TFC : Avec Damien Comolli, la révolution du Big Data va déferler sur Toulouse
FOOTBALL Très probable futur président du TFC, Damien Comolli est un pionnier de l’usage des statistiques dans le football, notamment dans le recrutement
- Représentant du fonds d’investissement américain RedBird Capital Partners, Damien Comolli (47 ans) doit prendre les rênes du TFC.
- Dans tous ses clubs précédents, notamment Arsenal, Saint-Etienne, Tottenham et Liverpool, le natif de Béziers s’est appuyé sur les statistiques pour mener sa politique sportive.
- Auteur du livre Le football est une science (in)exacte, Gautier Stangret décrypte la stratégie de Comolli, qu’il avait longuement rencontré pour rédiger son ouvrage.
C’est imminent. Après 19 ans de pouvoir absolu, l’ère Sadran touche à sa fin à Toulouse. Le club va passer sous pavillon américain, avec le rachat de 85 % des parts du président actuel par le fonds d'investissement RedBird Capital Partners. « Olivier Sadran m’a expliqué que le TFC n’avait pas de data sur les performances, sur les joueurs, indiquait le maire Jean-Luc Moudenc (LR) à 20 Minutes, début juin. Or, RedBird dispose de cette méthode qu’il compte implanter en Europe, en commençant par Toulouse. »
Pour cela, les Américains, impliqués entre autres dans les New York Yankees (baseball) ou les Dallas Cowboys (football américain), peuvent s’appuyer sur leur représentant français Damien Comolli. Le futur président des Violets, en Ligue 2 ou en Ligue 1, est un pionnier des statistiques – omniprésentes dans le sport US — appliquées au « soccer ». Pour rédiger son ouvrage Le football est une science (in)exacte (éditions Amphora), sorti fin 2017, Gautier Stangret a passé de longues heures avec le natif de Béziers, aujourd’hui âgé de 47 ans.
« Il était recruteur à Arsenal quand Amisco [société niçoise qui analyse les actions de matchs] a commencé à toquer à la porte des clubs au début des années 2000, explique l’actuel chef de projet audiovisuel chez Infinity Nine Media, la boîte de production de Tony Parker. Il s’y est intéressé et en a parlé à son manager Arsène Wenger, ancien prof de maths. »
Le déclic « Moneyball »
L’autre déclic chez Comolli est d’origine familiale : « Son frère installé aux Etats-Unis lui a envoyé le livre Moneyball de Michael Lewis qui a été une révélation pour lui : on pouvait donc rationaliser le sport plutôt que se fier à des avis purement subjectifs », décrit l’ancien journaliste. Cet ouvrage de 2003, adapté au cinéma sous le titre Le Stratège en VF retrace l’épopée de Billy Beane (aka Brad Pitt dans le film). Le directeur général des Athletics d’Oakland s’est appuyé sur une approche par les datas, appelée la sabermétrie, pour rendre sa franchise de baseball plus compétitive, malgré un budget inférieur à ses rivales.
« Damien Comolli peut souffrir de l’image d’un ayatollah de la statistique, mais les gens n’ont pas idée du travail qu’il y a derrière, alors que l’on retient ses échecs plus que ses réussites », souligne Gautier Stangret. Comolli ne serait donc pas un adepte de la stat' pour la stat'. Par exemple, plutôt que de s’intéresser à la possession globale de son équipe, il affinera son approche. « Il va notamment regarder le nombre de passes réussies dans les 30 mètres adverses pour recruter un milieu offensif », témoigne Stangret.
Les courbes de Matuidi
Selon ce dernier, l’ex-directeur sportif de Saint-Etienne a fait basculer la carrière de Blaise Matuidi à la fin des années 2000. « Avec le préparateur physique, il a sorti ses courbes : Matuidi était l’un des meilleurs joueurs de Ligue 1 en termes de ballons récupérés, mais il était moyen au niveau des passes vers l’avant. En accord avec l’entraîneur Christophe Galtier, il lui a demandé de mettre plus de verticalité dans son jeu, pour devenir un milieu davantage box-to-box. » Après quelques tâtonnements, ses changements ont porté leurs fruits et le futur champion du monde a découvert les Bleus en 2010.
Entre ses deux passages chez les Verts, Comolli a officié comme manager général à Tottenham, où il a monté une cellule recherche et développement. « Il a développé la statistique des "expected goals", qui met en exergue la qualité des occasions que se crée un attaquant, pour aller chercher Dimitar Berbatov à Leverkusen », reprend Stangret.
L’exemple Berbatov
Recruté pour 15,7 millions d’euros en Allemagne en 2006, l’esthète bulgare cartonnera chez les Spurs avant de filer à Manchester United deux ans plus tard, contre 38 millions. Comolli a ensuite élargi sa démarche aux « expected assists [passes décisives] » et mêmes aux « expected passes ».
D’accord, mais l’humain dans tout ça, objecteront les nostalgiques d’un football d’avant le VAR, parfois irrationnel, où le destin d’un match chavire à cause d’un poteau carré ou d’un gardien allemand aux sorties incontrôlées ? Dans le foot selon Comolli, l’intelligence artificielle n’a pas pris totalement le pouvoir, assure Stangret. Mais le processus de recrutement est inversé : « D’habitude, un scout [recruteur] va sur le terrain pour observer un joueur, puis il est conforté par les statistiques. Avec Comolli, si un modèle statistique lui donne une information, il va envoyer un scout pour la vérifier. »
Lors d'une interview à Midi Libre en novembre dernier, le Biterrois expliquait ainsi : « J’étais persuadé qu’il y avait des déficiences dans le marché des transferts et qu’en utilisant des stats, on pouvait voir avant pour pouvoir faire un recrutement différent, détecter des talents plus tôt et ne pas tomber dans le panneau de surpayer. »
Mais malgré tous les efforts pour domestiquer le hasard, le foot sait garder un côté facétieux. A Liverpool, le dirigeant français a certes fait signer Luis Suarez, mais aussi le bide Andy Carroll. Reste le cas du milieu Jordan Henderson, déniché en 2011 à Sunderland pour ses stats de kilomètres parcourus et de ballons récupérés : « Comolli estime qu’il a été viré des Reds en grande partie à cause de ce recrutement [pour 20 millions d’euros], note Stangret. Au début, Henderson n’était pas assez efficace en termes de buts et de passes décisives. Finalement, il est devenu le capitaine qui soulève la Ligue des champions en 2019. »
Au sortir d’un échec chez les Turcs de Fenerbahçe, où il a démissionné de son poste de directeur sportif en janvier, Comolli s’apprête à prendre les rênes d’un club beaucoup plus modeste.
« Ce sera intéressant de le voir à ce niveau. Il va aller chercher des joueurs à faible valeur marchande qu’il va pouvoir développer à Toulouse. Il peut en faire un laboratoire de nouvelles technologies. Lorsque nous avions parlé, il m’avait dit que s’il reprenait un club de milieu ou de bas de tableau de L1, il pourrait aussi s’appuyer sur le jeu Football Manager et sa formidable base de données pour dénicher des bonnes affaires. »
Vu le fiasco dans le recrutement du TFC ces dernières saisons, il ne sera sans doute pas trop difficile de faire mieux, avec ou sans statistiques poussées.