Coupe du monde de rugby : La folle affaire d’un départ d’Eddie Jones au Japon a-t-elle plombé l’Australie ?

RUGBY Evoqué samedi par la presse australienne, le possible départ prématuré du boss des Wallabies vers la sélection japonaise a pu fragiliser un jeune groupe qui a sombré contre le pays de Galles, dimanche lors d’un supposé choc du Mondial (6-40)

Jérémy Laugier
Le sélectionneur australien Eddie Jones, ici lors de l'échauffement avant la rencontre phare contre le pays de Galles, qui a vite tourné à la correction, dimanche au Parc OL (6-40).
Le sélectionneur australien Eddie Jones, ici lors de l'échauffement avant la rencontre phare contre le pays de Galles, qui a vite tourné à la correction, dimanche au Parc OL (6-40). — Christophe Ena/AP/SIPA
  • L'Australie est quasiment assurée de quitter la Coupe du monde de rugby 2023 dès la phase de poules, en raison de la claque subie dimanche contre le pays de Galles au Parc OL (6-40).
  • Cette contre-performance historique du double champion du monde peut s’expliquer par l’inexpérience du jeune groupe retenu par l’emblématique Eddie Jones, de retour aux affaires en 2023 à la tête des Wallabies.
  • Pour autant, le sélectionneur de 63 ans nourrit beaucoup d’espoirs en vue du Mondial 2027 à domicile… tout en cherchant à déjà quitter le bateau pour filer au Japon ?

Au Parc OL,

Leur plus lourde défaite ever en Coupe du monde de rugby et quasiment la garantie de ne pas sortir de la phase de poules pour la première fois de leur histoire dans un Mondial : les Wallabies ont signé un sacré coup double dimanche au Parc OL. L’immense claque subie contre les Gallois (6-7 à la 14e, 6-40 au final) sera rangée au panthéon des fiascos indélébiles d’une sélection australienne double championne du monde (1991 et 1999), et encore finaliste de la prestigieuse épreuve en 2015. Bouffés par les Fidji une semaine plus tôt à Saint-Etienne (15-22), les hommes d’Eddie Jones ont été incapables de relever la tête à Décines. Alors que le seul « espoir » réside à présent dans d’improbables chokes fidjiens contre la Géorgie et le Portugal, le sélectionneur australien cristallise les critiques au pays.

Il n’y a qu’à voir à quel point dès la présentation des équipes, il a subi autant de sifflets que Rudi Garcia et Karl Toko Ekambi en leur temps dans ce même stade. On reproche surtout au finaliste du Mondial 2003 (lors d’un premier bail de quatre ans avec l’Australie) et 2019 (avec l’Angleterre) d’avoir snobé des joueurs expérimentés comme Quade Cooper et Michael Hooper pour miser sur le groupe le plus jeune des vingt participants à ce Mondial (25,8 ans en moyenne). Un pari perdu dans les grandes largeurs, au vu du désastreux bilan sur l'année 2023, avec sept défaites en huit matchs disputés.

« J’assume l’entière responsabilité de cette défaite »

Prostré dans ses mains durant toute la seconde période dimanche, Mr Eddie a devancé les questions en conférence de presse dimanche soir : « Je présente mes excuses à tous les Australiens. J’assume l’entière responsabilité de cette défaite. Cette jeune équipe a vraiment tenté, mais on n’a pas les armes actuellement pour faire déjouer une équipe comme le pays de Galles. C’est très décevant ». Ce bref mea culpa a été suivi d’un drôle de règlement de comptes entre le technicien de 63 ans et la presse australienne.

En cause un article publié la veille par le Sydney Morning Herald, et faisant état d’un entretien via Zoom entre Eddie Jones… et la fédération japonaise de rugby, en vue de diriger à nouveau la sélection nippone (après une aventure de 2012 à 2015) à la sortie de ce Mondial en France. « Sa popularité était haute quand il a démarré à la tête de l’Australie en janvier dernier et elle est descendue en flèche ces dernières semaines, nous raconte Thomas Decent, le journaliste par qui l’affaire Eddie Jones a éclaté samedi. Ce résultat contre le pays de Galles sera très dur à digérer pour tous les fans de rugby en Australie. »

Il discute avec le Japon deux jours avant un France-Australie ?

Celui-ci est formel : « Je suis sûr à 100 % de cet entretien avec des dirigeants japonais, le 25 août 2023, soit deux jours avant le test-match contre la France (41-17), pour vite en devenir le sélectionneur, malgré son contrat de quatre ans avec la fédé australienne. Je ne pense pas qu’il aurait été viré malgré l’élimination dès les poules en Coupe du monde. Mais veut-il rester à la tête de l’Australie ? Il a beau nier cette affaire avec le Japon, je ne suis pas sûr qu’il était super convaincant ». On vous laisse juger la gestion du gaillard face à l’étouffant pressing des médias « aussies », tous à bloc sur le sujet en conférence de presse d’après-match.

Eddie Jones vit un sacré cauchemar durant cette Coupe du monde en France.
Eddie Jones vit un sacré cauchemar durant cette Coupe du monde en France. - SEBASTIEN BOZON / AFP
« Eddie, êtes-vous déterminé à continuer au poste de sélectionneur de l’Australie ?
- Oui, à 100 %. Je suis revenu en Australie pour essayer d’aider. Pour le moment, je n’aide pas beaucoup (sourire) mais je ne vais rien lâcher. Il ne faut pas juste faire progresser les Wallabies, il faut faire évoluer le système du rugby australien dans son ensemble. A nous de jeter un bon regard afin d’améliorer notre rugby.
- Avez-vous eu un entretien avec des dirigeants japonais ?
- Je ne vois pas de quoi vous parlez.
- Eddie, avez-vous un autre entretien de prévu avec le Japon ?
- J’ai déjà dit que je ne savais pas de quoi tu parlais, mec.
- Pouvez-vous assurer aux fans australiens que vous ne serez pas le sélectionneur du Japon l’année prochaine ?
- Je suis engagé avec la sélection australienne.
- L’année prochaine également ?
- Je suis engagé avec la sélection australienne. (Avant de perdre ce qui lui restait de flegme, au bout d’une soirée en tous points cauchemardesque)
- J’en ai marre de ces questions mettant en doute mon engagement avec l’Australie. Je travaille non-stop depuis que je suis là. Je le répète : je m’excuse pour les résultats mais douter de mon engagement ici me semble un peu osé. Donc on va en rester là avec ces questions à ce propos. Ça me va de parler du match du pays de Galles, de celui à venir contre le Portugal mais pas de ça. Alors, vous décidez quoi ? »

« J’ai honte pour le peuple australien »

Game over pour ces quinze minutes d'un ping-pong médiatique tendu à souhait. La presse australienne a ensuite tenté de savoir si cet article du Sydney Morning Herald avait perturbé le groupe. « Je ne pense pas que nous étions au courant de quoi que ce soit, indique le capitaine David Porecki (30 ans). Nous avons fait notre meilleure semaine de préparation et notre défaite n’a rien à voir avec ces rumeurs. Nous n’avons juste pas été assez bons ce soir. » Un constat implacable qui ne date pas de cette tartasse galloise, mais que ce flou non prévu autour de l’avenir d’Eddie Jones n’a pas arrangé en vue de ce quasi 8e de finale de la Coupe du monde si mal négocié.

La sinistrose est totale pour les Wallabies, à commencer par Angus Bell (à gauche), en larmes après la cuisante défaite concédée contre les Gallois à Décines.
La sinistrose est totale pour les Wallabies, à commencer par Angus Bell (à gauche), en larmes après la cuisante défaite concédée contre les Gallois à Décines. - Laurent Cipriani/AP/SIPA

Le jeune pilier Angus Bell (22 ans) a tenu à clamer son soutien pour son probable futur ex-sélectionneur : « Bien sûr que nous voudrions qu’il continue avec nous. C’est notre coach, il essaie de construire quelque chose. Là, nous sommes avant tout tous dévastés par cet échec ». Dans la même veine, son coéquipier David Porecki poursuit : « Le pays de Galles nous a surclassés ce soir. J’ai honte pour le peuple australien. Il va falloir assumer nos responsabilités. » Au-delà de l’imbroglio japonais, Eddie Jones assume de son côté sa stratégie depuis un an, même si elle se matérialise comptablement par une folle spirale de la lose seulement stoppée contre la Géorgie (35-15) le 9 septembre.

Quand on arrive au poste de sélectionneur, on veut gagner directement et bâtir la meilleure équipe. Mais en acceptant ce poste, j’ai immédiatement compris qu’il fallait reconstruire les Wallabies. Le changement entraîne parfois plus de douleur que de plaisir. Ce qui vous semble être un bazar aujourd’hui n’en est pas un, je vous le garantis. Ce soir, on voit que c’est le prix à payer pour progresser. Ces jeunes joueurs ont souffert aujourd’hui. Ne vous méprenez pas, c’est la période la plus douloureuse qui soit mais c’est aussi le meilleur moment pour apprendre quand on est une jeune équipe comme la nôtre. Tous les groupes sont passés un jour par ce que nous vivons aujourd’hui. Angus Bell, Nick Frost, Tom Hooper, Fraser McReight et Valetini feront un jour partie des meilleurs joueurs du monde. Si je ne croyais pas en la possibilité de gagner la Coupe du monde, je ne serais pas là. Je pense que j’ai la capacité à inverser les choses. »

« Mettre les clubs et la sélection à l’unisson »

Au point d’être un réel prétendant à la victoire finale dans quatre ans à domicile ? Mouais, dur de se projeter là-dessus après un tel fiasco XXL, et ce surtout avec un Eddie Jones aux commandes qu’on avait rarement vu aussi abattu que dimanche durant tout ce second acte cataclysmique. Pour avoir une expertise plus lucide concernant les Wallabies, il fallait finalement tendre le micro au camp d’en face.


« Je pense que la domination des équipes néo-zélandaises dans le Super Rugby n’aide pas l’Australie, confie ainsi Warren Gatland, le sélectionneur néo-zélandais du XV du Poireau. C’est comme pour le pays de Galles : il faut que les provinces soient performantes pour tirer la sélection vers le haut. Je pense que le rugby australien a les joueurs et les entraîneurs. Il faut juste que les franchises et équipes régionales brillent et bossent bien pour que cela rejaillisse sur la sélection. Au pays de Galles, on a vécu cette difficulté de mettre les clubs et la sélection à l’unisson. La clé est là je pense, vu de l’extérieur. » Place à une cargaison de pop-corn pour scruter si ce cher Eddie Jones va tenter de redresser d’ici 2027 les Wallabies... ou le Japon.