Affaire Diacre : La FFF va-t-elle prendre au sérieux « le manque d’exigence » constaté à la tête du football féminin ?

COMEX Les annonces fracassantes de Wendie Renard, Kadidiatou Diani et Marie-Antoinette Katoto ont poussé la Fédération française de football à évoquer le sort de Corinne Diacre, ce mardi lors de son comité exécutif

Jérémy Laugier
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Coéquipières et amies à l'Olympique Lyonnais, Wendie Renard et Ada Hegerberg ont toutes les deux tenté le tout pour le tout, ces dernières années, afin de faire évoluer le football féminin dans le bon sens, en France et en Norvège.
Coéquipières et amies à l'Olympique Lyonnais, Wendie Renard et Ada Hegerberg ont toutes les deux tenté le tout pour le tout, ces dernières années, afin de faire évoluer le football féminin dans le bon sens, en France et en Norvège. — Marco BERTORELLO /AFP
  • La capitaine de l’équipe de France Wendie Renard a annoncé vendredi qu’elle se mettait en retrait de la sélection, tout comme Kadidiatou Diani et Marie-Antoinette Katoto, les deux attaquantes majeures des Bleues.
  • A cinq mois de la Coupe du monde, ces prises de position tranchées, qui visent essentiellement Corinne Diacre et son staff, ont pour une fois poussé la Fédération française de football à vite réagir, à l’occasion d’un comité exécutif programmé ce mardi à 10 heures.
  • Comme la France depuis quatre jours, d’autres nations fortes de football ont vu ces dernières années des joueuses s’élever contre « le manque d’exigence et de professionnalisme » à la tête de leur fédération.

Comme si de rien n’était, Wendie Renard a été honorée pour la septième fois consécutive lors de la soirée FIFA The Best, lundi soir à la salle Pleyel (Paris 8e). Systématiquement élue dans la meilleure équipe féminine de l’année depuis la création de cette cérémonie, la capitaine de l’Olympique Lyonnais sait qu’un rendez-vous bien plus déterminant pour la suite de sa carrière va avoir lieu ce mardi (10 heures) dans la capitale. Un bouillant comité exécutif (Comex) de la Fédération française de football (FFF) se prononcera en effet sur l’avenir de Noël Le Graët et de Corinne Diacre.

C’est dire à quel point l’annonce du retrait (à contrecœur) de l’équipe de France féminine de la part de Wendie Renard, seulement quatre jours plus tôt, a provoqué un véritable séisme dans le football français. « C’est un jour triste mais nécessaire pour préserver ma santé mentale. Je n’ai plus envie de souffrir », avait notamment glissé l’indispensable joueuse de 32 ans, dans un message posté sur ses réseaux sociaux vendredi. Un cri du cœur ultime qu’ont partagé ses habituelles adversaires du PSG Kadidiatou Diani et Marie-Antoinette Katoto, puis ses partenaires lyonnaises Griedge Mbock et Perle Morroni. Comment en est-on arrivé à une telle crise ouverte en équipe de France féminine, à cinq mois de la prochaine Coupe du monde en Australie et en Nouvelle-Zélande ?



« Notre football est resté à quai avec ce Mondial 2019 »

« Corinne Diacre est là depuis six ans, il y a eu des hauts et des bas, a expliqué Jean-Michel Aulas à L’Equipe, à la veille de ce fameux Comex auquel il participera. J’ai l’impression que l’on a avancé dans une situation de non-retour. On voit que l’encadrement de cette équipe de France n’est pas du tout comparable aux autres grandes équipes européennes. Je sais que l’on a les meilleures joueuses d’Europe, peut-être du monde, et on n’arrive pas à avoir de résultats. » Car les galères chroniques des Bleues se résument au chiffre 3, comme leur encadrement total (Corinne Diacre et ses deux adjoints) et leur nombre de demi-finales majeures disputées dans toute leur histoire (Mondial 2011, JO 2012 et Euro 2022). Candice Prévost, ancienne attaquante du PSG et de l’équipe de France, puis consultante sur Eurosport et Canal +, résume le malaise ambiant : 

Le football français avait de l’avance en 2011 et tout le monde nous passe désormais devant, à commencer par l’Angleterre et l’Espagne, alors qu’on a eu la chance d’organiser une Coupe du monde sur cette période. Je ne comprends pas pourquoi la D1 féminine est encore régie par la FFF et non par une véritable ligue professionnelle. Notre football est resté à quai avec ce Mondial 2019 et il a manqué d’audace et d'exigence. Si Wendie Renard en est arrivée là, ça prouve que les joueuses n’étaient jamais entendues et soutenues dans leur envie d’un projet de performance. La FFF a malheureusement montré que le football féminin n’était qu’un projet secondaire à ses yeux. »


Battues en quart de finale de leur Coupe du monde 2019 par Megan Rapinoe et Team USA, les Bleues ne sont pas parvenues à transformer cette opportunité en or de faire grandir le football féminin en France.
Battues en quart de finale de leur Coupe du monde 2019 par Megan Rapinoe et Team USA, les Bleues ne sont pas parvenues à transformer cette opportunité en or de faire grandir le football féminin en France. - Lionel BONAVENTURE / AFP

« La priorité ? Donner une bonne image des filles »

Résumer les nombreux échecs de l’équipe de France féminine de football aux années de malaises/polémiques sous Corinne Diacre, essentiellement avec des octuples championnes d’Europe lyonnaises (d’Amandine Henry à Wendie Renard en passant par Sarah Bouhaddi et Eugénie Le Sommer), serait en effet un raccourci inexact. Lorsque Wendie Renard répète qu'« il faut plus d’exigence, plus de travail », on repense aux propos de l’ex-coach de l’OL Patrice Lair, il y a déjà dix ans, au sujet du long règne de Bruno Bini à la tête des Bleues (de 2007 à 2013).

« La priorité des anciens à la Fédé n’est pas d’aller chercher des titres mais de donner une bonne image des filles, après l’histoire des garçons à Knysna, confiait l’actuel entraîneur de l’équipe bordelaise au Libéro Lyon. Ça me rendait malade de voir les joueuses lyonnaises partir dix jours en sélection et ne pas s’entraîner. Elles allaient signer des autographes dans les PMU et il fallait trois semaines pour les remettre en route derrière. Tu es l’équipe de France, tu dois aller aux compétitions pour gagner des titres ! S’il était resté dans un projet de jeu et pas un projet de vie, Bini aurait gagné l’Euro 2013. »

La « petite révolution » d’Ada Hegerberg

Le manque d’exigence à tous les étages, et ce donc depuis très longtemps, a contribué à installer sur le banc de l’équipe de France des coachs sans la moindre expérience dans le football féminin, Philippe Bergeroo (de 2013 à 2016) puis Olivier Echouafni (de 2016 à 2017). Et Noël Le Graët a donc prolongé à sa guise de deux ans Corinne Diacre après la demi-finale de l’Euro 2022 en Angleterre. Mais de tels (mauvais) choix ne sont pas réservés qu’à la FFF, comme le prouvent d’autres mobilisations conséquentes de footballeuses. « Quand on discute avec nos coéquipières étrangères en club, elles ont parfois des problèmes dans leur sélection ou avec leur fédération, précisait Wendie Renard, dimanche sur RMC Sport. J’ai l’impression que pour nous, femmes et sportives de haut niveau, c’est compliqué. On doit toujours, toujours se battre, quitte à arriver à des situations individuelles compliquées. Aujourd’hui, je n’arrive pas à faire semblant. »

Son amie à l’OL Ada Hegerberg a justement traversé une période de cinq années loin de la sélection norvégienne, de 2017 à 2022. « Elle était alors la meilleure joueuse du monde et elle était épuisée de ne pas retrouver les mêmes standards de professionnalisme avec la sélection qu’à Lyon, décrypte Jonas Adnan Giæver, journaliste sportif pour le quotidien Dagbladet en Norvège. Ça l’agaçait de sentir que la préparation et la reconnaissance n’étaient pas les mêmes pour les femmes que pour les hommes en sélection. » Et ce d’autant que si les Norvégiennes, championnes du monde en 1995 et championnes olympiques en 2000, participent à la plupart des principaux rendez-vous internationaux, leurs homologues masculins ont disparu des grandes compétitions depuis l’Euro 2000. Mais « la petite révolution » lancée en solo par Ada Hegerberg a été suivie d’évolutions majeures dans son pays.


Le Danemark et le Canada n’hésitent pas à faire grève

L’application de l’égalité salariale entre hommes et femmes en sélection venait déjà d’avoir lieu en 2017, mais l’élection il y a un an de Lise Klaveness à la tête de la Fédération norvégienne de football a été le détonateur de son retour pour l’Euro 2022. Première femme à accéder à cette fonction là-bas, ancienne joueuse majeure de la sélection, très engagée (notamment contre la Coupe du monde au Qatar), cette avocate de 41 ans a convaincu Ada Hegerberg. « Lise Klaveness incarne un changement majeur en Norvège au-delà du football, note Jonas Adnan Giæver. Elle a nommé Hege Riise, la meilleure joueuse du Mondial 1995, comme sélectionneuse l’été dernier. Il n’y a pas de débat en Norvège : elles ont obtenu ces postes au mérite et à la compétence, et non pas car elles sont des femmes. »

En février 2022, la sélection américaine, portée par Megan Rapinoe, a enfin eu gain de cause auprès de sa fédération, après « un combat » de six ans pour parvenir à une égalité salariale avec l’équipe masculine sous le maillot US. En octobre 2017, pour une revendication similaire, les joueuses danoises étaient allées jusqu’à boycotter un match de qualification pour le Mondial 2019 contre la Suède afin de faire plier leur fédération. Ce mois-ci, la sélection canadienne a elle aussi procédé à une journée de grève pour dénoncer « des coupures budgétaires inacceptables » avant la SheBelieves Cup, et a obtenu lundi la démission du président de la Fédération Nick Bontis. Plus que tout autre sport, le football voit donc ses sélections féminines se mobiliser en nombre ces dernières années.

« Le Barça avance plus vite que la fédé espagnole »

L’exemple le plus retentissant, avant le coup de tonnerre en équipe de France, a eu lieu en Espagne en septembre dernier. Quinze joueuses (dont six du Barça), auxquelles s’est ajoutée Alexia Putellas, double Ballon d'or gravement blessée au genou, ont pointé dans un communiqué « des situations en sélection qui affectent notre état émotionnel, nos performances et par conséquent les résultats de l’équipe, et qui peuvent entraîner des blessures indésirables ». Chargeant à demi-mot le sélectionneur Jorge Vilda (tiens, tiens, elles aussi), toutes ces footballeuses ne sont plus apparues en équipe nationale lors des deux derniers rassemblements.

« Elles remettent en cause le professionnalisme du staff en sélection, raconte Tracy Rodrigo, journaliste pour L’Equipe à Barcelone. C’est a priori la blessure d’Alexia Putellas juste avant l’Euro qui a déclenché ce mouvement. Il faut savoir qu’au Barça, le staff des féminines est quasiment aussi fourni que celui des hommes. Donc le club avance plus vite que la fédé, ce qui frustre les joueuses. »


Ici en train de célébrer un but lors du choc de la Liga contre le Real Madrid en mars 2022, la star du Barça Alexia Putellas, actuellement blessée au genou, n'est pas certaine de disputer le prochain Mondial.
Ici en train de célébrer un but lors du choc de la Liga contre le Real Madrid en mars 2022, la star du Barça Alexia Putellas, actuellement blessée au genou, n'est pas certaine de disputer le prochain Mondial. - Joan Monfort/AP/SIPA

« Le climat est à la libération de la parole »

A l’image des Lyonnaises lorsqu’elles basculent sous le maillot bleu, les Catalanes ont du mal à comprendre pourquoi leur titre de championnes d’Europe en 2021 ne s’est toujours pas retranscrit avec la Roja. Si bien que son seul résultat notable dans un grand tournoi remonte presque à la sortie de la Macarena (une demi-finale lors de l’Euro 1997). La crise reste donc profonde en Espagne, d’autant que selon Mundo Deportivo, les joueuses reprocheraient à leur sélectionneur (conforté par la fédé) une surveillance malsaine, qualifiée de « dictatoriale ». Comme lorsque Jorge Vilda les aurait obligées à garder la porte de leur chambre ouverte jusqu’à minuit pour vérifier qu’elles étaient bien présentes. Tracy Rodrigo ajoute.

Le soutien du président de la fédé espagnole Luis Rubiales à Jorge Vilda est tellement indéfectible depuis 2015 que ses différents échecs en huitièmes et quarts ne s’accompagnent pas des mêmes conséquences que pour l’équipe masculine, où Luis Enrique a été débarqué après le Mondial. »

Comprendre que le bras de fer engagé en Espagne pourrait voir les 15 joueuses concernées, plus éventuellement Alexia Putellas, manquer le Mondial australien. « La France va peut-être s’en sortir plus vite car il n’y a pas de fissure entre les clubs comme c’est le cas en Espagne avec la guéguerre Barça-Real, note Tracy Rodrigo. Le Real n’a d’ailleurs aucune joueuse impliquée et il bénéficie donc de la situation. » Coréalisatrice du film documentaire Little Miss Soccer, Candice Prévost trouve une note positive dans ce nouveau chaos à la FFF : « On voit que le climat est un peu partout dans le monde à la libération et à l’alliance de la parole. C’est une première en France de voir plusieurs joueuses s’exprimer de la sorte contre la voix de l’institution ». Ou plutôt de ce qu’il va en rester, à l’issue de ce Comex si attendu.