Ultra-trail : « C’est le partage qui m’a fait avancer », confie Anne-Lise Rousset après son record de folie sur le GR20
INTERVIEW La vétérinaire haut-savoyarde, maman d’un garçon de 11 mois, est devenue mardi soir la première athlète à passer sous la barre des 40 heures sur l’impitoyable GR20 en Corse (170 km et 12.700 m de dénivelé positif)
« J’allais vraiment vite dans des descentes très techniques mais elle me poussait sans cesse. » Recordman du GR20 en 30h25 et dans un rôle de pacer lundi dès 6 heures, le Corse Lambert Santelli avoue avoir été bluffé par le départ d’Anne-Lise Rousset, à l’occasion de sa tentative de record féminin sur les 170 km (12.700 m de dénivelé positif) entre Calenzana et Conca.
Et pour cause, la vétérinaire haut-savoyarde de 33 ans, maman d’un petit Faustin depuis onze mois, est parvenue mardi soir à pulvériser la marque d’Emilie Lecomte (41h22 en 2012) sur le mythique sentier corse. En 35h50, la traileuse du Team Scott running a réalisé son rêve. Elle raconte ce mercredi à 20 Minutes comment elle a vécu son « incroyable aventure » en altitude, durant laquelle elle a dû négocier une nuit délicate et vite se passer de deux de ses amis pacers, Florian Bernabeu et Sébastien Chaigneau, victimes de chutes.
Avant le départ, vous nous aviez confié votre crainte de parcourir pour la première fois de votre carrière l’équivalent d’un 100 miles (160 km). Cette première s’est finalement passée sans encombre ou presque, non ?
(Sourire) Je n’ai quand même jamais aussi mal couru de ma vie qu’à la fin de ce GR20. J’avais une foulée lamentable, c’était terrible. Physiquement, ça a tenu, mais je redoutais beaucoup la partie alimentation, et c’est vraiment le point clé, l’aspect très dur à gérer. A un moment, on n’arrive plus à manger, on n’arrive plus à boire. Le système digestif est complètement à l’arrêt sur un ultra.
Quel a finalement été le moment le plus difficile à gérer durant les 35h50 de ce défi de folie ?
J’appréhendais forcément la nuit mais je ne pensais pas la vivre aussi mal. J’étais épuisée après m’être ravitaillée à Vizzavona (au km 92). Je tombais de sommeil, comme si j’étais narcoleptique. Cétait un passage plutôt roulant jusqu’à Verde et j’avais prévu de courir. Mais là, c’était un chemin de croix. Deux fois, j’ai fait le coup à mes copains en leur annonçant : « Là, il faut absolument que je dorme. » Les pauvres, ils avaient comme consigne de ne surtout pas me laisser dormir. Ils étaient désemparés et ils ont tenté de me convaincre de continuer.
Qui a obtenu gain de cause ?
(Sourire) D’abord eux, j’essayais donc de parler car je m’endormais debout, un peu comme quand on est très fatigués quand on lâche prise devant la télé. Puis après Verde, au milieu de la montée de Prati, je ne tenais plus debout et j’ai demandé à mes amis Stéphane et Benoît de me laisser dormir cinq minutes. Je n’aurais jamais pensé que mon corps fasse ça un jour, mais je me suis allongée n’importe comment sur le chemin, et j’ai dormi d’un sommeil hyper profond pendant cinq minutes (sourire). Ça m’a fait un bien fou, c’était incroyable. Peu après, le soleil se levait, et c’était reparti.
C’est un peu comme s’il y avait eu deux courses distinctes pour vous, entre vos performances de jour et de nuit ?
Oui, la nuit, je me sentais lamentable, je n’avançais plus du tout, et j’ai perdu 1h30 par rapport à nos estimations. Heureusement, j’avais plus d’1h30 d’avance avant à mon arrivée à Vizzavona.
N’avez-vous pas vu un mauvais signe lundi avec les chutes de vos amis « pacers » Florian Bernabeu, puis Sébastien Chaigneau, qui pourrait avoir les côtes fracturées ?
C’était difficile à vivre car je savais qu’ils avaient à cœur de m’aider, et ils n’ont pas pu aller au bout de cette aventure collective. Seb avait des crampes avant et il nous a vraiment fait peur sur sa chute. C’était dur de les laisser sur le côté et de repartir. Tout le monde était à 200 % mobilisé autour de moi.
De votre côté, aviez-vous la lucidité suffisante pour bien négocier le cirque de la solitude et le passage de chaînes aux aiguilles de Bavella ?
Ce ne sont pas forcément les parties les plus techniques et dangereuses qui sont les plus à risques, parce que là, inconsciemment, on est plus lucides et on fait extrêmement attention. Par contre, dans les parties où il y a moins de cailloux, où on lève moins le pied, c’est là qu’on peut tomber. Ça m’est arrivé à moins de 10 kilomètres de l’arrivée, peut-être sur la partie la plus propre de tout le GR20. J’ai vraiment eu beaucoup de chance de m’en tirer sans trop de bobos, avec seulement deux chutes au total. A tout instant, sur l’intégralité du GR20, on peut s’en prendre une bonne…
Voir à plusieurs reprises Faustin, votre garçon de 11 mois, durant votre parcours, a été essentiel dans votre réussite ?
Oui, j’ai pu le retrouver trois fois, puis évidemment à l’arrivée à Conca. A Bavella, j’avais peur d’arriver sur son heure de sieste et j’étais trop contente de le voir, tout souriant et tout mignon. Il a été mon moteur ultime, bien sûr.
Hormis le sourire de Faustin, quels sont les moments qui resteront gravés en vous ?
J’ai quand même pu profiter du paysage mais la performance vient à 100 % du partage. La partie nord a été incroyable parce que je n’ai pas eu de véritable coup de mou. Ça a donc été du plaisir en permanence. Mais la partie sud, c’était une autre atmosphère, c’est le mental qui a dû prendre le relais. Et moi, c’est le partage qui m’a fait avancer. Je retiens ma joie de retrouver tout le monde aux ravitaillements et celle d’être à trois tout le temps [accompagnée de deux pacers]. Ça donne un mix sacrément fort. J’ai vécu une incroyable aventure avec les copains.
A quand le retour à vos 50 heures de travail hebdomadaires au cabinet vétérinaire de Cruseilles (Haute-Savoie) ?
Je reprendrai lundi prochain au cabinet, après quelques jours en famille pour récupérer en Corse. Puis je vais ranger les baskets pour quelques semaines (sourire). Une fois que je me suis arrêtée après l’arrivée, je n’arrivais plus du tout à lever mes jambes. Là, c’est « moins pire », mais les douleurs musculaires sont tellement importantes que dès que je bouge un peu, ça fait mal.