Ultra-Trail du Mont-Blanc : Mathieu Blanchard savoure son duel « totalement irréel » avec Kilian Jornet
INTERVIEW Dauphin de Kilian Jornet, samedi sur l’épreuve reine de l’ultra-trail (171 km et 10.000 m de D +) à Chamonix (Haute-Savoie), avec lui aussi un temps record, l’ancien candidat de « Koh-Lanta » se confie longuement à « 20 Minutes »
- Tout comme l’incontournable vainqueur de l’épreuve Kilian Jornet, Mathieu Blanchard est parvenu à faire tomber la barre mythique des 20 heures de course lors de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (171 km et 10.000 m de dénivelé positif), samedi à Chamonix (Haute-Savoie).
- Troisième de l’UTMB 2021, et désormais deuxième de cette édition, le coureur de 35 ans présente un parcours atypique, entre sa découverte du trail en 2016 et sa participation à l’émission Koh-Lanta.
- Mathieu Blanchard, qui avoue avoir « fait sauter » son « syndrome de l’imposteur » avec cette nouvelle énorme performance autour du Mont-Blanc, est revenu sur son week-end de folie lundi pour 20 Minutes.
On l’avait quitté samedi à Chamonix sur un véritable sprint au bout de 171 km d’une course de folie. Héroïque dauphin de l’indétrônable Kilian Jornet sur l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, Mathieu Blanchard a réussi l’exploit inédit, tout comme le Catalan, de passer sous la barre des 20 heures lors de l’épreuve d’ultra la plus relevée au monde. Deux jours plus tard, cet ancien ingénieur, qui n’a découvert le trail qu’en 2016 après son déménagement à Montréal, était encore sur son petit nuage, au moment de se confier longuement à 20 Minutes.
Des souvenirs plein la tête, à l’image de la préface de son prochain livre négociée avec succès sur la ligne d’arrivée avec Kilian Jornet, le coureur de 35 ans, ex-candidat de Koh-Lanta, revient sur ce mano a mano qui a tenu en haleine toute la planète trail, et même au-delà, en raison d’une diffusion historique en direct à la télévision.
Comment se sent-on réellement, deux jours après avoir parcouru, durant 19h54, ce mythique tour du Mont-Blanc (171 km et 10.000 m de dénivelé positif) ?
Comme l’an dernier, je me sens étonnamment bien, avec seulement quelques petites courbatures, qui ne sont rien à l’échelle de l’intensité de la course. Pour le reste, j’ai totalement perdu le contrôle de toutes les demandes, entre les médias et les réseaux sociaux. C’est n’importe quoi, je ne sais pas comment je vais m’en sortir (sourire). D’ici trois jours, quand mes endorphines vont baisser, je m’attends à un contrecoup et à une petite déprime.
L’après-course peut être à ce point perturbante ?
Oui, car depuis août 2021 et ma troisième place ici (derrière François D’Haene et Aurélien Dunand-Pallaz), j’attendais cet UTMB 2022. C’est une année très intense pour moi car à chaque fois que je vais m’entraîner depuis janvier, je pense à l’UTMB. Ma vie tourne autour de cette course, que ce soit via mon podcast ou le livre que j’écris, et qui devrait sortir en janvier. J’ai décidé de quitter Montréal pour m’installer exprès en montagne au printemps. Je suis obnubilé par cette course, c’est limite trop. Et là, c’est fini, donc je sais que je vais ressentir un vide, un creux énorme dans ma vie. Je n’ai plus d’objectif de performance donc je n’ai plus de raison de m’entraîner fort. Mais j’ai la chance d’être un serial entrepreneur d’aventures donc je réussis à me rattacher très vite à un autre projet.
Arrive-t-on à s’imaginer recourir un jour lorsqu’on boucle une telle échéance de dingue ?
Oui, mais ce ne sera vraiment pas dans une optique de performance. Je dois participer en octobre aux 30 ans de la Diagonale des Fous à La Réunion pour une course en relais (4 x 37 km) avec une équipe d’aventuriers de Koh-Lanta. Ça devrait me permettre de rechausser les baskets pour la première fois dans le cadre d’une course. Puis je me lancerai sur l’Half Marathon des Sables en Jordanie (de 70 à 120 km) avec mon petit frère Lucas, qui est amputé d’une jambe, pour un projet autour de l’inclusivité. Côté compétition, je pense rester sur ce high de l’UTMB pour me focaliser sur la préparation de la saison prochaine.
On vous imagine déjà avoir prévu de viser la seule marche du podium qui vous manque à Chamonix en août 2023, non ?
C’est encore trop tôt mais avec le temps de samedi, c’est une évidence que j’ai la capacité de gagner l’UTMB. Ce sera les 20 ans de l’épreuve en 2023. J’ai envie de m’inscrire, et s’il n’y a ni Kilian (Jornet), ni François (D’Haene), j’irais. Mais s’il y en a un des deux, ce sera sans moi.
Vous pourriez dorénavant planifier vos objectifs de saison en fonction du programme des deux favoris de la discipline ?
Disons que ça fait trois fois que je vais sur l’UTMB et j’aimerais aussi découvrir d’autres courses de très haut niveau comme la Western States et la Hardrock 100 (aux Etats-Unis), ou encore la Diagonale des Fous. Quitte à retourner à Chamonix, je voudrais maximiser mes chances de victoire. J’ai l’humilité de dire que François et Kilian sont meilleurs que moi et qu’ils le seront toujours. Je pourrais bien sûr les battre, comme j’ai failli le faire samedi, mais mes chances de victoire restent limitées lorsque l’un de ces deux extraterrestres est sur la ligne de départ. D’autres athlètes sont extraordinaires, mais ils me font moins peur.
Comment avez-vous pu améliorer d’1h17 votre chrono de 2021, et même de 4 heures celui de 2018 ?
Je n’ai pas encore vraiment la réponse. Je dois essayer d’analyser tout ça au mieux. Depuis 19 ans, les experts et les geeks de l’UTMB en étaient arrivés à la conclusion que c’était impossible de mettre moins de 20 heures pour boucler l’UTMB. Alors être allé chercher cette barrière-là, c’est totalement irréel pour moi. Ce qui est paradoxal, c’est que j’ai commencé ma saison assez tard en me mettant à courir en mars, avec une quatrième place au MIUT de Madère (115 km en avril). Puis j’ai fait 5e sur le Lavaredo Ultra Trail (121 km), fin juin en Italie, avec une cheville amoindrie après une entorse trois semaines plus tôt. Je me sentais en perte de confiance et pas au top physiquement. J’ai même envisagé laisser tomber l’UTMB en voyant ma préparation cata. Du 15 juillet au 15 août, j’ai travaillé très fort dans les Alpes, mais un bloc d’un mois n’est normalement pas suffisant. Je me demande s’il n’y a pas eu un truc magique, une transcendance mentale au moment où j’ai rattrapé Kilian samedi.
Avez-vous pris conscience qu’il songeait abandonner, en raison des 15 minutes de retard sur Jim Walmsley, avant que vous ne le rattrapiez au km 120…
Oui, je suis arrivé comme une fusée et j’ai bien vu qu’il était assez amoindri. Ça reste une compétition, donc si ça avait été un autre coureur, je lui aurais dit « bon courage » et puis j’aurais tracé. Mais là, c’était Kilian Jornet, la personne qui m’a fait découvrir le trail. Mon premier film de trail, mon premier livre de trail, c’était lui. C’est une telle inspiration pour moi que je n’avais pas du tout envie de lui passer à côté en lui disant « je te double, dommage pour toi ». J’ai tellement de respect pour ce gars que je n’ai même pas osé le doubler en arrivant à sa hauteur. Je lui ai demandé si je pouvais l’aider. Il m’a dit qu’il avait un coup de mou et je l’ai incité à s’accrocher derrière moi pour ensuite faire le point au ravitaillement suivant à Champex. Puis on s’est donné l’objectif commun d’aller chasser Jim [Walmsley] dont l’avance diminuait. Une nouvelle course a commencé pour lui quand on a rattrapé et aussitôt lâché Jim vers le km 135.
Avez-vous imaginé arriver ensemble à Chamonix tant votre duel était alors serré avec Kilian Jornet ?
Non, on voulait vivre jusqu’au bout ce mano a mano qui nous amusait. Il prenait quelques minutes d’avance sur moi en montée et je comblais cet écart en descente. Dans la descente avant le dernier ravitaillement de Vallorcine (km 150), il a disparu à un moment derrière moi. Je ne sais pas ce qu’il a fait, mais j’ai cru qu’il avait craqué. Je me suis vu filer vers la victoire à l’UTMB. Je commençais à réfléchir à ma célébration à l’arrivée. Mon imagination a été de courte durée car 5 minutes après, il était à nouveau dans mes pieds, celui-là (sourire). Puis il a donné le tout pour le tout pour me mettre un carreau monumental en sortie de ravito. Je craignais d’exploser en le suivant donc je l’ai laissé filer.
Depuis samedi, vous arrive-t-il de regretter d’avoir relancé Kilian Jornet, comme il l’a lui-même reconnu ?
Non, je suis hyper fier de ce moment. Je vois ma carrière d’ultra-traileur comme un projet sur le long terme et je reste à ma place, très humble. Ça ne devait pas être pour moi cette fois-ci, c’est comme ça. Je progresse et je ne peux pas regretter de ne pas être premier : c’est Kilian Jornet devant moi, il a une intelligence pour le sport et une connexion avec son corps hors normes. Donc être deuxième, seulement 5 minutes après lui, c’est comme une victoire pour moi.
Cette deuxième place avec un temps sous les 20 heures vous a permis de montrer que votre podium 2021 n’était pas dû au hasard, et qu’il ne fallait pas vous voir comme un ex-candidat de « Koh-Lanta », non ?
Dès ma troisième place l’an dernier, on m’a vu comme un passionné de trail et non plus comme un candidat de téléréalité. C’est vrai que parfois jusque-là, j’étais déçu qu’on m’interpelle davantage dans la rue pour Koh-Lanta que pour le trail. Après, dans tous les sports, on voit souvent des athlètes auteurs du coup du siècle avant de disparaître. Pour asseoir sa crédibilité, il faut confirmer, et cet UTMB m’a permis de faire sauter mon syndrome de l’imposteur que j’avais l’année dernière.
Cette première diffusion sur la chaîne L’Equipe, vendredi et samedi, a-t-elle selon vous changé beaucoup de choses pour le trail ?
Oui, c’était énorme car on a touché des personnes qui n’y connaissaient rien en trail. Monsieur et madame Tout le monde se sont retrouvés dans leur canapé à zapper et à tomber sur ce sport inconnu, et ils ont vu un spectacle incroyable. J’ai dû recevoir 50.000 messages sur ma boîte Instagram et beaucoup me remercient pour le grand moment de sport qu’on a proposé à la télévision. C’est la toute première compétition de trail qui est diffusée en live à la télé, c’est génial pour notre sport.
Et L’Equipe comme l’UTMB ont été très chanceux que ce scénario-là ait eu lieu, car habituellement, on se fait grave c….. devant l’UTMB (rire). A Champex, au km 100, la messe est souvent dite, avec 1 heure d’écart entre tout le monde. Là, il y avait du suspense quasiment jusqu’à l’arrivée. On n’a pas joué un jeu d’acteurs pour la TV, attention (sourire). A Chamonix, on a l’impression que le monde tourne autour du trail car c’est dingue là-bas. Mais c’est un sport de niche et ça a permis de faire découvrir notre passion au grand public. Je pense que c’est un tournant pour notre sport. Ça va avoir un impact majeur dans le futur.