Mort de Maradona : Quand l'idole prenait aussi beaucoup de place
FOOTBALL Lors de la Coupe du monde 2018 en Russie, l’attitude et les critiques de Maradona n'avaient pas franchement grandi son souvenir
- Diego Maradona est mort mercredi à l'âge de 60 ans.
- Joueur incroyable, Maradona était devenu un personnage de spectacle dans la suite de sa carrière.
- Lors de la Coupe du monde 2018, il avait produit un show étrange, qui n'avait pas beaucoup aidé à la sérénité de son équipe nationale.
Sa mort n’a pas été la longe agonie qu’on a parfois redoutée, à le voir martyriser son corps à l’excès, au gré d’addictions incontrôlables et de nuits enfiévrées plus longues que les jours. Cela faisait déjà longtemps, pourtant, que la gloire avait laissé la place à l’encombrant héritage d’un personnage entre la foi mystique et la légende noire. Maradona a trompé plusieurs fois la mort, mais jamais celle du sportif.
Sa décadence physique a commencé trop tôt, même si le bonhomme s’est soigné quelques fois, et sa figure christique ressemblait à une ombre de plus en plus écrasante. Pour l’Albiceleste, évidemment, incapable de redevenir championne du monde sans lui, pour Lionel Messi, certainement, le successeur tant de fois maudit en sélection, et pour toute l’Argentine, condamnée à ressasser un passé doré de plus en plus lointain.
Un accompagnateur régulier de la sélection…
La Coupe du monde cataclysmique de l’Argentine en 2018, qu’on a pu observer de près depuis notre datcha russe, devait autant à la faiblesse intrinsèque d’une équipe en fin de course, qu’à l’environnement vicié qui peut escorter cette grande nation du foot. Maradona y tenait le premier rôle, parce qu’il le voulait bien. On se souvient encore de son apparition divine dans les tribunes du Spartak Stadium avant le match de l’Argentine contre l’Islande. Enfin, on n’avait pas compris tout de suite, puisqu’il était derrière nous et en hauteur, en loge. Mais on a perçu le vrombissement d’un stade aux trois-quarts argentin, l’extase collective qui montait dans l’air, puis le cri de ralliement jusque dans le port de Rosario. « DIEGOOOOOOOOOOOOO, DIEGOOOOOOOOOOOOOO ».
Dieu saluera ses ouailles en remerciement, les yeux exorbités à faire peur. C’est le mot. L’homme faisait peur. Peur, parce qu’on supportait mal de le voir s’abîmer un peu plus dans des postures ou des singeries qui ne racontaient pas le génie qu’il était, peur, parce que c’est moins déshonorant que pathétique. En Russie, la frontière fut mince, et on ne parle pas que des doigts d’honneur en tribune ou des plans moqueurs sur la star soudainement très enrhumée. Profitant de ses accointances avec le Venezuela, Maradona s’était fait payer le voyage par Telesur, la grande chaîne de propagande du régime de Maduro. En échange des dernières devises de Caracas, Maradona, qui n’accordait presque plus d’interviews sans un gros chèque au bout, déversait sa bile sans filtre.
…Mais aussi un critique acerbe
Sur Sampaoli - « La façon dont il a préparé ce match, c’est une honte, il ne peut pas rentrer en Argentine si on joue comme ça », sur son gendre Aguero - « Il est cramé, il ne faut pas qu’il soit titulaire au prochain match », sur à peu près tout le monde, en fait, en dehors de Lionel Messi, à qui il devait reconnaître un peu de talent. On s’était d’ailleurs demandé si ces interventions nocives n’ébréchaient pas un peu la réputation d’un homme, même quand cet homme est celui qui se rapproche le plus de Dieu, en Argentine. Certains collègues de là-bas avaient bien voulu nous répondre, mais toujours sous couvert d’anonymat, comme si ce qu’on écrivait sur Maradona dans un journal français pouvait coûter des vies au pays.
« Diego on le respecte comme la plus grande idole de notre histoire, mais ses opinions ont surtout une répercussion médiatique, dans les sens où tout le monde les reprend. Je ne pense pas qu’elles soient traitées avec plus d’importance que ça par le staff ou par les supporters ». Ceux qu’on avait attrapés au vol aussi, donnaient l’impression de se forcer pour dire du mal de leur héros d’enfance. « Diego comme joueur, c’est une chose, mais Diego la personne, c’est différent. Il fait du bruit, mais pas beaucoup plus ».
Un bruit de fond un peu gênant, voilà ce qu’était devenu le meilleur joueur du monde, ou l’un des meilleurs, cela dépend l’Église que le football a choisie pour nous. Mais un bruit de fond qui poussait tout un pays au silence religieux, quand la nouvelle d’une énième rechute s’annonçait dans les foyers argentins. Beaucoup le croyaient une fois de plus tiré d’affaire il y a dix jours, après une opération du cerveau en urgence. Ce n’était qu’un dernier sursis.