ASSE : Dernier de Ligue 2, le peuple vert redoute une « descente aux enfers » malgré le répit contre Laval
FOOTBALL Le court succès (1-0) obtenu mardi face à Laval n’a en rien ôté la crainte d’une relégation en National pour les supporteurs stéphanois, alors que leur club de cœur reste dernier de Ligue 2
- Dos au mur, l’AS Saint-Etienne a su obtenir mardi contre Laval son premier succès depuis le 22 octobre, grâce au tandem Krasso-Cafaro (1-0, 59e).
- Cette victoire cruciale ne permet cependant pas aux Verts de quitter leur 20e place, à quatre points du premier non relégable Rodez.
- 20 Minutes est allé à la rencontre de nombreux supporteurs stéphanois, qui redoutent sérieusement une deuxième relégation consécutive.
Au stade Geoffroy-Guichard (Saint-Etienne),
Une véritable scène de crime balisée, accompagnée d’une énigmatique banderole « Qui a tué l’ASSE ? », avec trois suspects clairement établis : Roland Romeyer, Bernard Caïazzo et Jean-François Soucasse. Voici l’escape game que proposaient des ultras stéphanois, mardi soir aux abords du stade Geoffroy-Guichard, avant un match contre Laval (15e) quasi vital pour ne pas sombrer en National. Co-recordman du nombre de titres de champion de France avec le PSG (10 de 1957 à 1981), l’AS Saint-Etienne est en effet au plus mal, malgré son court succès (1-0) de la soirée, dans une position de lanterne rouge de Ligue 2 indigne de son histoire.
A plus de 3 heures du coup d’envoi, Michel et Marie-Christine ont pris place avec leur petit-fils Loïs dans le musée des Verts, qui a accueilli plus de 300.000 visiteurs depuis son ouverture en décembre 2013. Installés devant un grand écran, ils se délectent des images de l’exploit européen de 1976 contre le Dynamo Kiev (3-0 a.p.). La raison de leur périple de 600 km en camping-car depuis Vitré (Ile-et-Vilaine) est presque autant dans cette plongée dans les années mythiques de la bande à Robert Herbin que dans cette 18e journée de Ligue 2.
La cicatrice du barrage contre l’AJ Auxerre
« Je me souviens de toutes les actions de ces matchs de Coupe d’Europe comme si c’était hier, constate Michel. Ça fait bizarre de voir à quel point le club est tombé bas aujourd’hui. » Lanterne rouge de Ligue 2 à désormais quatre points du premier non relégable Rodez, l’ASSE poursuit son inexorable chute, dans la foulée d’une relégation de Ligue 1, après un barrage retour apocalyptique contre l’AJ Auxerre, ponctué par trois points retirés et quatre matchs à huis clos. Une soirée qui en disait long sur les maux stéphanois en 2022, sur et en dehors du terrain.
« On a pris des gaz lacrymogènes de partout, et face aux pavés jetés en direction des CRS, on a dû se protéger la tête avec des planches », regrette Hervé Boulanger (66 ans), qui vend des maillots de l’ASSE les soirs de matchs depuis près de 20 ans. Stéphanois pur et dur, celui-ci était le gardien de but des Verts dans les catégories jeunes, avant de travailler à Manufrance… puis d’assister à la fameuse finale de la Coupe d’Europe des clubs champions, en 1976 à Glasgow (0-1 contre le Bayern Munich). Le combo ultime. « Avant même d’avoir 10 ans, je magouillais avec mes potes pour descendre de Montreynaud, et ce afin d’aller voir les matchs dans le Chaudron sans que mes parents ne soient au courant », se marre-t-il.
Quand un garçon de 7 ans se moque des paroles de Monty
La nostalgie semble être un peu partout dans l’air dans le Forez, lorsque Hervé cherche à se souvenir de la chronologie des gardiens du club, entre Curkovic et Castaneda, quand plusieurs spectateurs se mettent à fredonner avec tendresse Johnny Rep, le tube de Mickey 3D, ou même dans les rayons de la boutique des Verts, où l’ex-capitaine emblématique Loïc Perrin a élaboré la collection de tee-shirts et casquettes numéro 24. Venu de Montbrison (Loire) avec ses enfants Nino (7 ans) et Martin (4 ans), Mathieu (39 ans) a plutôt opté pour des bonnets verts dans son panier. Il est presque le premier étonné de braver le froid, un mardi soir, pour s’infliger un obscur match entre le 15e et le 20e de Ligue 2.
« Je m’étais dit que je ne regarderai plus nos matchs après notre relégation en mai dernier, confie celui qui a découvert le Chaudron dans les années 1990. Mais finalement, la passion reste malgré toutes les épreuves. C’est assez étonnant mais il y a un truc viscéral. » Ce truc qui l’a poussé à emmener mardi son fils cadet pour la première fois à Geoffroy-Guichard, alors qu’il pouvait se douter qu’il n’y aurait pas le moindre tir cadré durant l’intégralité d’une première période assez pathétique.
Dans la voiture, je me suis amusé à faire écouter aux enfants le "Qui c’est les plus forts ? Évidemment c’est les verts" de Monty. Bon, mon garçon de 7 ans se moquait de moi car il n’est pas dupe sur notre niveau. Je n’ose pas imaginer une descente inédite en National. Pour les jeunes générations, l’identification au club serait encore plus difficile si on est à ce point au fond du trou. »
« Nous avons le sang vert »
Non loin de là, bien qu’abattu par la situation actuelle de l’ASSE, Humphrey (49 ans) n’est pas peu fier d’avoir encore été accompagné par son fils Thomas (20 ans) depuis Vierzon (Cher, à 350 km), comme c’est régulièrement le cas depuis plus d’une décennie. « Thomas est tombé tout petit dans le Chaudron, et on ne changera jamais nos couleurs : nous avons le sang vert », clame Humphrey. Une passion débordante déjà contrariée lorsque les Verts avaient flirté à deux reprises avec le National en 1997 et 1998, avant de s’en sortir à l’ultime journée (17e de L2 les deux fois)… puis de remonter en Ligue 1 la saison suivante.
Mais à l’époque, le Chaudron faisait le plein, comme en octobre 1998, lorsqu’il a rassemblé 90.000 spectateurs en trois matchs consécutifs (en L2 et pour feu la Coupe de la Ligue). Mardi soir, il y avait à peine 13.000 supporteurs, notamment en raison du boycott réclamé depuis la reprise post-Mondial par les principaux groupes (kops nord et sud), qui exigent encore et toujours le départ des coprésidents Roland Romeyer et Bernard Caïazzo.
« On va dans des stades improbables et on perd »
Une morosité ambiante qui n’empêche pas des scènes assez surréalistes, y compris dans cette saison à seulement 4 matchs gagnés sur 18 en L2. « Le 30 décembre, une jeune femme est venue spécialement de Brest avec son copain : elle lui avait offert comme cadeau d’anniversaire une place pour le match face à Caen (1-1) et le musée des Verts, raconte Laurent Chastellière, le responsable du musée. Ce genre d’exemples prouve à quel point la passion pour ce club reste hors du commun. Je n’oublie pas qu’il y a quatre ans, Lens végétait en Ligue 2, et qu’en 2017, on affrontait Manchester United en Ligue Europa… »
Le fanion des Red Devils est là pour l’attester dans le musée, mais cette aventure contre Zlatan Ibrahimovic et les siens semble tellement loin désormais. Les périples européens, Eric Chouvier (47 ans), qui assure que « toute sa vie est construite autour de l’ASSE », n’en a pas raté un seul à partir des années Galtier. Que ce soit donc à Old Trafford, mais aussi en Azerbaïdjan ou en août 2013 contre le FC Milsami, à Orhei (Moldavie), après un voyage… de plus de 50 heures en car !
Christophe Galtier avait trouvé mon voyage tellement incroyable qu’à partir de là, il me faisait systématiquement monter dans le car de l’équipe pour me permettre d’assister à l’entraînement de l’ASSE avant chaque match de Coupe d’Europe à l’étranger, puis il me ramenait à mon hôtel, sourit ce professeur d’espagnol résidant au Puy-en-Velay (Haute-Loire). Ce sont des souvenirs extraordinaires. A l’époque, on ne pensait jamais revivre un jour une telle situation de crise, mais on va de désillusion en désillusion. Notre descente aux enfers est terrible, on va dans des stades improbables et on ne parvient pas à gagner. On pensait avoir toucher le fond, mais on en finit pas de creuser, alors que, pendant ce temps, Christophe Galtier entraîne Messi. »
« Le climat était un peu hostile »
Un constat aussi glacial qu’une intervention d’Etienne Green ou de Matthieu Dreyer devant leur ligne de but cette saison. Le récent renfort urgentissime de Gautier Larsonneur (ex-Brest et VA) à ce poste est l’une des bonnes nouvelles de la soirée côté stéphanois, tout comme la bluffante rentrée de Jean-Philippe Krasso (54e), passeur décisif sur l’unique but du match, signé Mathieu Cafaro mardi (1-0, 59e). Ce succès a à peine adouci l’air pesant du Forez. « Le climat était un peu hostile, et même si ce n’était pas un match décisif, cette victoire nous fait beaucoup de bien », insiste le capitaine stéphanois Anthony Briançon. La peur du vide n’en reste pas moins présente chez tous les supporteurs ce mercredi matin.
« Il n’y a pas qu’un monument en péril mais toute une ville, précise Hervé Boulanger. D’ailleurs quand on voit ce qu’il se passe à la mairie, on se dit que tout Sainté est décidément en crise en ce moment. » Il n’empêche, pour une soirée au moins, dans le trajet retour vers Montbrison mardi, Mathieu a pu faire croire à son fiston que les paroles de Monty avaient encore du sens en 2023. Et ça, c’est au-dessus d’une finale de Coupe du monde à Sainté.