Premier League : 400 millions claqués depuis l'été dernier, mais à quoi joue Chelsea au mercato ?

FOOTBALL Mal en point en championnat, Chelsea a décidé de sortir le chéquier en recrutant plusieurs joueurs à prix d’or, comme Badiashile ou Mudryk. Mais c’est le fruit d’une stratégie bien pensée

Antoine Huot de Saint Albin
Chelsea, c'est un peu comme nous dans un supermarché pendant le Covid, on prend tout ce qu'il y a.
Chelsea, c'est un peu comme nous dans un supermarché pendant le Covid, on prend tout ce qu'il y a. — Capture écran France 2
  • Après Benoît Badiashile ou Joao Felix, Chelsea a recruté l’Ukrainien Mykhailo Mudryk pour 100 millions d’euros (bonus compris) pour tenter de sortir le club de la crise.
  • Cette stratégie de recrutement entre dans un plan plus large, à long terme, où Chelsea doit redevenir dominant sur le continent.
  • Mais ces recrutements à prix d’or peuvent-ils se heurter au Fair-Play Financier.

John Textor doit regarder ça avec envie. Le nouveau propriétaire de l’Olympique Lyonnais, qui a mis 400 millions d’euros pour racheter la fabuleuse institution, est en train de se triturer les méninges pour renforcer le club, englué dans le ventre mou du championnat, loin, très loin, de ses ambitions européennes. Todd Boelhy est un peu dans la même situation. Après avoir racheté Chelsea au printemps dernier, pour la modique somme de 4,9 milliards d’euros, l’Américain voit son club patauger en Premier League, entre Crystal Palace et Brentford.

Il y a bien eu, comme à Lyon, un changement d’entraîneur au premier semestre, mais rien n’y fait. A l’image de Lolo Blanc avec les Gones, Graham Potter, qui a succédé à Thomas Tuchel, n’arrive pas à redresser les Blues. Alors, plutôt que de virer l’ancien coach de Brighton, après l’avoir fait venir pour 20 millions d’euros, Todd Boelhy a décidé de sortir le portefeuille et jeter les biftons un peu au hasard pour améliorer son équipe. Et voilà que, en quelques jours, Benoît Badiashile, Joao Felix, Mykhailo Mudryk, David Datro Fofana et Andrey Santos ont rejoint Londres. Le tout pour un peu plus de 170 millions d’euros.

Des jeunes avec des contrats très longs

Une folie passagère ? Pas vraiment. Pas rassasié par ce recrutement clinquant, celui qui a succédé à Roman Abramovitch, poussé vers la sortie après le déclenchement de la guerre en Ukraine, serait prêt à mettre 75 millions d’euros sur Moises Caicedo, le joueur de Brighton, et encore un bon paquet de billets sur son coéquipier Leandro Trossard. Tout ça après avoir dépensé plus de 250 millions d’euros cet été pour des joueurs comme Wesley Fofana ou Marc Cucurella. Et en attendant Christopher Nkunku cet été.

« La première idée est de faire venir des joueurs que le coach souhaite, nous explique Robert Pratley, Chelsea Social Editor et spécialiste des transferts pour le site ATA. Ensuite, le focus va être fait sur des jeunes joueurs, des jeunes talents, et les faire signer pour une longue période, ce qui deviendra la norme. » Benoît Badiashile (21 ans), auteur de très bons débuts contre Crystal Palace samedi, a signé un contrat de sept ans et demi. Une année de plus pour Mykhailo Mudryk (22 ans), la dernière pépite du football ukrainien.

La Fifa demande que les CDD sportifs n’excèdent pas cinq ans, mais elle laisse également la porte ouverte pour des dérogations, nous éclaire Arthur Roudaut, chargé d’études économiques au Centre de droit et d’économie du sport (CDES). Les législations nationales peuvent décider d’autoriser la conclusion de contrats plus longs entre des joueurs et des clubs. Certains pays comme l’Angleterre ou l’Espagne autorisent ainsi la signature de contrat de plus de cinq ans. »

Un plan Chelsea 2030

Faire venir des jeunes à (très) fort potentiel, cela ne ressemble pas vraiment à un club comme Chelsea, qui nous a habitués à vouloir des résultats immédiats. « Mais la stratégie du nouveau propriétaire a changé, affirme Robert Pratley. Les dirigeants ont un plan à l’horizon 2030 : avoir des joueurs qui vont arriver au sommet à cette date pour que Chelsea domine le football européen pendant plusieurs années. L’idée à cette date, aussi, c’est de créer un univers, comme le fait le City Group, pour pouvoir prêter des joueurs dans ces clubs, veiller sur eux, qu’ils progressent et puissent revenir aguerris. C’est vraiment une politique sur du long terme pour réussir en Premier League mais aussi en Europe. »

Le but est d’en finir avec l’instabilité qui a frappé le club londonien ces dernières années où, malgré des titres, c’était un peu le chaos dans le management, avec des changements d’entraîneurs incessants et un projet de jeu fluctuant. Confiance est donnée, donc, à Graham Potter pour accompagner tout ce beau (et riche) monde vers le succès dans quelques années. « Selon moi, il faut que les fans acceptent qu’il y ait une nouvelle mentalité de la part des propriétaires et qu’ils vont donner du temps à Potter », relaie Rob Pratley.

Des risques avec le FPF ?

Mais cette stratégie de recrutement à prix d’or, et à tout-va, des pépites de demain ne risque-t-elle pas de se heurter au redoutable (non) et diabolique (non) Fair-Play financier. « Sur le papier, le FPF peut être très contraignant pour les clubs, mais dans les faits, on se rend compte assez vite que les sanctions sont rarement catastrophiques pour les clubs, tempère Arthur Roudaut. Le PSG avait dépensé plus de 400 millions d'euros en 2017 pour recruter Neymar et Mbappé et s’en est sorti. De plus, le FPF a tendance à être allégé ces dernières années, c’était déjà le cas en 2020 avec la crise Covid et ce sera encore plus le cas à partir de juin. »

En effet, l’UEFA va doubler le déficit autorisé sur trois ans (à 60 millions d’euros), mais obligera les clubs à limiter leur masse salariale à 90 % de leurs revenus en 2023-2024, puis 80 % et enfin 70 % à partir de 2025-2026. Dans ce but, Chelsea envisage de ne pas prolonger les contrats de Jorginho ou Kovacic et insiste même, selon The Guardian, pour se débarrasser de plusieurs joueurs, comme Sterling ou Aubameyang, en vue d’alléger la masse salariale.



Le prix d’achat étalé sur plusieurs années

Et, avec ces contrats (très) longue durée signés par les nouvelles recrues, « ça permet d’étaler le prix d’achat, 100 millions d’euros (bonus compris) sur huit ans et demi pour Mudryk, cela revient à un peu plus de dix millions d’euros par an, détaille Robert Pratley. En plus, avec les nouveaux propriétaires, la dette a été réduite à zéro, il y a du cash dans la réserve, et puis on a de l’argent avec les ventes, il y a peu, de Tammy Abraham (40 millions) et Fikayo Tomori (30 millions), alors que le club n’a pas été très actif lors des précédentes fenêtres de transferts. »

En tout cas, ajoute le chargé d’études économiques, « c’est assez ironique de voir qu’en juin 2022 Todd Boehly avait déclaré que le Fair-Play Financier était une arme efficace de l’UEFA et qu’il n’était plus possible d’acheter des joueurs "à n’importe quel prix", alors que son club a dépensé 300 millions d’euros l’été suivant et donc 150 millions d’euros cet hiver. » Et ce n’est pas fini. Il ne manquerait pas un attaquant de pointe tueur à Chelsea par hasard ?