Roland-Garros : Federer en colère ? Ça arrive plus souvent qu’on ne le croit
TENNIS Le Suisse s’en est pris vertement à l’arbitre de son match contre Cilic, une attitude qu’on ne lui connaît guère sur le circuit
- Roger Federer a battu Marin Cilic au deuxième tour en quatre manches (6-2, 2-6, 7-6, 6-4).
- Averti par l’arbitre pour dépassement de temps, le Suisse s’en est pris longuement à l’arbitre, dans un état d’énervement qui ne lui ressemble pas.
- L’occasion de se rappeler que l’homme aux 20 Grands Chelems n’a pas toujours été la tempérance incarnée, même encore aujourd’hui.
A Roland-Garros,
Deux coups de colère diversement appréciés sur les deux plus grands courts de la Porte d’Auteuil jeudi. Djokovic d’abord. Le Serbe a fait virer du court deux/trois spectateurs qui criaient un peu trop fort « Vamos Cuevas » à des moments où on est censés se taire. Analyse d’une bande d’amis présents sur Le Lenglen : « Ils étaient un peu relous, mais franchement, rien de bien méchant, ils ne méritaient pas de se faire expulser comme ça ». Sur le Central, Federer n’a pas demandé aux gars de la sécurité de ramener l’arbitre à l’hôtel mais c’était moins une. Le Suisse est rentré dans une colère du diable contre ce pauvre Emmanuel Joseph, coupable de lui avoir adressé un avertissement pour dépassement de temps face à Cilic. Les commentaires saisis à la volée à la fin du match, parmi le flot de privilégiés présents ?
- Le fanboy > « Il avait raison, l’arbitre ne lui avait rien dit avant, et il lui sort un avertissement de nulle part »
- Le fan boy ++ > « Cilic faisait exprès de servir vite alors que Rodgeur allait chercher la serviette pour s’essuyer ; c’est lui qui aurait dû être averti »
- Le fan boy qui a un peu de second degré > « Rodgeur il a 40 ans, faut lui laisser le temps de s’éponger, on transpire à cet âge-là »
- Le hater de Rafa à qui on n’avait rien demandé > « Ça fait 15 ans que Nadal prend des plombes pour servir, pourtant on lui dit rien »
Bilan : Rodgeur peut bien torturer un bébé dauphin tout mignon à la gégène, on trouvera encore qu’il est génial. Pourtant, foi de suiveur au long cours, on n’a JAMAIS vu le Suisse s’énerver aussi fort et aussi longtemps, d’autant qu’il est souvent plus direct en français, qui n’est pas sa langue natale. Morceaux choisis :
- « « Tu penses que je suis lent ? »
- « Je n’ai pas été long »,
- « Tu ne m’as jamais vu jouer ou quoi ? »,
- « Il a fait ça dix fois dans le premier set et tu ne l’as pas arrêté »,
- « Je t’ai écouté avant, maintenant c’est toi qui m’écoutes »,
- « Tu pensais ? Mais tu penses faux, comme t’as pensé faux juste avant. »
Une sombre histoire de serviette
Trois bonnes minutes de mauvaise foi caractérisée, sans que personne ne comprenne vraiment la raison de ce courroux soudain. Surtout pas Emmanuel Joseph, l’un des six « badges d’or » en France, soit la Rolls de la Rolls en matière d’arbitrage. « Excuse-moi de faire mon travail ». Il suffisait pourtant d’avoir écouté le Suisse l’autre jour après sa première victoire contre Istomin. Comme tous les gens qui vieillissent, Rodgeur se découvre de nouvelles lubies : depuis son retour sur le circuit, c’est « à quel moment je dois prendre ma serviette », laquelle n’est plus mise à disposition à demande par le ramasseur de balle, comme avant le Covid-19.
« Aujourd’hui, j’ai fait un plus gros effort d’attendre un peu plus, plutôt que de jouer point après point comme à l’entraînement très vite. Parfois, je dois me dire : prends un peu le temps, va jusqu’à la serviette, fais quelque-chose de différent, peut-être que c’est bête mais c’est vrai, je fais cela naturellement dans les grands matchs avec un grand public. Je demande la serviette rapidement parce que je transpire, ou on a besoin de respirer un peu, et on se sent un peu plus intime quand on est dans cette situation plutôt que d’aller d’un côté du court à l’autre pendant trois heures. Je me suis senti plus à l’aise parce que j’ai fait l’effort de réfléchir à cela ».
Voilà pour les raisins de la colère, qui nous rappelle que Rodgeur n’a pas toujours été cet être délicieux et classieux en toutes circonstances. L’histoire de son adolescence frondeuse a été mille fois racontée, et son père dix mille fois cité : « Parfois nous avions honte. Nous n’avons jamais été en colère contre lui quand il perdait de matchs. Mais nous étions en colère à cause de son comportement. Nous n’arrêtions pas de lui dire qu’il envoyait un mauvais message à l’adversaire ».
Un bref retour à l’adolescence
Une anecdote parmi d’autres, toujours avec le papa. Entraînement quelque part en Suisse à 10-12 ans, Robert qui donne ses consignes et Rodgeur qui n’en a rien à taper, à tel point que son père le plante là avec cinq francs suisses. « J’ai attendu une demi-heure mais il était vraiment parti du club. J’ai marché jusqu’au tram, puis le bus, j’ai mis une heure à rentrer. En arrivant, mon père m’a dit : "Cela ne se reproduira plus parce que cette attitude n’est plus acceptable" ? C’est devenu symbolique pour moi, et ça m’a poussé à toujours bien me comporter sur le court ».
La naissance du Federer placide, fair-play et d’humeur égale qu’on connaît. Enfin presque. A y regarder de plus près, le Suisse n’est pas toujours un gendre parfait. Lors de son dernier Roland-Garros, on l’avait surpris à balancer une balle hors de stade contre Nadal en demie. Avertissement aussi. Open d’Australie 2020, le dernier qu’il a disputé ? Chopé par la patrouille pour une insulte prononcée en suisse-allemand, entendue par ce qui doit être le seul juge de ligne suisse-allemand du circuit. Pas de bol. Et ce coup de chaud contre Cilic, alors, Rodgeur ?
« Il faut que je m’habitue aux nouvelles règles »
« Je n’ai pas compris tout de suite, je n’avais pas l’impression d’avoir pris trop de temps. Je ne suis pas du genre à faire attendre mon adversaire quand je joue. Marin devait être énervé, mais comme l’arbitre ne me l’a pas dit…. bon, ça ne l’empêchait pas de faire rebondir sa balle dix fois, j’avais le temps de me placer. Bref, il faut que je m’habitue aux nouvelles règles. Mais c’était un moment intéressant et ça a remis de l’énergie dans le match j’ai aimé ». Le tout dans un grand sourire, comme s’il était passé à autre chose. Il était nettement moins rigolard il y a cinq ans, quand un jeune inconscient avait réussi à entrer sur le court pour lui demander un selfie : c’est Gilbert Ysern, l’ancien DG de la fédé, qui avait dû essuyer sa colère noire dans l’intimité du vestiaire, la dernière dont on se souvenait. Jusqu’à celle-ci.