Aide humanitaire, soutien aux soldats… Comment le Shakhtar Donetsk participe-t-il à l’effort de guerre contre la Russie ?

FOOTBALL Opposé au Stade Rennais en 16e de finale de Ligue Europa, ce jeudi, le Shakthar Donetsk réalise une première partie de saison exceptionnelle, tandis qu’en coulisses, les dirigeants œuvrent pour soutenir le pays dans la guerre contre la Russie

Aymeric Le Gall
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Les joueurs du Shakhtar vivent ensemble 24/24 depuis le début de la guerre contre la Russie, ce qui a permis à cette équipe de nouer des liens très forts sur et en dehors du terrain.
Les joueurs du Shakhtar vivent ensemble 24/24 depuis le début de la guerre contre la Russie, ce qui a permis à cette équipe de nouer des liens très forts sur et en dehors du terrain. — JAVIER SORIANO
  • Le Shakhtar Donetsk affronte le Stade Rennais ce jeudi en 16e de finale de Ligue Europe, à Varsovie, où l’équipe dispute ses matchs de Coupe d’Europe.
  • Depuis le début de la guerre, le club et son richissime propriétaire, le milliardaire Rinat Akhmetov, soutiennent financièrement l’Ukraine et ses soldats.
  • Composé à 95 % de jeunes joueurs ukrainiens, le Shakhtar a réalisé une première partie de saison incroyable du fait, notamment, de l’esprit de corps et de la solidarité affichés par les joueurs en ces temps difficiles.

Cela va bientôt faire un an que l’Ukraine est en guerre bien malgré elle contre la Russie et, par ricochet, bientôt un an que le Shakhtar Donetsk, qui affronte le Stade Rennais ce jeudi à Varsovie en 16e de finale de Ligue Europa, essaye de vivre tant bien que mal sa routine de club de football professionnel en exil. Basé à Lviv depuis que les troupes russes ont pris possession du Donbass, celui-ci déménage en Pologne lorsque vient l’heure de disputer la Coupe d’Europe. Et tandis que les soldats se battent au quotidien pour repousser les assauts russes, le Shakhtar fait ce qu’il peut pour participer à l’effort de guerre, en espérant un jour pouvoir retrouver sa maison et son stade, en partie détruit sous le feu russe au début du conflit.

A ce titre, le président et propriétaire du club, le milliardaire ukrainien Rinat Akhmetov, a annoncé à l’occasion de la vente de Mikhaïlo Mudryk à Chelsea (pour 70 millions d’euros) le versement de 25 millions d’euros pour venir en aide aux soldats qui défendaient Marioupol, dans le cadre d’un projet baptisé « Heart of Azovstal », du nom de l'usine métallurgique dont il est le propriétaire et qui a abrité pendant des mois les derniers combattants ukrainiens qui défendaient la ville contre les troupes russes, avant que celle-ci ne tombe après des mois de siège. 



Cependant, il convient ici de rectifier une information relayée dans de nombreux médias ces dernières semaines : ce n’est pas directement l’argent du transfert de Mudryk qui a servi à financer ce projet mais bien celui provenant de la fortune personnelle de Rinat Akhmetov (estimée à 6,4 milliards d’euros selon Bloomerg, 334e fortune mondiale), qui a par ailleurs dépensé plus de 100 millions d’euros depuis le début de la guerre pour soutenir de diverses manières son pays.

Dans un communiqué publié courant janvier, celui-ci expliquait avoir « décidé de lancer ce projet pour aider les défenseurs de Marioupol et les familles des soldats tombés au combat. C’est grâce à eux, à leur sacrifice et à leur courage pour contenir l’ennemi dans les premiers mois de la guerre qu’aujourd’hui nous ressentons tous l’inévitabilité de la victoire de l’Ukraine ». Cet argent doit servir à aider financièrement et logistiquement les soldats et leurs familles. Ils s’adresseront à divers besoins - du traitement médical à l’assistance psychologique, en passant par la mise en œuvre de demandes ciblées.

« Les gens doivent savoir ce qu’il se passe chez nous »

Si l’histoire était belle – un club anciennement détenu par un oligarque Russe proche de Poutine qui finance indirectement la guerre menée par l’Ukraine – il n’en reste pas moins que le Shakhtar est totalement impliqué au quotidien dans la lutte contre l’envahisseur russe. « Depuis le début de la guerre nous agissons de trois manières, nous explique Sergueï Palkin, le directeur général du club. Nous jouons au football pour apporter un peu de bonheur à notre peuple, nous jouons des matchs de charité pour collecter des fonds, nous menons des campagnes humanitaires et nous tentons d’alerter l’opinion publique mondiale sur les atrocités commises par la Russie contre notre peuple. »

Après l’arrêt du championnat ukrainien consécutif à l’invasion russe, le Shakhtar a par exemple mis sur pied le « Global Peace Tour », une tournée européenne de matchs caritatifs afin de lever des fonds. De Rome à Amsterdam en passant par Istanbul, Split ou Athènes, le club a disputé huit rencontres au total et levé plus d’un million d’euros qui a servi à pour « différents besoins humanitaires de l’Ukraine », dixit Palkin.

« Ce n’était pas qu’une histoire d’argent, c’était aussi et surtout un moyen de faire passer des messages à l’Europe, de parler aux médias et de leur expliquer la réalité de ce qu’il se passait dans notre pays, souligne Yuri Zviridov, le chef du service communication des Taupes, le surnom du Shakhtar. Nous avons pris ce rôle à cœur. Les gens doivent savoir ce qu’il se passe chez nous encore aujourd’hui, même si je comprends qu’avec le temps le sujet puisse passer au second plan. Les gens soient fatigués d’entendre parler de ça, mais s’il vous plaît, ne soyez pas fatigués. Si on perd, c’est l’Europe qui perd, car on ne défend pas simplement notre pays, on se bat pour l’idée qu’on se fait de la démocratie en Europe. »



Les projets humanitaires du Shakhtar

De retour au pays afin de préparer la nouvelle saison de football, le club n’a pas cessé de soutenir différents projets, humanitaires pour la plupart. Ainsi, celui-ci gère le Shelter Center situé à côté du stade de Lviv, où l’équipe a élu domicile, une sorte de camp de réfugiés qui accueille près de 200 personnes ayant perdu leur logement sous les bombes russes. « Nous avons aussi pris en charge cinq soldats ukrainiens blessés pendant la guerre en organisant leur transfert dans différents hôpitaux étrangers (aux Etats-Unis, en Israël, en Espagne) et en finançant à 100 % leurs traitements médicaux et leur rééducation », détaille Zviridov.

Le club soutien aussi financièrement le destin de 30 orphelins de guerre, de leur hébergement à leur éducation. Enfin, poursuit Zviridov, « nous avons lancé une campagne de collecte de fonds pour acheter des groupes électrogènes. Jusqu’à présent, nous avons collecté 120 générateurs. Le Real Madrid, le Werder Brême, le Celtic, le Legia Varsovie, le Feyenoord et le Benfica Lisbonne font partie des clubs qui ont soutenu l’initiative. Il y a aussi le club de Lille, en France, et son entraîneur Da Fonseca, qui nous ont donné de l’argent et on les en remercie ».

En pleine préparation du match contre Rennes, Neven Djurasec, 24 ans, se dit « fier de ce que fait le club pour soutenir le peuple ukrainien et ses combattants ». Arrivé l’été dernier, comme beaucoup d’autres joueurs, pour remédier au départ massif de la colonie de Brésiliens qui composait une large partie de l’effectif du Shakhtar, ce modeste milieu de terrain croate a d’abord vu l’intérêt du Shakhtar comme une opportunité « qui ne se présente pas tous les quatre matins ». Aujourd’hui, il a conscience d’avoir fait plus qu’un simple choix de carrière. Il joue pour un peuple, une nation.

Même si on ne parle pas de la guerre entre nous, ou pas beaucoup, le coach et le staff nous rappellent le privilège qui est le nôtre de jouer au football quand d’autres se battent et donnent leur vie pour leur pays à quelques dizaines ou centaines de kilomètres de là, explique-t-il. On sait combien le peuple ukrainien souffre et notre devoir c’est de leur donner un peu de répit et de joie le temps d’un match mais aussi de leur donner de l’espoir, de montrer qu’on peut accomplir de grandes choses lorsqu’on est ensemble. »

« On a montré de quoi on était capable »

Compte tenu du contexte, avec une équipe amputée de ses meilleurs joueurs étrangers et composée aujourd’hui à 95 % de jeunes ukrainiens, ce n’est rien de dire que le Shakhtar fait honneur à ses supporters. Deuxièmes du championnat, les Mineurs, comme on les surnomme, ont réussi l’exploit de terminer troisième de leur groupe de Ligue des champions et de se qualifier pour les 16e de finale de Ligue Europa. En C1, dans un stade de Varsovie plein à craquer, soutenus par des milliers de supporteurs ukrainiens en exil, ceux-ci ont réussi l’exploit de regarder le Real Madrid dans les yeux (1-1). Un peu plus tôt, ils étaient même allés coller une rouste historique au RB Leipzig (4-1) sur ses terres.

« Ce que nous avons fait en phase de groupes de la Ligue des champions c’est un miracle », admet Sergueï Palkin. Un miracle frappé du sceau de la solidarité et de l’esprit d’équipe. Neven Djurasec : « Depuis des mois on vit tous ensemble dans des hôtels à Lviv ou à Varsovie. Ce n’est pas simple comme mode de vie, d’autant qu’on est loin de nos proches, mais on s’est adapté et aujourd’hui on est comme une famille. L’ambiance est vraiment particulière. On sent qu’il y a quelque chose de fort dans ce groupe, quelque chose qui touche au patriotisme. Les liens sont incroyablement forts entre nous et je pense que c’est cette camaraderie qui nous a permis d’obtenir de si bons résultats lors de la première partie de saison. »

« Ce groupe est incroyablement uni, confirme Zvirinov. On se doit de tout donner pour ceux qui défendent le pays, c’est grâce à eux qu’on a la chance de vivre une vie à peu près normale, c’est aussi pour cela que nos joueurs sont reconnaissants et se donnent à 100 % sur le terrain. Personne ne s’attendait à de tels résultats, même pas nous. Mais ça prouve que rien n’est impossible. On peut y voir un parallèle avec la guerre, tout le monde pensait que la Russie allait l’emporter en un rien de temps et que l’Ukraine n’avait aucune chance, mais la réalité est bien différente ». S’il a conscience que la double confrontation face à Rennes, qu’il qualifie pour son équipe de « finale de Ligue des champions », s’annonce compliquée, Neven Djurasec croit en leur chance. « On a déjà montré de quoi on était capable et je pense qu’on peut réitérer l’exploit », annonce-t-il. Les Bretons sont prévenus.