Roland-Garros : « Iga Swiatek n’a aucun scrupule à marcher sur son adversaire »
TENNIS La Polonaise de 19 ans a écrabouillé tout le monde pour se dégager la voie vers la finale du tournoi
- La finale de Roland-Garros oppose ce samedi Sofia Kenin à Iga Swiatek.
- Swiatek y déboule comme un avion après avoir laminé toutes ses adversaires depuis le début de la quinzaine.
- La Polonaise de 19 ans, pour qui cette finale sera une grande première, a impressionné tout le monde par la variété de son jeu et sa sérénité face à l’événement.
A Roland-Garros,
Petit événement, vendredi, sur le Lenglen ! Iga Swiatek a perdu un set (et même le match, finalement). Alors oui, c’était en double, mais ça a quand même dû faire un peu bizarre à la Polonaise. Ça lui était encore jamais arrivé en dix rencontres disputées depuis le début de Roland-Garros. Elle s’en remettra. Parce que ce qui l’intéresse le plus, comme nous, c’est bien sa finale samedi, en simple, face à Sofia Kenin.
Swiatek, 54e joueuse mondiale, y déboule comme un avion. Non seulement la gamine de 19 ans n’a pas laissé un seul set en route, donc, mais elle a littéralement broyé toutes ses adversaires, pourtant pas des manchotes. Ça a commencé avec Marketa Vondrousova, finaliste ici l’an passé et qui sortait d’une demi-finale à Rome, balayée 6-1, 6-2. Et ça ne s’est plus arrêté. Eugénie Bouchard, ancienne demi-finaliste Porte d’Auteuil, Simona Halep, tête de série numéro 1 et vainqueure du tournoi en 2018, Martina Trevisan et Nadia Podoroska, outsiders en pleine bourre, n’ont pas fait mieux.
Quelques chiffres pour illustrer le massacre : Son match le plus long a duré 1h18 (contre Trevisan en quarts), elle n’a concédé que 23 jeux (soit MOINS DE QUATRE par match en moyenne), ses points se concluent en moins de cinq échanges en moyenne et elle n’a jamais commis plus de 20 fautes directes par match (contre généralement une grosse trentaine pour son adversaire en finale, par exemple).
Voilà ce qu’ont dit d’elle ses victimes de la quinzaine, quelques minutes après être sorties du court les joues rougies :
- Vondrousova : « Elle était tout simplement trop bonne aujourd’hui ! Elle ne m’a pas laissé de chance, elle était juste meilleure que moi. Est-ce que j’aurais pu mieux résister ? Non, vraiment, je ne pense pas. »
- Bouchard : « C’est une excellente joueuse. Elle a mis beaucoup de pression dès le départ. C’est ce que font les bonnes joueuses, et elle l’a fait largement mieux que moi. »
- Halep : « Elle est vraiment très forte quand elle peut prendre la balle en dessous de l’épaule et bien rentrer dans le terrain. C’est ce qu’elle a fait, et elle a trouvé des angles incroyables ! Bravo à elle, elle a super bien joué, elle a couvert tout le terrain. Ses balles étaient puissantes et sur la ligne de fond. Je n’ai jamais pu m’en sortir parce qu’elle dominait pleinement le match. Elle était très agressive. J’accepte cette défaite. »
- Trevisan : « C’est une joueuse qui est sur sa lancée. Elle a beaucoup d’énergies positives. »
Les joueuses ne sont pas les seules à être subjuguées. Nathalie Dechy, ex-numéro 11 mondiale, nous racontait mercredi qu’elle était passée un peu par hasard sur le court numéro 7 lors du premier tour de la Polonaise. Elle n’avait pas regretté. « C’était Vondrousova en face, et elle l’a découpé en rondelles, soufflait celle qui fait désormais partie de l’organisation du tournoi. Elle est bluffante. Elle a une super qualité de balle, et c’est une belle athlète. Elle est puissante, elle dégage quelque chose. Et puis elle n’a aucun scrupule à marcher sur son adversaire, que ce soit Halep, Trevisan ou une autre. »
Sacré phénomène que cette joueuse, dont le nom revenait parmi les espoirs du tennis féminin depuis deux ou trois ans mais que personne ne voyait éclore d’un coup comme ça. Pas même la seule Française (sur quatre tentatives) à l’avoir battue sur le circuit. « Je ne m’en souvenais même plus ! », en rigole au bout du fil Marine Partaud. Il faut dire que c’était il y a un peu plus de trois ans. L’actuelle 490e mondiale, 26 ans, s’était imposée au premier tour du tournoi du Havre.
« Elle avait 16 ans, c’était une petite junior qui arrivait, personne ne la connaissait mais elle jouait déjà très bien et elle m’avait causé des soucis [victoire en trois sets après avoir perdu le premier], retrace Partaud. Je l’ai beaucoup vue ensuite sur d’autres tournois, notamment à Montreux où elle avait gagné l’année dernière. Elle ne perdait pas beaucoup sur terre, mais de là à ce dire qu’un an plus tard elle serait en finale de Roland, c’est fou ! »
Les circonstances l’ont aidée, quand même, avec cinq joueuses du top 10 absentes et une saison tronquée par le confinement. Certaines joueuses n’en sont pas encore remises. Swiatek, elle, en a profité pour passer son bac à Varsovie. « Je ne me suis pas entraînée pendant deux mois, j’étudiais jour et nuit. J’ai fini le lycée, et puis, ensuite, j’ai fait la présaison », raconte-t-elle avec son naturel désarmant.
La fille de Tomasz, ancien rameur ayant participé aux JO de Séoul en 1988, trimballe cette simplicité en toutes circonstances. Vous pouvez lui poser n’importe quelle question en conférence de presse, elle n’en balancera aucune. Ces deux dernières semaines, elle y a parlé, en vrac, de ses études, de sa famille, de musique, de psychologie, des JO, des balles, du tournoi masculin. On n’était pas loin d’avoir son avis sur les prochaines élections américaines.
La leçon Halep
Swiatek est contente d’être là, tout simplement. Elevée sur terre, elle a toujours mis Roland-Garros au-dessus de tous les autres tournois du Grand Chelem. Même si c’est à Wimbledon qu’elle a remporté son seul Majeur chez les juniors. « J’aime jouer sur terre battue, et j’ai toujours été frappée par l’ensemble du site, explique-t-elle. J’aimais déambuler dans les allées quand j’étais junior, voir de grandes stars jouer. J’adore ce tournoi. »
Pour son premier chez les grandes, l’année dernière, elle avait pris une énorme claque face à Simona Halep en 8e de finale. Une défaite 6-1, 6-0 en 40 minutes de jeu, dont elle a tiré une grande leçon. « J’étais très stressée en arrivant sur le court. J’ai appris à mieux gérer la pression », a-t-elle expliqué après son éclatante revanche, dimanche dernier. La Polonaise a trouvé la recette, exposée après sa demi-finale jeudi : « J’ai joué ce match comme si c’était le premier tour, pour ne pas stresser et conserver cette manière agressive de jouer. »
L’idée est basique. Encore fallait-il réussir à la mettre en place. Aujourd’hui, elle dégage une maîtrise de ses émotions hallucinante pour son âge. Le fruit d’un long travail avec sa psychologue, Daria Abramowicz, à qui elle a rendu hommage après sa victoire contre Halep :
« Etre dure mentalement est l’une des choses qui comptent le plus dans le tennis. Tout le monde peut jouer à un haut niveau, mais celles qui sont costaudes mentalement, qui peuvent mieux gérer la pression, sont finalement les meilleures joueuses. J’ai toujours voulu évoluer dans ce sens. Daria est la meilleure pour moi, elle me comprend de A à Z et me connaît comme sa poche. Elle m’aide à être plus intelligente. Je comprends maintenant mes sentiments, ça m’aide à être plus confiante. »
Il lui reste à confirmer lors d’une finale de Grand Chelem. Certainement la chose la plus compliquée, mais c’est à sa portée, croit Marine Partaud. « Je suis admirative de son relâchement », dit celle qui profite de la quinzaine pour s’essayer au commentaire sur le site et l’application FranceTV Sport. Et pas seulement.
« Ce que j’aime bien chez elle, c’est qu’elle a un jeu qui dénote de 80 % des filles du top 100, qui sont des grandes qui frappent fort, reprend-elle. Elle, elle n’est pas forcément impressionnante mais elle utilise très bien le court, les zones, les changements de rythme avec des amorties. C’est intéressant aussi comme elle ne perd pas de terrain, elle prend la balle tôt et ne laisse jamais souffler son adversaire. » Bref, « elle est sans faille ». Sur ce tournoi, en tout cas. Et ensuite ?