Euro 2024 : Comment la Norvège de Haaland s’est-elle débrouillée pour encore manquer une grande compétition ?

FOOTBALL Malgré une formule élargie à 24 équipes depuis l’édition 2016 et la présence dans ses rangs de l’incroyable buteur de Manchester City Erling Haaland, la sélection norvégienne sera encore la surprenante absente de l’Euro 2024 en Allemagne

Jérémy Laugier
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Erling Haaland s'est en plus blessé à la cheville droite jeudi lors d'un match amical contre les Iles Féroé (2-0) : quelle vie avec la sélection norvégienne...
Erling Haaland s'est en plus blessé à la cheville droite jeudi lors d'un match amical contre les Iles Féroé (2-0) : quelle vie avec la sélection norvégienne... — VEGARD GRØTT/Bildbyran/Sipa USA/SIPA
  • Comme à chaque grand tournoi depuis l’Euro 2000, la Norvège est officiellement éliminée dès la phase de qualification de ce championnat d'Europe 2024, dans un groupe A dominé par l’Espagne et l’Ecosse.
  • Ce nouvel échec est d’autant plus surprenant que la sélection norvégienne est portée depuis quatre années par l’un des meilleurs attaquants du monde, Erling Haaland (23 ans).
  • L’impressionnant buteur de Manchester City n’est pas encore parvenu à enrayer la colossale spirale de la lose dans laquelle se trouve la Norvège, et ce malgré la formule d’un Euro à 24 équipes depuis l’édition 2016.

Un Sylvinho en fusion au milieu des supporteurs albanais vendredi et un Milan Skriniar qualifiant tranquillement sa sélection slovaque pour le championnat d'Europe 2024. C’est aussi ça l’héritage de Michel Platini, l’homme ayant lancé l’Euro à 24 équipes à partir de l’édition 2016 en France (contre 16 avant) : le Pays de Galles, l’Irlande du Nord, l’Islande, la Hongrie, la Finlande, l’Autriche, la Macédoine du Nord, l’Ecosse, et donc l’Albanie et la Slovaquie ont tous profité de cette réforme depuis sept ans pour participer à la fête. On trouve pourtant une irréductible nation, supposée pas si petite que ça, qui lutte pour éviter chaque grande compétition de football depuis l'an 2000.

Et oui, on parle bien de la Norvège, d’ores et déjà éliminée de la course à l’Euro 2024, en raison d’une troisième place dans son groupe de qualification (à 10 points de l’Espagne et à 6 de l’Ecosse), et non « repêchable » via la dernière édition de la Ligue des Nations. Mais comment un tel fiasco est-il possible lorsqu’on compte dans ses rangs une machine à scorer comme Erling Haaland, deuxième au récent vote du Ballon d’or ? L’attaquant de Manchester City est tellement incroyable et régulier en club (17 buts en 16 matchs cette saison, après son carnage à 51 buts en 2022-2023) qu’on lui imagine un destin à la Gareth Bale, capable de porter le pays de Galles en demi-finale de l’Euro 2016 presque à lui seul.

« Il y a une culture de l’échec depuis plus de vingt ans en Norvège »

Et pourtant, depuis ses débuts en sélection à 19 ans en septembre 2019, le phénoménal buteur n’a pas permis à son pays de se qualifier pour l’Euro 2021 (troisième de groupe derrière l’Espagne et la Suède, barrage perdu contre la Serbie), pour la Coupe du monde 2022 (troisième derrière les Pays-Bas et la Turquie), ni donc désormais pour l’Euro 2024 en Allemagne. Rassurez-vous, Erling Haaland reste dans ses standards de mutant quand il revêt le maillot norvégien, avec 27 buts en 29 sélections, dont six sur cette campagne de qualifications pour l’Euro 2024. Le capitaine de 23 ans est-il pour autant déjà un leader aussi iconique et inspirant que n’a pu l’être Gareth Bale ou par séquences Zlatan Ibrahimovic avec la Suède ?

« On parle beaucoup du supposé échec de Haaland mais il va personnellement vite exploser le record de buts de Jorgen Juve avec la sélection [33 buts dans les années 1930], explique le journaliste norvégien Jonas Adnan Giæver. Il est celui qui donne de l’espoir, qui permet aux matchs de l’équipe nationale d’être tous à guichets fermés, ce qui n’était jamais le cas avant lui ici. Mais cette élimination le dépasse : il y a une culture de l’échec en qualifications depuis plus de vingt ans en Norvège. » Et celle-ci a trouvé son exemple le plus éclatant le 17 juin dernier contre l’Ecosse.

Des espoirs d’Euro 2024 ruinés en cinq minutes contre l’Ecosse

Forfait en mars lors des deux premiers matchs de ces éliminatoires pour l’Euro 2024 (claquage à l’aine), avec à la clé une déroute en Espagne (3-0) et surtout un match nul problématique en Géorgie (1-1), le géant blond a pourtant signé un retour gagnant ce jour-là. Il a en effet ouvert le score su un penalty qu’il avait provoqué (1-0, 61e), avant d’être ovationné par le public d’Oslo à sa sortie du terrain, à la 84e minute de jeu. Et là bim : 87e minute, égalisation de Dykes après une boulette défensive d’Ostigard, puis 89e minute, but de la victoire de McLean (1-2). De quoi déjà quasiment condamner le peuple norvégien à un énième été à regretter devant la télé la génération Tore André Flo-Ole Gunnar Solskjær, même avec encore cinq matchs à disputer.

Le coup de la clim a été total, le 17 juin dernier à l'Ullevaal Stadium d'Oslo, avec deux buts écossais inscrits dans les cinq dernières minutes de jeu.
Le coup de la clim a été total, le 17 juin dernier à l'Ullevaal Stadium d'Oslo, avec deux buts écossais inscrits dans les cinq dernières minutes de jeu. - Fredrik Varfjell/AP/SIPA

« Le sélectionneur Stale Solbakken a reconnu après le match retour devenu sans enjeu en Ecosse dimanche (3-3) que ses gros regrets se situaient sur ces cinq minutes terribles qui ont ruiné la qualif, indique Jonas Adnan Giæver. C’est impardonnable de ne pas se qualifier pour cet Euro et les supporteurs norvégiens étaient persuadés ce soir-là que la tradition de la lose de cette sélection avait encore frappé. » Mais au fait, comme pourrait le supposer ce tournant tragicomique de son remplacement à la 84e minute de jeu contre l’Ecosse, n’y a-t-il vraiment qu’Erling Haaland dans cette équipe ?

« Il n’y a pas d’exigence, seulement de l’espoir »

Non, Martin Odegaard (24 ans) est immense à la création (et capitaine) avec Arsenal depuis la saison passée. Ajoutez à la liste le solide buteur de Villarreal Alexander Sorloth (27 ans), le défenseur central de Naples Leo Ostigard (23 ans), le milieu de Burnley Sander Berge (25 ans) ou encore le si prometteur ailier du Club Bruges Antonio Nusa (18 ans), et vous obtenez une ossature très correcte. Alors, c’est quoi le problème ? Jonas Adnan Giæver, qui a lancé l’appli de football fcQuiz, insiste sur des failles autant mentales qu’organisationnelles d’un pays qui ne compte que trois participations à la Coupe du monde (1938, 1994 et 1998) et une à l’Euro (en 2000 donc).

Nous avons une très bonne équipe dans les rencontres sans enjeu, mais dès que les matchs de qualification arrivent, on se demande à chaque fois comment on va tout faire foirer. Le pire, c’est qu’on serait un sérieux outsider au début de cet Euro si on s’était qualifié. Autant il y a dix ans, les joueurs de la sélection évoluaient le plus souvent en D2 allemande, autant là ce n’est plus une question de talent. Mais on est resté bloqué dans les années 1990 : la culture du football norvégien ne s’est pas développée, contrairement à nos joueurs individuellement dans leurs clubs. La clé est là : pourquoi cette sélection n’a pas autant d’exigence avec un duo Odegaard-Haaland que la France ne peut en avoir avec Griezmann et Mbappé ? En Norvège, il n’y a pas d’exigence, seulement de l’espoir. Malgré l’élimination, Stale Solbakken [en poste depuis 2020] ne sera pas remis en question par la fédération, comme tant d’autres avant lui. »
Peu de sélections peuvent présenter un trio offensif du niveau de Odegaard-Nusa-Haaland, mais ceux-ci regarderont tout de même à la télévision Autriche-Albanie durant l'Euro 2024 en Allemagne.
Peu de sélections peuvent présenter un trio offensif du niveau de Odegaard-Nusa-Haaland, mais ceux-ci regarderont tout de même à la télévision Autriche-Albanie durant l'Euro 2024 en Allemagne. - Jewel SAMAD / AFP

« Le Luxembourg et le Liechtenstein vont participer avant nous »

Si bien que la fiche Wikipedia de la sélection norvégienne est formelle : ses principaux faits d’armes sont d’être l’une des deux seules équipes au monde (avec le Sénégal) invaincues contre le Brésil (en quatre affrontements de 1988 à 2006), et d’avoir été médaillée de bronze aux JO de Berlin en 1936 (youhou). A la génération Haaland de dépoussiérer tout ça. Lors de la nouvelle formule de la Coupe du monde 2026 élargie à 48 sélections ?

« C’est absolument insensé de constater que tant de petites nations se sont qualifiées dans les grands tournois depuis tout ce temps, et pas la Norvège, insiste Jonas Adnan Giæver. Rendez-vous compte : pour notre dernière compétition, l’Euro 2000, la Norvège avait affronté la Yougoslavie, qui existait encore. L’équipe nationale norvégienne est la risée de l’Europe depuis tant d’années. Même en Norvège, on fait des blagues sur notre sélection : on annonce que le Luxembourg et le Liechtenstein vont participer à un Mondial ou à un Euro avant nous. » Si avec pareille vanne, l’orgueil d’Erling Haaland n’est pas heurté…