Roland-Garros : Mais pourquoi tout le monde est fan de Diego Schwartzman ?

TENNIS L'Argentin, qui affronte Rafael Nadal vendredi en demi-finale, est l'un des joueurs les plus aimés sur le circuit

Nicolas Camus
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Diego Schwartzman a battu Dominic Thiem au terme d'un match épique en quart de finale de Roland-Garros 2020.
Diego Schwartzman a battu Dominic Thiem au terme d'un match épique en quart de finale de Roland-Garros 2020. — Alessandra Tarantino/AP/SIPA
  • Les demi-finales messieurs de Roland-Garros ont lieu ce vendredi.
  • Diego Schwartzman, pour sa première à ce niveau, affronte Rafael Nadal.
  • L'Argentin, qui est dans l'un des meilleurs moments de sa carrière, est un personnage solaire, très apprécié du public comme des autres joueurs.

A Roland-Garros,

Il y a des gens, comme ça, on sait tout de suite qu’on n’arrivera pas à les détester. C’est dommage, c’est là où on est le meilleur. Mais Diego Schwartzman est ainsi fait. Quand on voit l’Argentin, qui défie Rafael Nadal  ce vendredi pour sa première demi-finale en Grand Chelem, on a envie de le prendre par l’épaule pour aller se faire un bon asado. Et pourquoi pas accompagné d’un petit Clos de Los Siete, tant qu’on y est.

Apparemment, on n’est pas les seuls à ressentir cette vibration. Mercredi soir, Novak Djokovic  nous a surpris quand, au moment de répondre à une banale question sur Schwartzman, il s’est lancé dans une tirade enflammée quand l’habituel triptyque « oui-il-est-très-fort/il-joue-un-très-bon-tennis-en-ce-moment/j’ai-beaucoup-de-respect-pour-lui » aurait largement fait l’affaire. Mais non, voilà ce qu’a déclaré le numéro 1 mondial :

« J’ai parlé un peu avec lui dans le vestiaire, je lui ai dit que j’avais été très impressionné par sa victoire contre Thiem. Il mérite plus que d’autres joueurs, car il travaille d’arrache-pied. C’est une personne très amicale, vraiment très sympa. Tout le monde adore Diego ! Je suis très heureux pour lui, je suis fier de lui. Il est très bon sur terre battue, mais avec les années, il a aussi amélioré son jeu sur dur. Maintenant, c’est un joueur très complet. Je connais bien son entraîneur, Juan-Ignacio Chela, il a une très grande éthique de travail. Il a un bon kiné, aussi, que j’aime beaucoup. J’adore Diego et toute son équipe. »

Belle déclaration. La veille, Dominic Thiem y était aussi allé de son hommage après  le match épique  livré par les deux hommes en quart de finale. On avait d’ailleurs rarement vu le vaincu d’un match de plus de cinq heures s’en remettre aussi vite, surtout à ce stade de la compétition. « Je lui ai dit qu’il méritait cette victoire. Il va rentrer dans le top 10 pour la première fois de sa carrière et c’est un accomplissement de taille, a salué l’Autrichien. Je suis ravi pour lui. »

«Bien joué poto»
«Bien joué poto» - Anne-Christine POUJOULAT / AFP

Il faut quand même dire que les deux joueurs sont amis, et que cela aide à évacuer la frustration. Mais que ce soit Djoko ou Thiem, on les sent tous les deux sincèrement heureux que Schwartzman atteigne le dernier carré en même temps que le top 10 mondial. Enfin, à 28 ans. C’est que l’Argentin est un cas particulier, qui a gravi les marches sans vraie structure, comme beaucoup de Sud-Américains, et surtout qui a su faire avec un physique de crevette que beaucoup pensaient rédhibitoire.

« Il remettait tout face à des golgoths ! »

Avec son 1,70 m, il est en effet le plus petit joueur du top 100, et de loin. L’Argentin est une anomalie dans le tennis moderne, où les standards sont plutôt dans les 1,90m et 85kg. Forcément, dans un tournoi, on le remarque. Et on se prend instinctivement d’affection. « Je l’ai découvert en 2014, nous raconte Stéphane, un fan de tennis de la région bordelaise qui combattait un temps les insomnies en se matant des tournois secondaires en Amérique du Sud. J’ai tout de suite remarqué son profil atypique, spectaculaire. Il était petit mais il remettait tout, avec une couverture de terrain exceptionnelle. »

Deux ans plus, il le voit jouer en vrai, au Challenger de la Villa Primrose. Le coup de foudre est confirmé. « Ce qui m’avait marqué, c’était son manque de puissance. Il tapait si peu fort que c’en était surprenant, se souvient Stéphane. Mais il avait une sacrée intelligence de jeu et il remettait tout face à des golgoths ! Il était différent des autres, ça m’a plu. Et puis on s’identifie à lui, parce qu’on a l’impression qu’il n’a rien de "spécial". Je ne pensais pas qu’il irait si haut. »


Ce déficit de taille, Schwartzman en a entendu parler pendant toute sa carrière, évidemment. Qu’en pense-t-il réellement ? De toutes les déclarations que l’on a pu trouver en farfouillant sur Internet, la plus complète est celle qu’il donne dans une (très) longue lettre publiée sur le site de l’ATP en janvier. Dans ce document rappelant le style « The Player’s Tribune », pour les connaisseurs, l’Argentin se livre sur tout : sa famille, son enfance, son physique, ses difficultés, ses motivations, etc.

Voici ce qu’il dit, en très résumé : « Quand j’avais 13 ans et qu’un médecin m’a dit que je ne dépasserai pas 1,70m, j’étais dévasté. Je me demandais si j’allais continuer à jouer. Mes parents ne m’ont pas laissé sombrer. Ils m’ont dit que ma taille ne devait pas influencer mes rêves. J’ai pris conscience que quoi qu’il arrive dans ma carrière, ce n’était rien en comparaison de ce qu’ils avaient enduré, et encore moins par rapport à ce que mes ancêtres ont dû traverser. Il y a de plus gros problèmes que de faire dix centimètres de moins que tout le monde. De toute façon, ma taille ne va pas changer, je ne vais pas me réveiller un matin aussi grand que John Isner ou Ivo Karlovic. Il y a des raisons qui font que je n’ai pas toujours bien réussi, mais elles n’ont rien à voir avec ma taille. J’ai compris avec les années que tout dépendait de moi, et pas des gens autour de moi. »

Des arrière-grands-parents émigrés pour échapper à la déportation

Un peu de contexte, quand même. Les difficultés dont il parle, c’est d’abord la faillite de ses parents, qui tenaient un commerce florissant de bijoux et de vêtements et qui ont tout perdu avec la fin des importations décrétée au début des années 90. Plus d’argent, et l’obligation de s’en remettre au système-D pour trouver de quoi vivre et permettre au petit Diego de jouer au tennis. Quant à ses ancêtres, ce sont ses arrière-grands-parents, qui ont fui l’Europe de l’est (Pologne du côté de sa mère, Russie du côté de son père) et émigré en Argentine après avoir échappé par miracle à la déportation pendant la guerre.

Bref, tout cela a forgé le joueur qu’est aujourd’hui Diego Schwartzman. Et cela ne se résume pas à sa petite taille. Il s’est battu, a trouvé d’autres armes. Le tout en gardant un caractère humble et enjoué. « C’est une personnalité fantastique », a loué jeudi Gustavo Kuerten au détour d’une conférence de presse annonçant un partenariat entre Roland et des tournois sur terre battue, notamment en Amérique du Sud.

Il y a deux ans, Johan avait interviewé l’Argentin pour son site Tennis Legend. A la fin de son papier, il avait laissé cette note : « Il nous a immédiatement intégré au clan des joueurs de tennis. Alors que nous ne l’avions jamais rencontré, il nous a salué comme si on s’entraînait ensemble toutes les semaines. Il est comme ça le Diego. » Contacté, il développe : « Ça s’était très bien passé, il avait été super cool, très ouvert d’esprit. Il dégage vraiment quelque chose de sympa. »

Diego Paulich, journaliste au Diario Ole, le principal quotidien sportif argentin, confirme. « Ça à voir avec sa façon d’être, estime-t-il. Il dégage de bonnes vibrations, joyeuses, amicales, humbles, sans être une star. C’est une personne avec qui tu te sens bien et je peux comprendre pourquoi il éveille l’affection de tous. »

« C'est comme ça que je suis avec les gens que j’aime »

Federico Coria ne dira pas le contraire. Le petit frère de Guillermo (finaliste à Roland en 2004), joueur moyen né la même année que lui, a toujours pu compter sur le soutien de Schwartzman. « Il commence à entrer dans les tournois du Grand Chelem alors je lui parle beaucoup, dit le bon Diego. Je le connais personnellement, je connais sa famille et lui il sait tout de moi. Alors c’est important pour moi de l’aider à faire les choses au mieux. C’est comme ça que je suis avec les gens que j’aime. »

Des paroles qui ne restent pas en l’air. Pendant le confinement, l’Argentin a organisé avec son ami footballeur Paulo Dybala un grand tournoi de jeux vidéo avec des célébrités (dont Thiem) pour récolter de l’argent pour la Croix-Rouge argentine. « Je voulais faire quelque chose pour aider, divertir les gens qui sont à la maison et passer un bon moment. Il n’y a rien de plus beau que de pouvoir aider », avait-il expliqué par la suite.

Difficile de ne pas aimer ce genre de personnes. En plus, il ne rechigne jamais à raconter une petite anecdote, même intime, à la télévision. En 2017, invité de l’émission « Podemos Hablar », il fait marrer tout le monde en plateau avec une histoire survenue quelques semaines auparavant à Roland.

On vous la fait courte, et en vous épargnant les sous-entendus un peu gras. Lors de son premier tour, il repère une jolie fille dans les tribunes. Comme il l’espérait, elle finit par lui envoyer un message via les réseaux sociaux et ils conviennent d’un rendez-vous en plein tournoi. Son entraîneur l’apprend, lui met un savon et il attendra finalement d’avoir été éliminé (au 3e tour par Djokovic) pour la rencontrer.

Pas très fin, mais pas bien méchant. Depuis, le bonhomme s’est casé. Autre confidence, mais de la part de quelques confrères argentins cette fois : Schwartzman est plutôt un bon danseur. D’ailleurs, s’il gagne le tournoi, il a promis une petite démo. Cet homme n’aurait donc pas de défaut.