Roland-Garros : Le public du Suzanne-Lenglen a-t-il été « honteux » lors du match Fritz-Rinderknech ?
TENNIS Vainqueur d’Arthur Rinderknech, le dernier joueur français encore en lice à Roland-Garros, Taylor Fritz a dans la foulée été conspué par le public du court Suzanne-Lenglen. Ce dernier a agacé à de nombreuses reprises l’arbitre et le joueur américain
- Dernier joueur tricolore encore en lice à Roland-Garros jeudi soir, Arthur Rinderknech a délivré un match plein mais il a dû s’incliner en quatre sets contre l’Américain Taylor Fritz, tête de série numéro 9 du tournoi.
- Celui-ci a été pris en grippe durant la rencontre par le public du Suzanne-Lenglen, qui a à plusieurs reprises été bruyant et irrespectueux durant ses mises en jeu.
- Juste après l’avoir emporté, le joueur de 25 ans a chambré le public avec un doigt sur a bouche. Un geste qui a entraîné une immense bronca et empêché l’habituelle interview d’après-match avec Marion Bartoli.
A Roland-Garros,
Marion Bartoli a peut-être vécu jeudi sur le court Suzanne-Lenglen la plus belle et la pire interview de son après-carrière de joueuse professionnelle. Elle a ainsi vu un Daniel Altmaier ému aux larmes être chaleureusement ovationné par le public après son exploit contre Jannik Sinner. Puis peu après 23 heures, elle n’a tout simplement pas pu interroger Taylor Fritz, vainqueur d’Arthur Rinderknech, qui était le dernier Français encore en lice Porte d’Auteuil. Du jamais vu dans l’histoire des Grands Chelems, où il est de coutume d’écouter quelques instants le vainqueur du jour, même lorsqu’il a éliminé un joueur du pays hôte. Mais là, la bronca était assourdissante à l’encontre de l’Américain de 25 ans. Son tort ? Avoir célébré sa victoire en chambrant le Lenglen avec un doigt sur sa bouche, avant de lui adresser des bisous en réponse aux sifflets.
Reconnaissez qu’on a connu plus trash dans l’histoire du sport, surtout au vu du traitement de faveur qu’a subi Taylor Fritz (25 ans) à partir de la fin du troisième set. Avant cela, l’ambiance était énorme et longtemps festive, à mi-chemin niveau taille/intensité entre le parcours de Lucas Pouille sur le court numéro 14 et le miracle de Gaël Monfils sur le Central en night session mardi. A un set partout, 5-3, service à suivre pour la tête de série numéro 9 du tournoi, ça s’est subitement gâté. Un spectateur a hurlé « out » pour déconcentrer Fritz en plein lancer de balle. Ce dernier a donc logiquement refusé de frapper ce service-là, ce qui a entraîné des sifflets, puis une décision arbitrale litigieuse dans la foulée.
« Qui ne saute pas n’est pas français » en plein jeu
Chauffé à blanc à partir de là, le Suzanne-Lenglen a montré autant de délicieuses initiatives (un Aux Armes et La Marseillaise à plusieurs reprises lors des changements de côté) qu’une habitude irritante à toujours être bruyant et irrespectueux lors des jeux de service de Fritz. L’apothéose a sans surprise eu lieu pour l’ultime jeu, à 5-4 au quatrième set, alors que les tribunes du Lenglen avaient reçu le renfort de plusieurs dizaines de spectateurs d’un Central vidé après la victoire de Sascha Zverev. Pour bien avoir en tête la dinguerie qui fera sans doute date à Roland-Garros, on a revisionné la longue séquence dans la nuit.
- On entend le public parler avant la première balle, puis fêter le service dans le filet avec quasiment la même ferveur que s’il s’agissait d’un coup gagnant d’Arthur Rinderknech.
- A 0/15, les supporteurs tricolores lancent un « Qui ne saute pas n’est pas français », entre deux points, ce qui retarde évidemment le lancement du point suivant.
- A 15/15, au moment où Fritz va lancer sa deuxième balle, on entend « la double, la double » puis « chhhhhhhh » (repris en chœur exprès pour se moquer de l’arbitre, qui a réclamé le silence une bonne centaine de fois). Beaucoup de monde se marre derrière, puis hue l’Américain quand il fait remarquer à l’arbitre qu’il ne peut pas servir dans ces conditions. Pas moins de 52 secondes s’écoulent entre le moment où il allait lancer sa deuxième balle et lorsqu’il l’a frappée pour de bon. Soit une éternité dans la mécanique/routine d’un tel sport, qui nécessite une sacrée concentration, surtout au service.
« En cherchant à chahuter Fritz, le public jouait un peu sa dernière carte du match, pour le dernier Français du tournoi, explique Baptiste Grodenic, un ami d’Arthur Rinderknech. S’il n’y avait pas eu une telle ambiance, je ne suis pas sûr qu’Arthur aurait fait ce match. » Certes, mais la folle ferveur constatée pour Pouille-Rodionov et Monfils-Baez se ressentait dans les encouragements débordants, mais non dans les tentatives de déstabilisation de l’adversaire par tous les moyens ou presque.
Un effet « night session » ?
« Ça m’a choquée d’entendre les Français systématiquement applaudir les services manqués de Fritz, note ainsi Ricarda, venue de Münster (Allemagne) pour assister à Roland-Garros. Dans ces conditions, la concentration ne peut pas être la même pour chaque joueur, donc ça perturbe la compétition. Dans le tennis, les valeurs sont historiquement importantes donc on n’est pas habitués à voir un tel manque de fair-play. » Serait-ce là l’un des effets night sessions ? Est-ce une volonté de l’ATP et des Grands Chelems d’élargir leur public et de dépoussiérer les codes d’une discipline qui était encore très carrée, et pour laquelle on restait le plus clair de son temps assis et silencieux il y a une dizaine d’années.
« Je me demande si les personnes faisant en permanence du bruit ce soir pendant les échanges connaissent les règles du tennis », interroge Nicolas Derycke, ancien champion de France 4e série de tennis et habitué de Roland-Garros. Au niveau professionnel, le public d’un stade de foot ou d’une salle de basket va forcément siffler un adversaire sur le point de tirer un penalty ou des lancers francs très importants. Et a contrario au tennis, ça ne se voit/fait pas, même en cas de finale de Roland face à un Français (désolé pour la projection très fictive). Quand on repense à l’apparition du chant Aux armes jeudi soir, on est dans l’univers supporteur de foot et même ultra, et donc très loin à la base des spectateurs venant sobrement applaudir Cédric Pioline et Arnaud Boetsch dans les années 1990.
C’est honteux d’avoir un tel comportement face à un très grand joueur comme Taylor Fritz, poursuit Nicolas Deycke, remonté. Même l’autorité de l’arbitre était contestée. Le public ne prenait jamais en compte ses remarques. »
L’électricité de ce Fritz-Rinderknech symbolise l’évolution quasiment sociologique de tels rendez-vous de tennis. Vu l’heure du lancement de ce match, juste après 20 heures, la dimension fête/consommation d’alcool n’est pas du tout la même que sur un timing de sieste, à 25°C en plein soleil. Privé d’interview sur le terrain avec Marion Bartoli, Taylor Fritz a malheureusement ensuite zappé le point presse, où on aurait été curieux d’avoir sa perception de cette soirée en partie gâchée sur le Lenglen.
« Les Australiens étaient bien plus bourrés »
Son adversaire était par contre là pour apporter un intéressant éclairage. « Je suis plutôt pour d'avoir un peu cette ambiance foot, confie Arthur Rinderknech. A partir du moment où on se tient pendant les points et qu’on crie ensuite dans tous les sens, je suis pour. Ça rend le sport et le jeu tellement meilleurs. C'est très comparable à ce que j’ai vécu en étant de l'autre côté à l’Open d’Australie, et je pense que les Australiens étaient bien plus bourrés que les Français ce soir ! Je ne sais pas si on glissait à Fritz des petits mots doux au bord des tribunes, moi c’était le cas là-bas. Et ça fait plaisir d'avoir eu une grosse ambiance [en ma faveur] à la maison. »
Arthur Rinderknech fait référence à sa victoire dans un climat tendu contre l’Australien Alexei Popyrin, en janvier 2022, qu’il avait ponctuée en allant narguer le public d’un court annexe de Melbourne. Daniil Medvedev avait connu un épisode quasiment similaire à l’US Open 2019, mais il avait répondu en chambrant au micro les supporteurs américains le huant. La preuve qu’à part le toujours classieux Wimbledon, Roland-Garros se trouve comme les autres Grands Chelems à la croisée des chemins, quant à son identité.