XV de France : « Pendant l’hymne, on était blancs comme des cachets d’aspirine », se souvient Harinordoquy
INTERVIEW L’ancien troisième ligne du XV de France revient sur l’échec des Bleus lors de la Coupe du monde 2007 en France, avec des joueurs inhibés par la pression et l’engouement populaire autour de leur équipe.
- Le XV de France affronte la Nouvelle-Zélande en ouverture de sa Coupe du monde, vendredi, au Stade de France.
- Pour l’occasion, l’ancien troisième ligne du XV de France Imanol Harinordoquy a accepté de revenir pour 20 Minutes sur le Mondial 2007 en France.
- Il évoque la pression ressentie par les joueurs lors du match d’ouverture face à l’Argentine, et les raisons de leur échec (défaite en demi-finale face aux Anglais).
Alors que le XV de France s’apprête à lancer sa Coupe du monde à la maison, vendredi, au Stade de France, face aux All-Blacks, c’est tout un peuple qui se prête à rêver du titre suprême, le 28 octobre prochain. Si les Bleus n’ont jamais paru aussi forts et aussi prêts, et ce malgré les couacs de dernière minute avec les blessures de trois cadres (Ntamack et Willemse forfaits, Baille sur la touche), il leur faudra aussi ne pas se laisser bouffer par la pression et les attentes du public français.
Pour cela, ils pourront s’appuyer sur l’expérience des Bleus lors de la Coupe du monde en France 2007, passés à côté de leur match d’ouverture face aux Argentins à cause d’une très mauvaise gestion du contexte environnant. Malgré une victoire historique face aux Blacks, disputée à Cardiff, au pays de Galles, le XV de France tombera finalement contre une petite équipe d’Angleterre en demi-finale. De quoi laisser d’immenses regrets à Imanol Harinordoquy, le troisième ligne des Bleus cette année-là. Pour 20 Minutes, l’ancien a accepté de revenir sur ce triste souvenir et de distiller quelques conseils à la nouvelle génération.
Que retenez-vous de ce Mondial 2007 à la maison ? Qu’est-ce que cela fait d’aborder une telle compétition à domicile ?
Nous, paradoxalement, on n’a pas su se servir de l’engouement autour de nous, de la ferveur du public, pour nous porter sur le match d’ouverture, notamment parce qu’on s’est totalement coupé de ce qui se passait autour de nous pendant la préparation. On a été longtemps retranchés à Marcoussis et ce n’est que le jour J, en faisant le trajet en bus jusqu’au Stade de France, qu’on s’est rendu compte de l’attente énorme que suscitait l’équipe de France auprès des Français. C’était incroyable de voir les milliers de personnes au bord de la route, les motos qui nous escortaient avec des drapeaux, et finalement cette pression nous a écrasés. Quand on regarde nos têtes pendant les hymnes, on est blanc comme des cachets d’aspirine et on n’a jamais été à notre vrai niveau durant ce match d’ouverture.
Vous protéger de cette ferveur populaire a été une erreur ?
Bien sûr que oui. On se rend compte avec le recul que c’est vraiment à partir du moment où on vit la chose pleinement, où on en profite, qu’on peut donner la pleine mesure de ses moyens. Ce n’est pas en se coupant de tout, en se disant qu’on va se mettre dans une bulle qu’on va être performant. Ce qui est important c’est de se servir des expériences passées et d’en tirer des leçons, c’est ce que fait l’équipe de France actuelle avec les membres du staff qui étaient joueurs à l’époque (Galthié, Ibañez). Ils ont bien compris ça, ils ont pleinement vécu leur préparation dans un camping à Capbreton, ouvert au public, ils ont eu des plages de liberté afin de s’épanouir de la meilleure des manières, en famille, avec les amis ou au sein du groupe, et c’est une très bonne chose. Une Coupe du monde est une aventure humaine et il faut la vivre pleinement pour être performant.
Qu’avez-vous ressenti dans le bus, sur le trajet menant au Stade de France ?
Ça nous a vraiment inhibés, on a ressenti que la pression était palpable chez tout le monde et on ne s’attendait jamais à vivre un tel truc. On n’était pas préparé à ça, on ne s’attendait sincèrement pas à autant d’engouement. Ça nous a pris à la gorge, aux tripes, on n’avait pas du tout anticipé ça, on n’en avait pas parlé entre nous ni avec le staff, et ça a été quelque chose qu’on n’a pas su assimiler à quelque chose de positif. Tout cela mis bout à bout a fait qu’on s’est emmêlé les pinceaux sur le terrain. Et au fur et à mesure que le match avançait, la pression nous a écrasés.
Sans parler de la lecture de la lettre de Guy Moquet quelques heures avant le match. Comment vous avez vécu ça ? Ça a été un moment fort en émotion, trop peut-être ?
Non, ça n’a pas été fort en émotion, c’est ça le pire ! On n’était au courant de rien, on ne savait pas d’où ça sortait et, surtout, on n’a pas compris ce que ça venait faire là. Ça n’a fait que rajouter de l’extra-sportif dans un contexte sportif déjà lourd et on n’en avait clairement pas besoin. Encore aujourd’hui personne ne comprend ce qu’il s’est passé à ce moment-là, personne n’avait été tenu au courant. On rentrait d’une balade près de notre hôtel à Charles de Gaulle, le temps était maussade, il y avait un ciel gris très bas, très pesant, qui donnait une ambiance lunaire…
Que faut-il dire à un groupe à quelques minutes d’arriver au Stade de France pour le match d’ouverture d’un Mondial, face aux All Blacks qui plus est ?
Je pense que tout a été plus que planifié, que ce soit sportivement, humainement, physiquement, stratégiquement. Les joueurs savent que tout a été fait pour qu’ils soient dans les meilleures conditions pour aborder ce premier match. Le discours, c’est de dire les mecs, vous avez fait tout ce qu’il fallait, maintenant soyez un peu égoïstes et profitez-en, c’est votre moment. Une Coupe du monde dans son pays on ne le vit qu’une fois dans une carrière. L’idée c’est de ne sortir que le positif et se servir de ce qui a été fait pour donner le meilleur le Jour J. Ils ont aussi une confiance collective qui devrait leur permettre de passer aussi les moments difficiles, car il y en aura. Pour le reste, quand on arrive au stade, il n’y a plus grand-chose à faire, le boulot a été fait. Si c’est un discours cinq minutes avant le match qui doit tout changer, c’est qu’il y a un truc qui cloche.
Quelle était l’ambiance après le match d’ouverture en 2007 ?
C’était catastrophique. Tout le monde était passé à côté de son match et on se retrouve dans une situation très compliquée où tu te bats pour finir deuxième du groupe tout en sachant que ce sont les All-Blacks qui t’attendent en quart de finale. A partir de là, on s’est mis en mission commando, il n’y avait plus de jokers, plus d’excuses, c’était à nous de nous prendre en mains et de devenir acteurs de notre Coupe du monde. Le soir même, en rentrant à Marcoussis, notre regretté Christophe Dominici a pris l’initiative de secouer le cocotier et de nous réunir dans un pauvre bistrot de Marcoussis. Le but c’était de resserrer les liens, de crever l’abcès, d’évacuer la pression et de se dire ''on repart sur quelque chose de nouveau, on retrouve de la joie de vivre et notre véritable niveau''. En gros tout ce qu’on n’avait pas fait pendant la préparation.
Vous parliez du côté bunker de Marcoussis. En cela le départ à Bordeaux, pour y affronter la Namibie, vous a fait du bien ?
Oui, à partir du moment où on est partis en province, d’abord à Bordeaux, puis à Toulouse et Marseille, ça nous a fait un bien fou. On n’était plus cloisonnés à Marcoussis, on voyait un peu de monde, on pouvait aller se promener. C’est à ce moment-là que la ferveur populaire a commencé à nous porter. Et comme par hasard on a beaucoup mieux joué derrière.
Qu’est-ce que vous retenez de ce Mondial à la maison ? C’est avant tout des regrets ou la ferveur populaire finit-elle, avec le temps, par prendre le dessus ?
Ça reste un moment incroyable. Disputer une Coupe du monde à la maison, devant tes supporters et ta famille, c’est unique. Mais c’est paradoxal car le meilleur souvenir qu’on a de ce Mondial, c’est ce quart de finale gagné face aux Blacks alors qu’on nous a envoyés au pays de Galles, parce qu’on se disait qu’on allait perdre. On a été perçus, à mon sens, comme les vilains petits canards qu’il faut envoyer loin, à Cardiff, pour affronter les All-Blacks. J’avais l’impression qu’on voulait nous envoyer loin pour que personne ne nous voie perdre. Après, on s’est resserrés autour de cette idée et on a quand même vécu une aventure humaine exceptionnelle. Mais c’est triste de se dire que le meilleur moment de ta Coupe du monde, tu l’as vécu loin de chez toi et de ton public…
Un mot sur l’engouement aujourd’hui, on a vu l’accueil des joueurs à Rueil l’autre jour. Est-ce que c’est décuplé par rapport à ce que vous avez vécu en 2007 ?
Oui, clairement. Déjà parce que le rugby est aujourd’hui plus populaire et médiatisé qu’à l’époque, même si c’était déjà pas mal. Et après un gros déclin dans les années 2010, où le XV de France ne jouissait plus d’une bonne image, l’arrivée de Fabien Galthié a impulsé quelque chose de nouveau et qui plaît. Ils ont redoré le blason. On a retrouvé de la fraîcheur, du dynamisme, une très belle mentalité, des gars qui mouillent le maillot et qui font plaisir à voir. Il y a aussi toute une nouvelle génération de joueurs incroyables, il y a donc un réel engouement autour de cette équipe, et aujourd’hui c’est le point d’orgue avec la Coupe du monde qui commence. Il y a une énorme attente derrière les Bleus.
Ce groupe, cette génération, semble imperméable à la pression. Vous partagez aussi ce constat ?
Ouais, on sent une vraie dynamique dans cette nouvelle génération, ils sont capables de vivre cette pression sans que cela ne les inhibe. Ils parviennent à switcher quelques minutes avant le match, à se mettre dans leur bulle et à être étanche à la pression. Même en cours de match, on les voit très sereins collectivement, ils ne s’affolent pas, c’est la preuve qu’on est face à de grands joueurs qui, malgré leur jeunesse, font preuve d’une maturité assez incroyable.
Quel conseil leur donneriez-vous ?
D’être acteurs de leur Coupe du monde, qu’ils n’aient aucun regret. Si les choses ne vont pas, il ne faut pas qu’ils aient peur de prendre la parole. Mais je n’ai pas de doute là-dessus, cette équipe fonctionne beaucoup sur un mode participatif.
Galthié leur parlera-t-il de 2007 juste avant d’entrer sur la pelouse ?
Je pense qu’il l’a déjà fait en amont. Ils se sont servis des différentes expériences du passé pour en tirer les bonnes leçons. C’est la première fois qu’une équipe de France a été à ce point mise en avant, qu’elle a été la priorité absolue et ce depuis quatre ans maintenant, avec un travail extraordinaire des clubs qui ont mis leurs joueurs à disposition du XV de France. On a des joueurs qui ont été préservés, avec de vraies plages de repos, pour que les Bleus soient dans les meilleures conditions pour être au top pendant la compétition. Nous, on préparait une Coupe du monde deux mois avant qu’elle commence ! Je ne pense donc pas que Fabien va les baratiner avec ce qu’il s’est passé en 2007, le plus important c’est ce qu’il va arriver et on a hâte que ça commence.