VIDEO. Coronavirus : « Parler tout seul, ça aide ! » Les conseils de Sébastien Destremau face au confinement
INTERVIEW Sébastien Destremau, qui a vécu 124 jours de solitude lors du Vendée Globe 2016-17, donne quelques conseils – insolites – aux Français confinés en raison de la crise du coronavirus
- Sébastien Destremau a passé 124 jours seul sur son bateau lors du Vendée Globe 2016-17.
- Ne pas hésiter à parler tout seul et savoir profiter des moments d'ennui : voilà les deux principaux conseils du navigateur varois.
Il a fini dernier du Vendée Globe 2016-17. Il est troisième du « podium 20 Minutes des experts qui vous donnent des conseils pour gérer leur confinement ». Après Thomas Pesquet (six mois dans une boîte de conserve spatiale), après Jean-Jacques Savin (127 jours en mer dans un tonneau), nous vous proposons ce mercredi les astuces du navigateur varois Sébastien Destremau.
Il y a trois ans, il a bouclé le Vendée Globe en 124 jours, après avoir connu quelques galères. Et quelques folies : le skipper avait composé une chanson improbable, fabriqué une clé des océans et tenté de pêcher de quoi manger. Sa préparation du « Vendée » 2020 étant sérieusement perturbée, Sébastien Destremau garde en ce moment des enfants d’infirmiers réquisitionnés en raison de la pandémie de coronavirus. Et répond à nos questions.
La situation que vivent les Français confinés est-elle comparable à celle que vous avez vécue sur FaceOcean ?
On est chez soi, avec son entourage, son environnement, peut-être seul, peut-être accompagné… Mais on n’est pas sur un bateau qui fait cinq mètres carrés. On a encore le téléphone, Skype, la télé, le frigo, Internet. On peut parler à plein de copains et d’ailleurs je pense qu’on doit en profiter énormément.
Comment vivez-vous cette période ?
C’est beaucoup plus facile pour des gens comme nous, des marins solitaires, de supporter ou de ne pas avoir peur de cet isolement. En général, ça fait peur de se dire qu’on a aucune idée de combien de temps ça va durer.
Et comment gérer cette incertitude ?
Je crois que le nombre de jours importe peu. Le premier jour était long parce qu’on en avait peur et puis finalement, quand on a passé le premier jour et qu’on a attaqué le deuxième… Bah on avait déjà un jour d’expérience donc le deuxième était un peu plus facile.
Sur le Vendée Globe, je ne savais plus si on était au jour 35, au jour 50 ou au jour 120. Les derniers jours seront extrêmement longs, quand on va nous dire : « Lundi prochain, vous allez remettre le nez dehors ! »
Il ne faut pas se projeter dans l’après ?
Non, parce que c’est trop dur de faire ça. Se dire qu’on va aller boire des coups, que ça va être génial parce qu’on va sortir dans deux semaines… Mais le gouvernement va peut-être rajouter une petite semaine et si la date recule, ça sera compliqué.
Est-ce qu’il est utile d’avoir un ami imaginaire quand on est seul ?
Oui ! (Sourire). Sur le bateau, il y avait moi et moi-même, déjà on était deux. On se parlait beaucoup tous les deux. (Plus sérieux) Je parlais à beaucoup de gens, j’avais beaucoup de personnes avec qui je partageais les moments de joie, de peur, de tristesse.
Vous parliez tout seul ?
Oui ! J’avais une vraie conversation avec d’autres personnes… qui n’étaient pas là. Vous posez des questions, vous écoutez les réponses, vous avez une conversation normale, sauf que les réponses ne sont pas réelles.
Je le fais encore d’ailleurs, quand je fais un long voyage en voiture tout seul, je sors des phrases comme ça à voix haute parce que je suis en pleine conversation avec quelqu’un. S’il y avait un micro dans la voiture, on entendrait des morceaux de phrases ! Ça aide beaucoup.
Ça rend moins anxieux ?
D’abord, ça rend moins seul. Quand j’étais dans les mers du sud, je n’avais pas de moyens de communiquer facilement – à part en cas d’urgence. Je me fabriquais des conversations comme ça, c’était normal.
Vous parliez à vos proches ?
Particulièrement à mon frère jumeau. Quand j’avais des pensées plus techniques sur le bateau, je parlais à mon autre frère, Jean-Guillem, qui était mon directeur technique. J’essayais à voix haute d’imaginer des scénarios de panne, de formuler la prochaine difficulté, pour avoir sa réponse. Beaucoup de ces conversations m’ont permis de ne pas l’appeler en vrai. Je connaissais déjà sa réponse.
L’ennui est un immense luxe. Profitons de ce luxe pour réfléchir : est-ce qu’on a envie de repartir de la même manière ? »
Ça peut faire un peu fou de parler tout seul, mais non : vous ne parlez pas tout seul quand vous parlez tout seul. Quand on est dans un cas comme celui-là de solitude extrême – et il y a aujourd’hui des gens qui sont dans des cas de solitude extrême – ce n’est pas être fou que d’avoir une conversation à voix haute avec quelqu’un avec qui on a envie de parler.
Avez-vous, enfin, des conseils contre l’ennui ?
J’avais provoqué l’ennui : sur le Vendée Globe, je n’avais pris ni livre, ni radio, ni playlist, pour vivre l’évènement : pas le rendre plus dur, mais le rendre plus pur. Et aussi parce que je savais que j’allais m’ennuyer. S’ennuyer aujourd’hui, c’est un luxe que pas grand monde est capable de se permettre. S’asseoir dans un coin et ne rien faire, ça permet d’avoir une vision de ce qu’il se passe autour parce qu’on a le temps de le regarder. Sa vie, ses amis, ses conversations, on peut revoir tout ça alors que dans la vie normale, on passe d’un truc à un autre, on n’arrête pas d’enchaîner.
Un enfant, quand il s’ennuie, parfois il peut devenir chiant bien sûr… Mais il peut aussi prendre un bout de papier et se raconter une histoire. Et nous, on fait pareil, ce n’est pas parce qu’on est adultes qu’on doit se l’interdire. L’ennui, c’est un luxe immense. Profitons de ce luxe pour réfléchir : est-ce qu’on a envie de repartir de la même manière ? On conduisait à fond la caisse sur l’autoroute de la vie, est-ce qu’on a envie de continuer à prendre la bagnole et repartir à fond, ou bien est-ce qu’on se dit qu’on peut changer deux-trois trucs ?
Je regarde par ma fenêtre et je vois des vignes. Il n’y a rien qui bouge, pas un souffle de vent. Il n’y a pas un brin d’air, le bateau est arrêté. On est stoppés, profitons-en. La course repartira.