Coupe du monde de rugby : Comment faire pour ne pas laisser le cas Antoine Dupont pourrir la vie du XV de France ?
rugby Une question qui n’est pas sans rappeler ce qui était arrivé à l’équipe de France de foot en 2002 avec la blessure de Zidane
- Le XV de France a repris l’entraînement en ce début de semaine, afin de préparer le dernier match de poule contre l’Italie et - si tout va bien - la phase finale à venir.
- Evidemment, le cas d’Antoine Dupont est au cœur des préoccupations et focalise l’attention médiatique.
- Il revient à l’encadrement de l’équipe de France de préserver les autres joueurs du groupe pour conserver la dynamique et éviter le psychodrame vécu en 2002 par les Bleus du foot avec la blessure de Zidane.
Fabien Galthié aime les défis et les équations complexes posées parfois par le destin. Le voilà servi. Comment faire, en effet, pour ne pas laisser le cas Antoine Dupont parasiter l’environnement du XV de France alors même que son joueur majeur est incertain pour les matchs qu’on attend tous, lui le premier, depuis quatre ans ? Les bonnes nouvelles apportées par William Servat mardi soir ne change rien à l'affaire, l'incertitude demeure et les conférences de presse continuent de tourner autour de la santé du capitaine. Hasard ou pas, deux d'entre elles, programmées de longue date, ont été annulées cette semaine.
Cela a été dit et redit depuis jeudi dernier, la France avec ou sans son demi de mêlée n’est pas la même. Dupont est au centre de (quasiment) tout dans cette équipe. Sur le terrain, c’est lui qui prend en charge le jeu de dépossession, qui déclenche les fulgurances, qui donne plus de passes décisives que les autres. En dehors, c’est lui qui prend la lumière, qui donne confiance à ses équipiers et qui impressionne les adversaires même les plus coriaces.
« Et nous, on est des cons ? »
L’un des plus beaux hommages sur le capitaine français est venu d’Angleterre (oui oui), en la personne de l’ex-international Ugo Monye, dans le podcast officiel de la Coupe du monde : « C’est le meilleur joueur du monde, personne ne peut offrir ce qu’il offre. C’est de loin le meilleur joueur de sa génération. Comment le remplacer ? Est-ce que la France a moins de chance de gagner ? Évidemment, les stats le prouvent. »
Les Bleus qui perdent leur maître à jouer au pire des moments, cela rappelle inévitablement ce qu’a vécu une autre équipe de France, même si on a tendance à vite passer ce chapitre quand on raconte la glorieuse histoire du sport français à nos enfants. En 2002, Zinédine Zidane s’était blessé à la cuisse lors du dernier match de préparation avant la Coupe du monde, et on n’avait plus parlé que de ça jusqu’à la piteuse élimination des champions du monde en titre dès les poules.
« C’est une grosse faute. Quand tu sélectionnes les vingt-deux meilleurs joueurs, tu ne peux pas focaliser l’attention du monde entier sur un seul qui n’est pas en état de jouer. Parce que les autres ont le même ego, avait regretté des années plus tard le sélectionneur de l’époque Roger Lemerre dans une interview à L’Equipe. Il n’y avait que des articles sur la blessure de Zizou, et les autres n’en pouvaient plus. La réflexion d’un joueur m’a ouvert tardivement les yeux : "Et nous, on est des cons ?" et je me suis dit : "Roger, ton groupe est mort." »
Aux premières loges lors de ces semaines difficiles, Henri Emile ne peut que conseiller aux copains du rugby de fermer les yeux et les oreilles. « C’est dur pour le groupe de se protéger, estime celui qui était l’adjoint de Lemerre. C’est normal d’en parler oui, mais à partir du moment où on sait ce dont le joueur souffre et qu’il faut patienter, il faut le laisser se soigner. Moins on fera de bruit autour de Dupont, mieux se portera l’équipe et plus lui sera à l’aise pour revenir. »
Les médias ont leur part de responsabilité, rappelle-t-il, mais le plus important est que l’encadrement du XV de France se focalise sur ce qu’il peut maîtriser : l’état d’esprit des joueurs en interne. Déjà, la cellule psy est là pour réguler les éventuelles tensions et aider les joueurs à gérer leurs émotions par rapport à cette situation. Mais il convient de ne pas oublier que le football et le rugby sont deux sports différents, régis par des dynamiques dans les rapports humains qui leur sont propres.
Agacement ou soulagement ?
Le préparateur mental Anthony Mette connaît bien les deux côtés de la barrière, pour travailler à la fois auprès de footballeurs et de quelques joueurs actuels du XV de France. Selon lui, l’attention portée sur Antoine Dupont n’est pas mal vécue par les autres, au contraire. « On ne parle plus de Bastien Chalureau, des petits soucis à l’entraînement, des petites tensions. Ça leur permet d’être plus libérés, assure-t-il. C’est presque un soulagement, parce que la pression est tellement forte quand on joue une Coupe du monde, qui plus est à domicile, que tout ce qui peut vous en enlever un peu est plutôt positif. »
Le problème des « ego » soulevé par Roger Lemerre n’en serait donc pas un, dans ce cas. Et puis les rygbymen vivent avec le risque de graves blessures, pour eux ou leurs équipiers, toute leur carrière. Il n’empêche, une attention toute particulière doit être portée sur ceux qui auront la charge de remplacer Dupont sur le terrain, que ce soit pour un match ou le reste de la compétition. Maxime Lucu et Baptiste Couilloud seront scrutés, leurs prestations disséquées, voire comparées avec celles d’un des meilleurs joueurs du monde. Pas un cadeau, évidemment. Mais le piège n’est pas une fatalité.
L’accompagnement des remplaçants
« C’est là le rôle du staff et des autres joueurs. De montrer qu’ils font totalement confiance aux gars qui vont être sur le terrain à sa place », dit Henri Emile. L’ancien technicien s’appuie pour illustrer son propos sur un souvenir beaucoup plus heureux, celui de la Coupe du monde 1998. Expulsé lors de la demi-finale, Laurent Blanc avait été « le premier à soutenir Franck Leboeuf et à l’aider à se préparer » pour affronter le Brésil en finale, « et tous les autres joueurs avec lui ». Avec succès, puisque le défenseur de Chelsea avait réalisé un très grand match face à Ronaldo, Rivaldo et leur bande.
C’est sûrement en ce sens que le retour du capitaine à Aix-en-Provence en cette fin de semaine est primordial. « Sa présence sera importante humainement et tactiquement, se projette Arthur Vincent. Il aura des choses à dire, il pourra apporter son expertise sur certaines phases de jeu. » Et rassurer ses remplaçants, leur dire que tout va bien se passer.
Ensuite, ce sera aux entraîneurs de jouer. « Ils devront être très clairs avec eux [Lucu et Couilloud] sur leurs attentes d’un point de vue technique et tactique, conseille Anthony Mette. Leur expliquer exactement ce qu’on attend d’eux, dans quels schémas, quelles situations précises sur le terrain, pour qu’ils puissent se projeter. » Le tout adapté à leurs qualités propres, car il ne faut pas leur demander de faire du Dupont à la place de Dupont.
De ce point de vue, les deux semaines qui paraissaient interminables entre le match de la Namibie et celui de l’Italie sont finalement un luxe bienvenu. Elles offrent le temps de se retourner sur la tactique à adopter, de peaufiner les associations et de mettre les joueurs concernés dans les meilleures dispositions. « C’est un défi intéressant pour un staff, estime Henri Emile avec du recul. Et dont il peut se servir. Parce que tout ce qui se passe dans ces moments-là, ça ne s’échappe pas, ça reste. » La grande théorie du sentiment d’injustice face au coup du sort qui soude encore plus les troupes ? C’est toujours mieux que celle de la blessure qui fait tout imploser.