Droits TV de la Ligue 1 : Après le « retrait » de Canal+, qui va sauver le foot français ?

Gros sous Diffuseur historique de la première division mais fâché avec la LFP, Canal+ a annoncé ce lundi qu’il ne répondrait pas à l’appel d’offres pour la période 2024-2029

Nicolas Stival
Ceci pourrait bientôt être une image d'archives.
Ceci pourrait bientôt être une image d'archives. — Franck Fife / AFP
  • Les diffuseurs intéressés par les droits TV de la Ligue 1 en France ont jusqu’au 17 octobre pour répondre à l’appel d’offres lancé par la Ligue de football professionnel (LFP).
  • Ce lundi, Canal+, brouillé avec la LFP depuis plusieurs années, a annoncé qu’il n’y participerait pas.
  • L’objectif de Vincent Labrune, le patron du foot professionnel français, d’atteindre le milliard d’euros de droits TV paraît plus compliqué que jamais.

Le « cher Vincent » initial ne fait pas longtemps illusion. Le courrier envoyé ce lundi par Maxime Saada à Vincent Labrune a des allures de réquisitoire. Divulgué par L’Equipe, le président de Canal+ y détaille ses griefs à l’égard de la Ligue de football professionnel (LFP) et de son patron, pour justifier son choix de ne pas participer à l’appel d’offres pour les droits TV de la Ligue 1, le 17 octobre, qui concerne la période 2024-2029. Une grande première dans l’histoire de la chaîne cryptée, indissociable depuis sa création en 1984 du championnat de France de première division. Toutefois, cette annonce ne surprendra personne, tant le fossé s’est creusé entre les deux parties depuis le fiasco Mediapro.

Saada juge que la LFP n’a « eu de cesse de pénaliser Canal+ dans l’exploitation de ses droits, en particulier en matière de programmation, au détriment de nos abonnés et en donnant le sentiment à toutes nos équipes qu’Amazon était systématiquement privilégié. » « Rappelons qu’Amazon bénéficie depuis trois ans de 80 % des matchs de la Ligue 1 pour 250 millions d’euros par an quand Canal+ s’acquitte de 332 millions d’euros pour 20 % des matchs », poursuit Saada, qui s’attarde sur le soutien de son entreprise lorsque le mirage Mediapro s’est dissipé, en 2020.


Une somme à laquelle il faut ajouter les 42 millions de Free pour des retransmissions en quasi-direct, et les 80 millions pour les droits TV à l’étranger soit un total d’environ 700 millions d’euros par saison. Toujours selon Saada, l’actuel appel d’offres est ficelé pour avantager Amazon.

« A partir du moment où la LFP a fixé une mise à prix minimum aussi élevée, il n’est pas étonnant que Canal+ ne participe pas », juge Pierre Maes, consultant international en droits télévisés du sport. Petite revue de détails : l’appel d’offres pour 2024-2029, qui court donc sur cinq ans, et non plus sur quatre, a été simplifié par rapport à son aîné de 2018 (dont le géant de papier Mediapro était sorti grand vainqueur), en passant de sept à deux lots.

Le lot numéro 1, qualifié de « premium » par le spécialiste, comprend les deux plus belles affiches de chaque journée de Ligue 1, en direct et en exclusivité, et une co-diffusion du quatrième choix. Il est mis à prix à 520 millions d’euros. Le deuxième lot - « lot volume », selon l’auteur de « La ruine du foot français » et du « Business des droits TV du foot » - inclut la co-diffusion du match 4 et cinq autres rencontres, pour 270 millions. Le total est donc de 800 millions d’euros, mais ce n’est qu’un point de départ. La LFP et Vincent Labrune, qui commercialisera les droits de la L1 à l’étranger une fois la question domestique réglée, n’ont pas caché qu’ils visaient le milliard.

« Ce serait une magnifique performance de la LFP et des clubs d’y arriver », observe, dubitatif, Pierre Maes, avant de lister les acteurs susceptibles de jouer un rôle dans ces grandes tractations.

Ceux déjà en place : Amazon, Canal+ et beIN Sports (avec la Ligue 2)

Le géant américain s’est rendu incontournable dans le paysage du foot français, même si son consultant numéro 1, Thierry Henry, s’est envolé cet été pour s’asseoir sur le banc des Espoirs français. « Amazon s’est servi de la L1 pour tester l’attractivité d’une télé à péage », indique Pierre Maes. Lequel rappelle que la France est « le seul pays » où, pour avoir accès aux matchs de première division, il faut payer un autre abonnement que l’initial : le pass Ligue 1 coûte désormais 14,99 € par mois (au lieu de 12,99 € jusqu’à la saison dernière), en plus des 6,99 € mensuels versés pour avoir accès à Amazon Prime Video.

« Les Big Tech adoraient tester de nouveau produits. Maintenant, elles veulent surtout faire du profit », poursuit le consultant belge, selon lequel, malgré la lettre de rupture envoyée par Maxime Saada, Canal+ n’est pas encore hors-jeu.

« Je pense que Canal+ et beIN Sports sont toujours intéressés, respectivement pour le lot "premium " et le lot " volume ". Pour une chaîne à péage qui repose sur les programmes sportifs premium, comme Canal+, la Ligue 1 et la Ligue des champions [que Canal+ co-diffuse actuellement avec RMC Sport] sont les programmes les plus premium de France. Mais le groupe continue à suivre la stratégie de Bolloré pour acquérir ces droits au meilleur prix. »

Celui qui n’est pas encore là : DAZN

C’est le petit nouveau dont tout le petit monde du foot français parle. Présentée par facilité comme le « Netflix du sport », la plateforme britannique née en 2016, initialement uniquement disponible sur Internet, s’est invitée sur le portail MyCanal, en proposant comme un ballon d’essai deux matchs de Ligue 1 et la D1 féminine également diffusés par Canal.

« DAZN a fait des investissements importants en Italie et en Espagne où ils ont acheté les droits TV, et leur abonnement qui était à 15 euros par mois est plutôt de 40 euros maintenant », détaille Pierre Maes. « DAZN affiche quand même 6 milliards d’euros de pertes cumulées [depuis la création de l’entreprise] et je les vois mal réaliser une opération qui puisse nuire à leur partenaire Canal+. »

Celui qu’on n’a pas peut-être pas vu venir

Y aura-t-il un nouveau Mediapro (mais avec les reins solides), qui viendrait créer une énorme surprise sur le fil, à la manière d’Eddy Seigneur sur les Champs-Elysées lors du Tour de France 1994 ? « C’est toujours possible, mais moins qu’en 2018, juge le consultant. Car des acteurs agressifs sur ces programmes en Europe et dans le monde, il y en a de moins en moins. » « On parle d’Apple mais cela me semble peu probable », ajoute-t-il. Quant à RMC Sport, qui perdra les droits des trois Coupes d’Europe en fin de saison au seul profit de Canal+, son propriétaire Altice la tourne vers les sports de combat.

En fait, cet appel d’offres officiellement lancé le 12 septembre, ce qui ne laissait donc aux potentiels intéressés qu’à peine plus d’un mois pour y répondre, pourrait très bien se révéler infructueux le 17 octobre. On passerait donc à des discussions de gré à gré, ce qui promet encore de jolis numéros d’esbroufe du côté de la LFP comme des futurs diffuseurs. Avec le fameux milliard d’euros au bout du compte ?