NBA : Quel crédit accorder à ces « gros coups de chaud » de Mitchell, Doncic et compagnie ?
BASKET Avec ses 71 points inscrits dans la nuit de lundi à mardi contre Chicago, l’arrière des Cavs Donovan Mitchell a signé la plus grosse performance de l’histoire de la NBA depuis les 81 points de Kobe Bryant il y a 17 ans
- Le joueur des Cleveland Cavaliers Donovan Mitchell a réussi une performance dantesque, dans la nuit de lundi à mardi contre Chicago (145-134 a.p.), en combinant 71 points, 11 passes décisives et 8 rebonds.
- L’arrière de 26 ans devient seulement le sixième joueur de l’histoire de la NBA à atteindre la barre des 70 points inscrits dans un seul match.
- Quelle place accorder à pareil exploit, que n’ont par exemple jamais réalisé Michael Jordan et LeBron James, et aux nombreux « coups de chaud » qu’ont connu Luka Doncic, Klay Thompson et d'autres ces derniers jours, dans l’histoire du basket ?
« Pour être honnête, je joue très mal en ce moment », confiait samedi Donovan Mitchell, après avoir enchaîné un troisième match à 15 points ou moins en une semaine (à 5 sur 16 aux tirs) contre Chicago. Mais la NBA est tellement folle et imprévisible en ce moment que deux jours plus tard, l’arrière des Cleveland Cavaliers s’est fendu d’une performance historique face au même adversaire. 71 points (à 22/34), 11 passes décisives, 8 rebonds, plus un improbable panier décisif pour arracher la prolongation, dans laquelle il a scoré 13 des 15 points de son équipe, ça vous pose un bonhomme.
Il fallait bien ça pour combler 21 points de retard et permettre aux Cavs (4es à l’Est), privés de deux pièces maîtresses, Darius Garland et Evan Mobley, de l’emporter face aux Bulls (145-134 a.p.). Dire qu’à la mi-temps, Donovan Mitchell (8e meilleur marqueur NBA de la saison avec 29,3 points de moyenne) n’avait inscrit « que » 16 points. « C’est ce qui rend sa performance inattendue, raconte Bastien Fontanieu, directeur de publication du site de basket TrashTalk, qui a suivi le match en direct. Là, on voit que d’un coup, le mec a un gros coup de chaud, et on se demande jusqu’où va aller la canicule. Ce qui est affolant, c’est que l’extraordinaire est presque banalisé depuis quelques jours en NBA. »
Les cartons de Thompson et Embiid passent presque inaperçus lundi
Car outre le récital de l’ancien partenaire de Rudy Gobert à Utah, le Slovène Luka Doncic est devenu le 27 décembre le premier joueur de l’histoire à combiner plus de 60 points, 20 rebonds et 10 passes décisives dans un match, avant de reclaquer 51 pions pour le réveillon, histoire de. Ajoutez à cela, toujours lundi soir, les 54 points, avec 10 tirs longue distance à la clé, inscrits par le pistolero des Warriors Klay Thompson contre Atlanta (143-141 après deux prolongations), ou encore les 42 points et 11 rebonds de Joel Embiid, même diminué au dos, contre les Pelicans (120-111).
Presque une broutille dans cette orgie de perfs individuelles du début de l’hiver, qui a aussi vu le King LeBron James scorer 47 points vendredi, le jour de ses 38 ans (puis 43 lundi), ou Zach LaVine (43 avec Chicago) et Jordan Poole (41 avec Golden State) régaler également le 30 décembre. Autant de chiffres qui piquent plus que jamais les yeux des suiveurs de l’Euroligue, où le Serbe Vasilije Micic (Anadolu Efes Istanbul) caracole en tête du classement des marqueurs… avec 18,1 points de moyenne.
« On s’expose à des dingueries tous les soirs »
Quelle place faut-il donc accorder aux performances de martiens actuelles, qui tombent de partout outre-Atlantique, dans l’histoire du basket ? Car oui, il y a évidemment quelque chose d’irrationnel à voir Donovan Mitchell, tapé par les Bleus avec Team USA (79-89) en quart de finale du Mondial 2019 (malgré ses 29 points) exploser la meilleure perf d’un LeBron James et d’un Kyrie Irving alors à leur prime sous le maillot des Cavs (57 points), tout en entrant dans un cercle restreint de six joueurs à avoir atteint la barre des 70 points, contrairement à Michael Jordan himself (bloqué à 69).
Nous sommes dans une ère où la NBA se frotte les mains car on s’expose à des dingueries tous les soirs tant il n’y a jamais eu autant de talents et de stars dans la Ligue, estime Bastien Fontanieu de TrashTalk. Si tu n’es pas debout une nuit, tu peux te retrouver à manquer un moment d’histoire comme ont pu nous en offrir coup sur coup Doncic et Mitchell. »
Les raisons sont évidemment multiples pour tenter d’expliquer cette période si propice aux monumentaux cartons offensifs actuels, à commencer par l’évolution globale de la Ligue américaine. « Dans les années 1990 et 2000, le jeu était beaucoup plus lent et la NBA a fait ce qu’il fallait pour faire évoluer cela, notamment sur le plan de l’arbitrage », explique Bastien Fontanieu. Comprendre qu’outre la possibilité d’un nombre de pas quasi illimité sans se voir siffler un marché, les attaquants vedettes sont particulièrement protégés.
« On laisse le spectacle prendre le dessus »
La stat qui tue, lors de ce fameux Cleveland-Chicago de lundi, c’est le 20/25 aux lancers francs réussi par Donovan Mitchell, lui qui ne tire pourtant que 6 lancers en moyenne par match cette saison. Le héros de la nuit a enchaîné des « and one » en bénéficiant de coups de sifflet pour ce qui s’apparenterait à des caresses sur les bras, lorsqu’on repense aux attentats répétés de Bill Laimbeer et des mythiques Bad Boys de Detroit sur Michael Jordan à la fin des années 1980. De même, à 128-130 à 4,7 secondes de la fin du temps réglementaire, Donovan Mitchell a volontairement raté un lancer franc afin d’espérer un rebond offensif et le panier de l’égalisation, comme Luka Doncic la semaine passée. Sauf que là, « Spida » a franchi la ligne bien avant que le ballon ne touche le cercle, pour bondir et arracher, du haut de ses 185 cm, un rebond décisif avant de scorer de près.
Sans surprise, le trio arbitral a accordé l'improbable égalisation, sans même revoir au ralenti cette action plus que litigieuse. « Les arbitres NBA ont pour consigne d’avaler leur sifflet dans le money-time des matchs, indique Bastien Fontanieu. Avant, il y avait des coups de sifflet favorables aux stars, mais le jeu était très haché. Aujourd’hui, la NBA s’apparente souvent au catch de la WWE : on laisse le spectacle prendre le dessus. Il faut parfois aller dans le sens du script, et surtout en saison régulière, c’est "open bar" pour que des jeunes puissent signer des perfs de phénomènes. » Avec un arbitrage plus rigoureux, Donovan Mitchell se serait probablement arrêté lundi à 56 points, et avec la défaite au bout…
« Tirer à 10 mètres est devenu la norme »
Le phénomène de starification des joueurs NBA n’est bien entendu pas nouveau. En 2017, le prometteur Devin Booker avait signé, à seulement 20 ans, la bagatelle de 70 points lors d’un Boston-Phoenix. Malgré la défaite contre les Celtics (130-120), tous les Suns avaient fêté leur jeune pépite dans le vestiaire, après avoir tout fait pour lui permettre de briller en deuxième mi-temps (51 points inscrits), parfois en dépit d’un objectif collectif. A voir ce brave Andre Drummond ne pas esquisser le moindre geste lundi pour contrarier un tir longue distance de Donovan Mitchell, ou Zach LaVine se désintéresser du ballon et lui tourner le dos sur une contre-attaque cruciale en pleine prolongation, on a vite compris qu’on était loin des grandes batailles de play-offs, pour ce qui reste un match de saison régulière parmi 82.
Surtout, à l’image de l’arrière en feu des Cavs lundi (7/15), la banalisation du tir à (très) longues distances rend mathématiquement les carnages individuels plus accessibles. « Comme tant d’autres, Mitchell (26 ans) est un peu un enfant de Steph Curry, constate Bastien Fontanieu. Tirer à 10 mètres est devenu la norme pour toute une génération de jeunes joueurs, qui ont carte blanche dans leur équipe. » Le registre de l’inarrêtable pivot de 2,16 m Wilt Chamberlain était clairement différent lorsqu’il a atteint les 100 points inscrits dans un match en 1962. Un total dont personne ne s’est jusque-là autant approché que Kobe Bryant en janvier 2006, dans un succès contre les Raptors (122-104) rendu légendaire en raison de son irréelle feuille de stats à 81 points (dont 7/13 à 3 points).
« Mitchell et Robin Lopez ont combiné pour 72 points »
Mais attention, car comme le précise Bastien Fontanieu, « toutes les stars sont historiquement en préchauffage juste après Noël, donc on n’est à l’abri de rien ». On parle après tout d’une Ligue où l’arrière français Rodrigue Beaubois a scoré 40 points en 30 minutes de jeu, en mars 2010, et où des inconnus du grand public comme Mo Williams, Corey Brewer, Terrence Ross, Khris Middleton et Caris LeVert ont tous réussi à franchir un jour la barre des 50 pions.
S’il y a bien une chose qui traverse le temps en NBA, c’est l’humour des joueurs de l’ombre. Comme Stacey King l’avait fait 34 ans plus tôt, lors d’un carton de son partenaire Michael Jordan, le pivot des Cavs Robin Lopez s’est fendu lundi d’un message bien senti : « Je souligne que Donovan Mitchell et Robin Lopez ont combiné pour 72 points ce soir ». C’est aussi ça, l’entertainement de la NBA.