Roland-Garros : Alcaraz est-il déjà en train de remplacer « la légende » Nadal dans le cœur des passionnés de tennis ?
TENNIS Le jeune Espagnol, qui va affronter Denis Shapovalov ce vendredi lors de la « night session » de Roland-Garros, est l’un des grands favoris pour succéder à son illustre aîné. Le passage de témoin entre Nadal et Alcaraz a-t-il déjà lieu à Paris ?
- Le premier forfait de Rafael Nadal à Roland-Garros, depuis ses débuts en 2005, laisse évidemment un très grand vide dans la quinzaine parisienne.
- Son absence, qui entraîne une bataille plus ouverte, pourrait profiter à son jeune compatriote Carlos Alcaraz (20 ans), en passe de devenir son successeur sur terre battue.
- Mais comment cette transition générationnelle est-elle vécue, en Espagne comme dans les travées de Roland-Garros cette semaine ?
A Roland-Garros,
Y aura-t-il selon vous plus de monde, ce vendredi à Roland-Garros, pour assister à l’alléchante night session de Carlos Alcaraz contre Denis Shapovalov, ou pour se photographier tout au long de la journée autour de la statue de Rafael Nadal ? En vrai, il pourrait y avoir match. Du côté des différents points d’accueil de Roland, on nous assure ainsi que l’une des questions les plus fréquentes est « Où est cette fameuse statue de Rafa en fait ? ».
On a effectivement pu constater, tout au long de la semaine, que l’œuvre très réussie du sculpteur espagnol Jordi Diez Fernandez ne restait jamais seule plus de quelques secondes, près de la porte 1. Fans inconditionnels du Majorquin ou simples curieux, tous ont conscience de la dimension symbolique, presque de l’ordre du pèlerinage, d’approcher ce Nadal de 3 mètres, l’année de son premier forfait depuis ses débuts sur la terre battue parisienne en 2005. Pour leur pose, certains s’amusent même à mimer le coup droit rageur du phénomène, titré 14 fois Porte d’Auteuil.
« Nadal et Roland, c’est une histoire à vie »
Venu du nord de la Roumanie avec sa famille afin de passer quelques jours à Roland-Garros, Raul (19 ans) tient à se prendre en photo sous tous les angles possibles, pendant une bonne demi-heure, au plus près de ce Rafa d’acier. « Quand j’ai appris son forfait, j’étais dévasté. Tous ceux qui aiment vraiment le tennis savent à quel point il est une légende », explique-t-il. Parmi les témoignages des dernières semaines, à valeurs d’hommages le concernant, on retiendra les sorties d’Amélie Mauresmo et de Thiago Seyboth Wild.
Rafael Nadal et Roland-Garros, c’est une histoire à vie, confiait en avril la directrice du Grand Chelem parisien, avant l’officialisation de son forfait. Il a marqué de son empreinte le tournoi d’une façon inégalée et probablement inégalable. La personnalité de l’homme qu’il est devenu au fil des années est assez incroyable. Il a des valeurs d’humilité et de travail qu’on a envie de véhiculer ici pour le tournoi. »
Je l’ai observé toute ma vie, j’ai lu sa biographie à l’âge de 14 ans, a expliqué le Brésilien mardi, après son surprenant succès contre Daniil Medvedev. Sa façon de jouer, l’état d’esprit qu’il met sur le terrain, sa rage de vaincre, tu ne vois pas ça tous les jours. J’ai toujours rêvé de jouer ici à Roland contre lui. »
Dans les deux cas, on saisit bien à quel point l’héritage de Rafael Nadal est colossale. « Son absence n’est même pas vraiment une déception selon moi vu tout le bonheur qu’il a déjà donné au public de Roland-Garros, confie ainsi le Rémois Anthony (36 ans), lui aussi en admiration devant cette statue inaugurée en 2021. Et puis, ce qui est sympa, c’est qu’on a un peu la sensation qu’il y a un passage de témoin entre champions espagnols… »
« Ça ne sera pas "le roi est mort, vive le roi" »
Tiens tiens, c’est là aussi un sentiment partagé dans les travées de Roland-Garros : alors que Rafa va fêter ses 37 ans samedi (snif, pas de rituel du gâteau sur le Central, on pense à toi le pâtissier du tournoi), on a tendance à se projeter, avec un brin de nostalgie, sur la vie à Roland sans lui, même s’il fera tout pour revenir y disputer une ultime édition en 2024. « Honnêtement, je suis venu de République dominicaine surtout pour voir Nadal pour la première fois de ma vie, mais assister à un match d’Alcaraz compense un peu son forfait, souligne Victor. J’ai vu le futur du tennis et son nom est Carlos Alcaraz. » Une formulation springsteenienne qui est partagée en Espagne, avec des nuances, comme nous le confie Nacho Albarran, l’envoyé spécial du quotidien As à Roland-Garros depuis 2017.
Alcaraz est un phénomène qui plaît aux Espagnols. A Madrid, où il a gagné deux fois, le stade est plein à chaque fois qu’il joue, et il est adulé par la jeune génération. Les jeunes le prennent déjà plus en exemple que Nadal mais c’est logique car ils ont moins vu que nous les exploits de Rafa. Il a un style de jeu plus direct que Nadal, plus agressif, avec une grande variation, des amorties. C’est en fait le style de jeu de la nouvelle génération. Mais tout Alcaraz qu’il est, il ne suscite pas encore le même intérêt que Rafa, surtout à Roland-Garros. Il peut combler en partie le très grand vide que laisse son absence, mais ça ne sera jamais pareil, du moins pas tout de suite. En Espagne, Rafa est plus connu et plus important que le chef du gouvernement. C’est un symbole qui fait l’unanimité. »
C’est pourquoi de l’autre côté des Pyrénées, la simple notion de « transition » ou de « passage de témoin » entre les deux compatriotes prendrait des allures de crime de lèse-majesté. « Déjà parce que Rafa n’a pas annoncé sa retraite, mais aussi par respect pour ce qu’il représente en Espagne, précise Nacho Albarran. Chez As par exemple, on insiste beaucoup sur le fait qu’il faut éviter de parler de changement de cycle. Ça ne sera pas "le roi est mort, vive le roi". Tout est fait pour ne pas offenser Rafa, c’est normal, c’est une question de respect. » Et ce n’est pas le jeune Carlos Alcaraz (20 ans), bien que vainqueur de l’US Open 2022 et déjà numéro un mondial, qui va revendiquer la couronne royale avant la retraite de l’aîné qu’il admire tant.
Alcaraz plébiscité, « Luca Viande hachée » aussi
Mais si la jeune génération ibérique ne semble déjà jurer que par Alcaraz, qu’en est-il en France ? On a profité du deuxième tour du jeune numéro un mondial, au Philippe-Chatrier mercredi contre le Japonais Taro Daniel (6-1, 3-6, 6-1, 6-2), pour prendre le pouls sur sa popularité. Et qui dit mercredi dit journée des enfants à Roland. Ludovic, qui accompagne des bambins du comité de Charente de tennis, nous arrête aussitôt : « Non, ils ne connaissent pas plus que ça Alcaraz ». Limite vexé, l’un d’eux l’interrompt : « Si quand même, c’est le nouveau Nadal ». Et oui, les Charentais ne prennent pas autant de précautions que nos amis espagnols.
Un peu plus loin, lorsqu’on interroge un autre groupe d’enfants, venus de l’Essonne et ayant entre 10 et 12 ans, sur leur joueur préféré, les réponses variées fusent, entre Alcaraz, Nadal, mais aussi Sinner, Rune, et « Luca Viande hachée » comme ils l’ont renommé en se marrant. Le tennis français, qui n’était pas encore out du tournoi, a décidément du mal à fasciner petits et grands. Pourtant venu de la région lyonnaise en groupe, Noah se montre ainsi impitoyable, dans les travées du court Philippe-Chatrier, où Caroline Garcia se trouvait en ballottage défavorable contre Anna Blinkova : « J’encourage la Russe pour qu’Alcaraz arrive plus vite sur le terrain. C’est surtout lui que j’ai envie de voir aujourd’hui ».
« Sourire, c’est la clé qui ouvre toutes les portes »
Le vœu de Noah sera donc exaucé : il a pu profiter du match de son idole en intégralité avant de repartir dans le Rhône. Pour autant, la ferveur du Central pour Carlos Alcaraz, cet après-midi-là, était assez loin d’approcher l’engouement des derniers millésimes de Rafa Porte d’Auteuil. Pour sa troisième participation, celui que Stefanos Tsitsipas qualifie de « joueur le plus intelligent de tous les temps » donne l’impression de savourer chaque instant sans subir comme une pression supplémentaire l’absence de son compatriote.
D’ailleurs, récolte-t-il les encouragements de tous les aficionados de Rafa ? « Je ne sais pas si ce sont des fans de Rafael Nadal ou pas, mais j’ai senti l’énergie de la foule, a-t-il apprécié mercredi après son succès contre Taro Daniel. Je ressens l’amour des gens ici, c’est génial. Et sourire comme je le fais tout le temps, c’est la clé qui ouvre toutes les portes. » Et si celles de tous les cœurs d’Espagne étaient finalement plus résistantes que l’accès à une première Coupe des Mousquetaires ?