Blessure d’Antoine Dupont : « Ça semble vraiment compromis », explique un spécialiste de la chirurgie maxillo-faciale
RUGBY Le docteur Cédric Hardy, du Centre aquitain de chirurgie maxillo-faciale, a répondu à nos questions afin de savoir ce qui attendait Antoine Dupont, victime d’un énorme choc à la pommette contre la Namibie et incertain pour la suite de la compète
- Malgré la belle victoire du XV de France, jeudi, contre la Namibie, la soirée a été en partie gâchée par la blessure du capitaine Antoine Dupont.
- Celui-ci souffre d’une fracture « maxillo-zygomatique » et va se rendre à l’hôpital Purpan de Toulouse afin d’être examiné par le Professeur Frédéric Lauwers, spécialiste reconnu de la chirurgie maxillo-faciale.
- 20 Minutes a interrogé un autre spécialiste de la discipline, le docteur Cédric Hardy, du Centre aquitain de chirurgie maxillo-faciale., afin d’en savoir un peu plus sur ce qui attend le capitaine des Bleus.
Malgré la trempe historique, la France tremble et les téléphones des chirurgiens maxillo-faciaux vibrent de partout. Afin de savoir à quelle sauce va être mangé Antoine Dupont, victime malheureuse d’un tampon maousse costaud, jeudi soir, lors du match face à la Namibie, et souffrant aux dernières nouvelles d’une fracture « maxillo-zygomatique », nous avons contacté l’un des spécialistes de la discipline, le docteur Cédric Hardy, du Centre aquitain de chirurgie maxillo-faciale.
Si celui-ci prend toutes les précautions d’usage qui prévalent dans ce cas-là, n’ayant pas pu ausculter lui-même le capitaine du XV de France, en larmes jeudi soir après sa sortie du terrain, il n’en reste pas moins pessimiste quant à un retour du joueur dans les semaines à venir.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’une fracture maxillo-zygomatique ?
C’est une fracture de la pommette, l’os qu’on palpe sous l’œil. C’est une fracture de ce qu’on appelle le zygoma.
C’est une blessure que vous connaissez bien ?
Oui, absolument. On travaille dans une région de l’Ovalie et on est régulièrement confronté à ces types de blessures. On reçoit beaucoup de joueurs amateurs et professionnels ayant subi le même type de fractures, c’est malheureusement assez commun chez les rugbymen.
En tant que spécialiste, quand vous voyez le choc en direct, vous vous dites quoi ? Aïe ?
Oui, c’est exactement ça, on se dit aïe ! On a eu la même frayeur pour Jonathan Danty, souvenez-vous, contre les Sud-Africains à Marseille (fracture du plancher orbitaire, le 22 novembre dernier, à Marseille). Même type d’impact haute cinétique, et donc même frayeur. Même si ce sont des sportifs de haut niveau, que ce sont des gaillards et qu’ils n’ont pas la même physiologie que nous, automatiquement, sur un os zygomatique, on se dit qu’il y a quelque chose qui a dû casser ou, au moins, se fissurer. Ça va être ça le vrai travail de l’équipe du professeur Lauwers à Toulouse - qui a une super équipe –, à savoir d’évaluer si la fracture est déplacée et s’il y a besoin d’une intervention, ou non. Et s’il y a eu une extension de la fracture sur l’os sous l’orbite. Tout cela va conditionner la récupération du joueur.
Si on comprend bien, on ne parle pas encore d’opération mais d’examens complémentaires, une fois que l’hématome sera résorbé, afin de savoir s’il faut opérer ou non, c’est ça ?
Le professeur Lauwers va le voir cliniquement, il va voir les images, et c’est le scanner qui nous donne le diagnostic. Ensuite, trois possibilités. La première, c’est qu’il y a une fracture mais qu’elle n’est pas déplacée, dans ce cas la chirurgie n’est pas nécessaire, on laisse l’os se consolider tout seul. Mais on parle tout de même de six semaines minimum. Deuxième option : C’est déplacé. Mais il y a des déplacements qui nous permettent, par manœuvres externes, de réduire la fracture en replaçant l’os à la bonne position, et en faisant ça, ça tient tout seul. Ça nous permet de positionner correctement le malaire (l’os zygomatique) mais de ne pas avoir à faire de grandes ouvertures et de ne pas mettre de matériel, ce qu’on appelle l’ostéosynthèse, c’est-à-dire des plaques et des vis pour fixer l’os, ce qui reste une option confortable. Même si, là, c’est quasiment huit semaines sans contact. Et donc la dernière option, la pire, c’est qu’il y a une fracture qui s’est déplacée et qui est instable. Dans ce cas-là on est obligé d’en passer par les plaques et les vis afin de repositionner l’os.
Et là ?
Et là c’est huit semaines minimum, sans compter qu’il faut ensuite retirer le matériel, parce que les rugbymen sont exposés à un risque de nouvelle fracture plus important que la population générale.
On a donc la sensation que ça va être long dans tous les cas…
Oui, malheureusement. Le seul élément qui pourrait être positif pour un retour à la compétition, c’est que ce soit une fissure non déplacée et qu’en quatre semaines on puisse valider son retour sur les terrains. Mais, malgré tout, ce type d’impact aura presque fatalement des conséquences dans ses capacités d’engagement, pour aller au contact. Il a pris un énorme tampon, on l’a tous vu, et retourner dans la compétition à ce niveau d’intensité, ça peut avoir un impact psychologique important, quand bien même Antoine Dupont est un dur au mal et costaud dans sa tête. Le corps s’en souvient, la tête aussi. C’est ce que les joueurs me disent presque systématiquement après une telle blessure, c’est toujours compliqué de repartir au combat sans la moindre appréhension.
Le staff parlait encore ce matin d’une forme d’espoir, de possibles « bonnes nouvelles » dans les 48 à 72 prochaines heures, une fois l’hématome résorbé. L’idée est donc d’attendre la disparition de l’hématome afin de dresser un diagnostic définitif et donc un plan d’action ?
Je pense sincèrement qu’ils l’ont déjà avec l’imagerie. La suite tient plus à des choses de l’ordre de l’affinage, sur l’examen général de l’os, de pouvoir l’examiner et d’appuyer sur les fragments sans lui faire trop mal, afin de sentir, au doigt, le mouvement des fractures. Mais le scanner qu’il a dû passer donne déjà le diagnostic.
La pose d’un masque peut-elle s’avérer utile ?
Ça peut l’être avant tout d’un point de vue plus psychologique que mécanique. Et ça peut être utile uniquement dans le cas d’une fracture non déplacée, et qui en quatre semaines peut se reconsolider. Ça lui permettrait surtout d’être rassuré, mais pas plus. Le seul moyen de protéger un joueur avec une telle blessure, ce serait un masque intégral type NFL, ce qui n’est pas autorisé. Cette affaire me semble vraiment compromise.
La difficulté est d’évaluer le risque pour la santé du joueur sur le long terme. L’envie et la motivation vont être là, c’est le rendez-vous d’une vie, il est à un point culminant de sa carrière, mais si on le remet sur terrain trop vite, est-ce qu’on ne lui fait pas courir un risque supplémentaire ? Antoine Dupont est un compétiteur, et comme c’est souvent le cas avec eux, d’autant plus dans un tel rendez-vous qu’est une Coupe du monde de rugby, il va éluder le risque pour être de retour le plus vite possible. Ça va donc être le rôle du chirurgien et de son équipe d’évaluer la balance bénéfice/risque et d’en parler avec le joueur. A chaque fois, on peut choisir le type de prise en charge en fonction de chaque patient, de ses intérêts, de ses envies. Au final il y aura une vraie discussion pour peser les pour et les contre.
D’autant que les probabilités de recevoir un nouveau choc au même endroit, s’il revient en quart ou en demi-finale…
[Il coupe] Sont évidemment élevées.
Et dans ce cas de figure, on parle de dangers plus grands encore, notamment d’un point de vue de la vision ?
C’est exactement ça, le vrai sujet c’est l’orbite, c’est l’œil. Le plancher orbitaire est juste derrière cet os-là et il est souvent fracturé. C’est une sorte de coquille d’œuf, il est donc fracturé à son tour par répercussion. L’onde de choc, en déplaçant la pommette, va venir fracturer ce petit os et il faut le reconstruire, sinon on peut avoir des soucis de vision en 3D, avec ce qu’on appelle des dystopies. Une descente d’un œil par rapport à l’autre, ça a forcément des conséquences. Il faut donc voir à long terme. Il y a cette échéance de Coupe du monde, mais il faut aussi penser à toute sa carrière derrière. C’est le rôle du staff médical de discuter avec le joueur et le staff de l’équipe de France, afin de prendre la meilleure décision.