Mort de Maradona : « Il s’était comporté comme un seigneur »… Comment le TFC a « étouffé » le meilleur joueur du monde
FOOTBALL Tout frais champion du monde, Diego Maradona était venu jouer, et perdre, avec Naples au Stadium de Toulouse à l’automne 1986. Joueurs d’alors et supporteur du TFC se souviennent d’un joueur et d’un homme hors du commun
- Diego Maradona a marqué l’histoire du TFC voici 34 ans, lorsque son équipe de Naples a été éliminée par la formation toulousaine en Coupe de l’UEFA (0-1, 1-0, 4-3 aux tirs au but).
- Récent vainqueur d’une Coupe du monde 1986 éclaboussée de son talent, l’Argentin, décédé ce mercredi, était passé à côté de son unique rendez-vous avec le Stadium.
- Le défenseur Benoît Tihy, qui ne l’avait pas lâché d’une semelle, avait contrôlé le génie, dont il souligne aussi les qualités humaines.
Diego Maradona est mort ce mercredi et l’émotion a parcouru la planète à la vitesse de la fibre. A Toulouse, ce drame a ravivé la flamme du plus bel exploit de l’histoire du TFC, vieux de 34 ans, contre Naples et son idole argentine. Nous sommes le 1er octobre 1986 et le Capitole a marché tout l’été sur le Top 50, au rythme des Démons de Minuit d’Images et de Ville de lumière de Gold. « El pibe de oro » vient de survoler le Mondial mexicain.
Revêtu de son inoubliable maillot bleu Buitoni, le meilleur joueur sur Terre se rend sur l’île du Ramier pour confirmer la victoire du match aller (1-0) et composter son billet pour les 16es de finales de feue la Coupe de l’UEFA. A priori une simple formalité contre une équipe sans référence européenne. Pourtant, plus de deux heures et un tir au but raté par l’icône plus tard, les 35.000 spectateurs du Stadium explosent, Toulouse attaque « une nuit blanche et la plus belle fête depuis cinquante ans », selon Benoît Tihy.
L’habituel arrière gauche de devoir s’est mué en héros d’un soir, en éteignant l’astre argentin de 25 ans. « Il lui a piqué sa baguette de magicien », décrit joliment Didier Pitorre, supporteur-collectionneur historique du Tef’ (et du Stade Toulousain). Le quinquagénaire se rappelle forcément du but de Yannick Stopyra qui remet les compteurs à zéro, de ce « match de folie » qui l’avait laissé « aphone » avant de passer le lendemain un oral d’anglais dans son pensionnat de Castres.
D’entrée, un « tampon » sur l’idole
« Dès l’entame du match, Pascal Despeyroux met un tampon à Maradona, retrace Pitorre, coauteur d'un livre sur l'histoire de son club. Je pense qu’aujourd’hui, il y aurait eu carton rouge. » Le gardien et capitaine Philippe Bergeroo décrit plutôt, avec une pointe d’ironie, « un carton orangé scintillant ». L’arbitre suédois Erick Fredriksson ne sortira même pas le jaune. Faites entrer l’accusé : « Diego me dribble à la régulière et je le touche un peu, raconte Despeyroux, 20 ans à l’époque et de la fougue plein les crampons. J’avais un formidable respect pour lui. »
Comme ses coéquipiers, l’ex-milieu défensif international, passé ensuite par Saint-Etienne, vante « l’extraordinaire pied gauche » et « les accélérations fulgurantes » d’un joueur hors norme, mais globalement hors sujet lors de ce double rendez-vous européen.
« Il était un peu "carbo" »
« Après le Mondial, il était un peu "carbo", il n’avait pas été exceptionnel contre nous, note Despeyroux. Mais j’ai vu ce que pouvait être un mythe vivant au stade San Paolo, à l’aller. Il y avait 80.000 personnes dans l’enceinte et autant dehors, portant des drapeaux ou des pancartes avec la tête de Diego. »
« A Naples, Maradona avait dû se procurer deux occasions, dont un face-à-face dans un angle fermé, mais on ne l’avait pas trop vu », confirme Bergeroo (66 ans), qui considère l’enfant de Villa Fiorito comme « l’un des deux meilleurs joueurs de tous les temps avec Pelé ». « Au retour, il avait été super bien pris », poursuit le gardien aux trois sélections.
On en revient donc à Benoît Tihy, que Jacques Santini, l’entraîneur toulousain et futur sélectionneur des Bleus, avait eu le flair de placer au marquage individuel strict de l’infernal gaucher. A l’ancienne, même pour l’époque. « Benoît avait à peu près la même taille, le même centre de gravité que Diego et il l’a étouffé », témoigne Despeyroux, tout heureux de ne pas avoir à se coltiner le marquage du génie, comme il le craignait les jours précédents, au point d’en « faire des insomnies ».
« Je l’ai su trois heures avant le coup d’envoi du match aller, se rappelle Tihy (61 ans) depuis Monbazillac en Dordogne, où il produit aujourd’hui du vin et du miel. Et j’ai dit à Jacques : « ça faisait dix jours que j’attendais que tu me le demandes ! » J’étais très heureux. Contre le meilleur joueur du monde, il ne pouvait m’arriver qu’une chose : que je sois bon et qu’on parle de moi. » Gagné.
« Au match aller, Maradona évoluait en position de dix et ça s’est très bien passé. Au retour, il est deuxième attaquant. Pendant les cinq premières minutes, il me met le turbin sur le côté gauche. Je sentais qu’il risquait de me faire des misères pendant tout le match. Et puis je me suis repris. » Le capitaine napolitain précipite même l’élimination des siens, dont les internationaux ou futurs internationaux italiens Ferrara, De Napoli, Bagni et Carnevale (le buteur de l’aller), avec un ultime tir au but digne d’une vieille cassette du Foot en Folie : une frappe à rebonds, sur le poteau droit puis le genou de Bergeroo.
« C’est le meilleur souvenir de ma carrière »
« Alberto Tarantini [défenseur argentin du TFC, champion du monde 1978] m’avait dit de ne surtout pas bouger, car Maradona n’attendait que ça pour prendre le gardien à contre-pied, explique le futur coach, entre autres, du PSG et de l’équipe de France féminine. C’est le meilleur souvenir de ma carrière, une formidable communion entre nous et le public toulousain et occitan. »
Mis en échec, empêtré hors terrain dans l’affaire très médiatisée de la naissance onze jours plus tôt de Diego Armando Jr – fils illégitime qu’il finira pas reconnaître 30 ans plus tard — Maradona aurait pu dégoupiller. Et pourtant, « il s’est comporté comme un seigneur », selon Tihy. « Il n’a pas eu un mauvais geste, pas une mauvaise parole pendant le match. Juste avant la séance de tirs au but, il a même fait 25 mètres pour venir me féliciter et me serrer la main. »
« Un gars très doux, très "famille", bienveillant »
Pascal Despeyroux complète l’hagiographie. « J’étais toujours collé à nos deux Argentins, Beto Marcico, notre petit Maradona, et Alberto Tarantini, raconte ce pur Toulousain de 55 ans. J’ai eu la chance avant la rencontre d’assister à une discussion entre eux et Diego. On sentait un gars très doux, très "famille", bienveillant. Le contraire de ce qu’on pouvait penser, en somme. » Le maillot de l’idole finira chez Tarantini. Marcico, qui le retrouvera à Boca Juniors en fin de carrière, avait reçu celui de l’aller. « J’ai récupéré le maillot de De Napoli, c’était pas mal non plus », sourit Tihy.
Quelques semaines plus tard, le rêve européen du Tef' prendra brutalement fin face au Spartak Moscou (3-1, 1-5). Peu importe. Face au champion du monde et futur champion d’Italie au printemps suivant, Toulouse avait écrit l’Histoire, comme l’éclaire cette anecdote de Didier Pitorre.
« Un copain aujourd’hui décédé, également supporteur du TFC, avait réservé bien avant le tirage au sort le voyage de sa vie avec sa femme, au Pérou. C’était la technologie de 1986. Donc, le lendemain du match, il ne connaissait pas le résultat. Et là, en plein milieu de la Cordillère des Andes, il remarque une petite télé noir et blanc au fond d’une boutique. Il entend « Maradona » puis il voit les images de la joie de Tarantini… Là il comprend et se met à gueuler ! Cet exploit a fait le tour du monde, même si pour la plupart des gens, c’est avant tout Maradona qui s’était fait éliminer. »
Cette soirée toulousaine ratée n’entachera pas la gloire éternelle du divin Argentin. Mais elle reste un motif de fierté doublé d’un objet de nostalgie pour tout un club. Un peu plus encore depuis ce triste mercredi.