Je ne sais pas pourquoi elle m’a attendue au filet puisque j’avais bien précisé que je ne lui serrerai pas la main. Je me suis demandé  ''Mais qu’est-ce qu’elle fait ?!'', parce qu’à chaque conférence de presse j’ai répété que je ne leur serrerai pas la main [aux joueuses russes et biélorusses], elle ne lit peut-être pas la presse ni les réseaux sociaux. »



Une conférence de presse dans l’histoire de Roland

Après avoir zappé deux conférences de presse dans la semaine, avec l’accord des organisateurs de Roland-Garros, pour préserver sa santé mentale et parce qu’elle disait se sentir en « insécurité » face aux journalistes, Aryna Sabalenka a finalement stoppé son boycott médiatique mardi. Autant vous dire qu’il ne restait plus un siège de libre dans la grande salle de presse de Roland. Une bonne vingtaine de confrères et consœurs ont même dû rester debout. « Elle a gagné la finale ou quoi ? », rigolait ainsi un collègue en pénétrant dans le saint des saints.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’assistance en a eu pour son argent. Après avoir expédié la polémique sur sa venue au filet en sortant le joker « c’était un réflexe, vu que je fais ça à la fin de chacun de mes matchs », Sabalenka a ensuite répété ce qu’elle avait dit au sujet des sifflets contre Kostyuk, au premier tour. « Elle ne méritait pas de se faire siffler, a-t-elle expliqué. Je l’ai dit, j’ai beaucoup de respect pour elle, pour ce qu’elle a fait, d’être revenue à ce niveau quelques mois seulement après avoir donné naissance à son bébé ». Jusque-là rien de bien foufou, mais la suite va détonner.

Alors qu’on s’attendait à ce que la Biélorusse récite la même chansonnette sur la guerre en Ukraine que lors de ses premières conférences de presse, lors desquelles elle mettait un point d’honneur à ne jamais parler en son nom, celle-ci a pris tout le monde de court. A sa manière : « J’ai déjà dit que je ne soutenais pas la guerre, j’ai répondu à de nombreuses reprises sur le fait que je ne soutenais pas la guerre », a-t-elle affirmé. Interrogée sur son soutien (avéré) au dictateur biélorusse, la numéro 2 mondiale a estomaqué l’assistance en déclarant : « Ouh, c’est une question difficile...si je dis que je ne soutiens pas la guerre, ça veut aussi dire que je ne soutiens pas Loukachenko. » La phrase est lâchée et ne devrait pas rester sans conséquences dans les hautes sphères du pouvoir biélorusse.

Le « dernier dictateur d'Europe » lâché par Sabalenka 

En effet, comme nous l'évoquions dans un récent papier, en bon fan de sport et fin tacticien politique qu'il est, le président Alexandre Loukachenko ne rate jamais une occasion de se servir des succès de la tenniswoman pour servir ses propres intérêts. Et jusqu'à aujourd'hui, Sabalenka n'avait jamais trouvé rien à redire à ça. Elle avait même signé en 2020 une lettre ouverte pour soutenir celui que l'on nomme le « dernier dictateur d'Europe », alors que celui-ci était en train de réprimer dans une violence inouie les manifestations réclamant sa démission, après s'être maintenu au pouvoir malgré sa défaite à la présidentielle. 

Il est est donc très surprenant de la voir trois ans plus tard, au moment où on ne l'attendait plus, lâcher son plus fidèle supporteur en rase campagne. Les quelques jours de repos médiatique qu'elle s'est octoyée lui auraient-ils permis de faire le ménage dans sa tête ? « J’étais mal, je n’arrivais pas à dormir, a-t-elle admis mardi pour expliquer les raisons de son absence en conférence de presse. Je ne regrette pas ma décision, vous savez que je vous respecte toutes et tous, mais j’ai eu la sensation que mes conférence de presse devenaient un show politique, j’avais besoin de prendre un peu de recul, de me concentrer sur mon tennis et sur mon jeu. » Avant de revenir de plus belle et de poser une bombe comme on en a rarement vue à Roland. Le contre-pied est tout un art.