RC Lens - Arsenal : Avec la Ligue des champions, le RCL peut-il prendre la grosse tête ?
FOOTBALL Le Racing Club de Lens affronte Arsenal, ce mardi au stade Bollaert, pour la deuxième journée de la phase de poule de la Ligue des champions
- Le RC Lens affronte Arsenal, mardi à Bollaert, à l’occasion de la deuxième journée de la phase de poules de Ligue des champions.
- Vingt ans après, les Sang et Or retrouvent le faste de la plus prestigieuse compétition européenne.
- De quoi les faire basculer dans un autre monde éloigné des valeurs du club ?
Six matchs. Six matchs à entendre, devant un public en furie prêt à verser une larmichette de bonheur, la même musique qui répète encore et encore que vous êtes les « Meister », les « Beisten », une « grande équipe », bref « the Champions ». Jouer la Ligue des champions, c’est arriver dans un nouveau monde qui vous glorifie à outrance, où le caviar remplace le tarama, où le costume trois pièces laissé au fond du placard repart au pressing et où le moindre match nul vous rapporte un million d’euros.
Alors, comment empêcher les clubs, comme le RC Lens, qui affronte Arsenal mardi, à ne pas avoir la tête qui tourne dans cet écrin fastueux qu’est la plus prestigieuse compétition européenne ? Une sorte « d’embourgeoisement » naturel, avec les millions qui coulent à flots, qui vous ferait perdre les pédales et oublier les valeurs d’un club qui ne cesse de les vanter. « Pas chez nous », nous ont en substance répondu supporteurs, anciens joueurs, et ancien président Sang et Or.
« S’éloigner de ces valeurs, c’est se dévoyer »
« Lens, une ville de 35.000 habitants, joue un peu sur cette identité d’un club qui a gagné sa place parmi les grands sur le terrain et reste le petit poucet parmi des clubs de grandes capitales européennes, des clubs avec des propriétaires multimilliardaires, des oligarques, développe Williams Nuytens, sociologue et professeur des universités à l’université d’Artois, auteur de La popularité du football : sociologie des supporteurs à Lens et à Lille. Dans l’identité du club, il y a la solidarité, la dimension populaire. C’est quelque chose de structurant. S’en éloigner, c’est se dévoyer. Et ça serait une menace sportive, économique mais aussi en matière d'audience et de popularité du club. »
Les dirigeants actuels du RC Lens, en sont d’ailleurs bien conscients. En arrivant au club, à la fin des années 2000, ils ont tout de suite réuni supporteurs, partenaires, acteurs locaux pour organiser un séminaire afin de comprendre ce qu’étaient Lens et son ADN. « La particularité de Lens, c’est d’être un club ultra-régional, ultra-identitaire, mais en même temps, il parle à toute la France du football », résumait ainsi Joseph Oughourlian, le président et propriétaire du RCL sur RMC Sports mercredi.
Se fondre dans l’environnement local
Alors, même la prime de 15 millions d’euros offerte d’office aux clubs qui participent à la phase de poule de la LDC, les revalorisations de salaire proposées aux cadres ou les 35 millions d’euros d’indemnité de transfert pour s’attacher les services d’Elye Wahi cet été ne devraient pas faire basculer le club dans un monde qu’il ne connaît pas.
Extérieurement, on pourrait penser que cette dépense, et même les salaires versés aux joueurs, sont indécents vu les réalités socio-économiques de la région, avec des taux de chômage supérieurs à la moyenne, des conditions d’existence, très précaires pour une partie de la population, détaille Williams Nuytens. Mais, le supporteur met de côté, d’une certaine façon, son identité d’individu du quotidien. Il passe sur un autre régime d’appréciation, qui peut lui faire accepter l’indécent. Mais ça peut disparaître si les résultats ne sont plus là. »
D’autant que, en plus de ventes (Fofana et Openda) qui ont rapporté gros, Lens n’a pas investi à tout-va. Loin du clinquant supposé de la C1. Il y a eu une sorte de continuité dans le recrutement, avec des jeunes joueurs qui viennent se développer dans le Pas-de-Calais. « Si on veut perdurer et performer dans le foot, il faut avoir de l’argent, commente Gervais Martel. Soit on est un club de fléchettes, et ça ne coûte pas cher, soit on est un club de foot, et ça coûte un peu plus cher. Oui, il peut y avoir un risque d’embourgeoisement, mais la réalité du football moderne vous revient directement en pleine face. Le RCL a des bases saines et on est à l’abri de ça. »
Sotoca et Gradit garants de l’identité du club
L’ancien mythique président artésien, qui avait lancé les travaux de construction du centre d’entraînement de La Gaillette en 2000 avec l’argent de la C1, avait d’ailleurs tendance à avertir ses joueurs de respecter l’environnement local. « Lors des premiers contrats, il nous conseillait de ne pas faire n’importe quoi, de ne pas acheter n’importe quoi comme voiture, de ne pas se balader [en frimant], raconte José-Karl Pierre-Fanfan, qui a participé à la Ligue des champions en 1999. Tout ça, c’était pour qu’il n’y ait pas de décalage entre les valeurs du club, qui sont prônées par la région, et notre train de vie. »
C’était il y a plus de vingt ans et, évidemment, les temps ont changé. Les voitures discrètes ne sortent plus des garages, au contraire des voitures luxueuses, et les joueurs du cru n’ont plus autant d’importance qu’au début des années 2000 (Warmuz, Lachor, Sikora…). Mais le but reste quand même de se fondre le plus possible dans le contexte local. « On a une équipe qui nous ressemble et on s’identifie profondément à ces joueurs, estime Norman Noisette, président de la fédération des supporteurs Lens United. Sotoca, Gradit, Frankowski… ces joueurs viennent de nulle part, ont connu la galère, sont très humbles et ont le goût de l’effort. Ils ont un état d’esprit qui colle parfaitement au club, et c’est quelque chose qui est recherché par les dirigeants, qui ont les pieds sur terre. »
Un nouveau public exigeant
Finalement, et aussi surprenant que cela puisse être, les seuls à avoir basculé dans un autre monde sont (certains) supporteurs. Surtout avec le début de saison cahin-caha du RCL. « Il y a un risque d’embourgeoisement chez certains, et on l’a vu contre Metz (défaite 0-1), avec quelques sifflets qui ont commencé à apparaître à Bollaert, alors qu’il n’y a rien qui va mal, reprend Norman Noisette. On a un nouveau public au stade, qui est là depuis deux ans, grâce aux résultats, qui n’a pas connu les années galère. »
Les années galère, avec les descentes en Ligue 2, Hafiz Mammadov éternel escroc ou Guy Roux éphémère entraîneur, c’est justement ce qui permet au club de ne pas oublier d’où il vient. « Le club a appris de ses erreurs, à ne pas faire n’importe quoi, à ne pas s’enflammer, conclut Pierre-Fanfan. A Lens, la pression est de faire plaisir aux supporteurs, de respecter l’environnement dans lequel on est, dans ce bassin minier où les gens se saignent pour venir au stade. Si dans l’état d’esprit, on correspond à leurs valeurs, c’est déjà une petite victoire. » La grosse, ça serait de battre Arsenal et se qualifier pour les huitièmes de finale de la Ligue des champions.