Coupe du monde de rugby : « Vous les avez vus détruire le Japon ? », comment les Springboks ont misé sur leur physique
RUGBY Le combat au sommet entre l'Afrique du Sud et l'Angleterre, samedi à Yokohama, risque d'être l'un des plus physiques du Mondial
De notre correspondant à Tokyo (Japon),
Après leur brutale demi-finale contre le pays de Galles (19-16), les Springboks sont retournés dans l’hôtel qu’ils occupaient au début de la compétition, de l’autre côté de la baie de Tokyo. Tout près de Disneyland, dont il faut d’ailleurs emprunter les trains à fenêtres en forme de Mickey pour se rendre aux conférences de presse. Mais pour affronter l’Angleterre samedi, en finale de la Coupe du monde de rugby, il est fort probable que le coach sud-africain Rassie Erasmus préfère à la féerie la force physique pure, sur laquelle il a misé avec succès pendant ses dix-huit mois à la tête de la sélection. Et depuis le début de ce Mondial.
« Vous les avez vus détruire le Japon et le pays de Galles, souligne le troisième ligne anglais Billy Vunipola. Ca va se jouer devant et il va falloir répondre présent, tant mentalement que physiquement. » Pour ces retrouvailles au sommet avec le XV de la Rose, douze ans après la finale remportée (15-6) par les Springboks au Stade de France, Erasmus a d’ailleurs confirmé que la méthode ne serait pas très différente de celle qui est laborieusement venue à bout des Gallois dimanche dernier : « En deux entraînements et six jours, vous ne pouvez pas changer de tactique. Donc vous pouvez vous attendre à peu près à la même chose de notre part samedi. »
A l’avant de leur XV de départ, les Sud-Africains pourront a priori compter sur les carrures hors-gabarit de Duane Vermeulen, Eben Etzebeth, Pieter-Steph du Toit ou Lood de Jager, qui tournent à 117,5 kg de moyenne, en plus d’un banc richement pourvu en avants. Si l’ancien demi d’ouverture Jonny Wilkinson a conseillé à ses compatriotes « d’éviter le bras de fer » face à cette équipe « vraiment étouffante », les Anglais disposent aussi de quelques arguments. « Ils ont de sacrés gabarits. Mais nous aussi on a de beaux bébés, rigole le cadet des frères Vunipola, 126 kg. Ils ont annoncé qu’ils voulaient répondre à la puissance par la puissance. Nous en face, on leur répond qu’on n’attend que ça. »
Avec Erasmus, les Springboks reviennent de loin
« Il faut comprendre d’où nous venons », lâche Rassie Erasmus pour justifier cette stratégie basée sur les chevaux fiscaux. Car le rugby sud-africain revient de loin. Après une demi-finale (perdue face aux All-Blacks) en 2015 malgré leur célèbre défaite contre le Japon, a commencé pour les Springboks une descente aux enfers, qui les a menés dans des abysses historiques fin 2017, avec un 57-0 encaissé face aux All-Blacks puis un 38-3 concédé à l’Irlande deux mois plus tard. « En 2016 et 2017, toutes les équipes qu’on a affrontées nous ont mis une raclée », résume le coach appelé en urgence début 2018, à un an et demi seulement du Mondial.
« L’un de nos défis a toujours été de nous racheter et de redevenir ce que nous étions, à savoir une grande puissance du rugby, avec l’objectif de devenir numéro un ou deux mondial, raconte Rassie Erasmus. Pour y parvenir, il faut avoir un socle. On a suivi un plan de route et on a joué en fonction des statistiques et de la manière dont le jeu est arbitré en ce moment. Et à court terme, ça se traduit par de bons résultats. »
L’ancien international de 46 ans, aussi passé aux commandes des Stormers sud-africains et du Munster irlandais, a aussi transformé les mentalités. « Le plus gros changement, c’est le changement d’état d’esprit qu’il a produit en faisant en sorte que chacun s’implique dans son rôle et joue à la "Sud-Africaine" », pense l’entraîneur des avants, Matt Proudfoot. Erasmus souligne aussi les évolutions hors du terrain : « Il y a eu une époque en Afrique du Sud ou être un joueur de rugby professionnel voulait juste dire encaisser un bon salaire. Mais les joueurs comprennent maintenant qu’ils doivent travailler dur. Ce niveau de médiocrité est en train de quitter doucement notre rugby. »
« Tout aussi grandiose que Mandela en 1995 »
Le rugby sud-africain, importé par les colons anglais au XIXe siècle avant de devenir un bastion des Afrikaners blancs, peine depuis la fin de l’Apartheid au début des années 1990 à refléter la diversité du pays. Une situation qui évolue lentement : sous la direction de Rassie Erasmus, les talents de plusieurs joueurs noirs, dont le capitaine de l’équipe, Siya Kolisi, se sont épanouis au sein des Springboks.
« C’est vraiment important que l’équipe soit représentative, estime le pilier Tendai Mtawarira. J’ai eu le privilège de la voir évoluer jusqu’à ce qu’elle est aujourd’hui… Il y a tellement de joueurs de couleurs qui ont été excellents et méritent leur place ici. C’est quelque chose qu’a toujours dit Rassie, qu’il fallait que l’équilibre soit juste et que l’équipe représente réellement notre pays. Je pense que nous avons accompli ça. »
Mais, signe de la sensibilité du sujet, une vidéo tournée après la victoire (49-3) contre l’Italie début octobre, suggérant que l’ailier Makazole Mapimpi était exclu des célébrations par des coéquipiers blancs, a fait polémique sur les réseaux sociaux du pays. malgré les clarifications de Mapimpi lui-même et d’Erasmus. « C’est vraiment triste qu’on puisse y voir quelque chose de négatif, a jugé le coach. Je peux vous donner ma parole d’honneur : en tant que sélectionneur, je n’autoriserais pas quoi que ce soit de ce genre dans l’équipe. Il n’y a rien de ce genre dans l’équipe. »
La finale de dimanche sera donc, à plus d’un titre, une étape majeure dans la construction des Springboks. « Si l’Afrique du Sud va au bout et gagne avec Siya Kolisi comme capitaine, ce sera monumental, déclarait avant le Mondial l’ancien ailier des Boks Bryan Habana. Ce serait formidable pour notre pays d’avoir cette source d’inspiration et pour 70 % de notre population d’avoir un tel exemple. Ce serait tout aussi grandiose que Mandela en 1995, si ce n’est plus grand. Ce serait historique. »