Avoir une forte poitrine peut-il freiner des carrières de sportives professionnelles?
CHAMPIONNES TOUS TERRAINS (4/5) A l’occasion du Mondial de foot en France à partir de vendredi, « 20 Minutes » a enquêté sur des problématiques liées au sport féminin de haut niveau. Pour ce nouvel épisode de notre série, « 20 Minutes » s’interroge sur l’impact que peut avoir la poitrine sur les performances sportives et sur le quotidien des athlètes féminines de haut niveau
- Jusqu’à l’ouverture de la Coupe du monde de football vendredi, 20 Minutes aborde dans une série des questions sur le sport féminin de haut niveau. Ces problématiques parfois méconnues jalonnent la vie de nombreuses femmes ET sportives professionnelles.
- Parmi elles, on trouve des questionnements sur la poitrine, dont le poids et le volume peuvent représenter une gêne physique et mentale pour les sportives de haut niveau.
- Si des exercices et des équipements spécifiques permettent de gérer l’impact d’un buste volumineux sur le corps et sur les performances, l’acte chirurgical de réduction mammaire incarne la solution de dernier recours.
L’équipe de France de football est championne du monde. Les hommes, hein ! Au tour des joueuses de Corinne Diacre, qui sont au centre des attentions cette année, de tenter de remporter leur premier titre majeur à la maison. L’occasion de se pencher sur des problématiques parfois méconnues, propres à ces femmes ET sportives de haut niveau. 20 Minutes lance jusqu’à vendredi une série de sujets sur des thématiques sociétales, à mi-chemin entre carrière sportive et vie de femme. Et comme cette vie de femme ne s’arrête pas à la porte des vestiaires, un état des lieux du sport féminin nous a semblé essentiel. Pour poursuivre cette semaine pré-Mondial en France, on se penche sur l’impact que peut avoir la poitrine sur le quotidien des femmes sportives de haut niveau.
Perçue comme un atout, un symbole de féminité, admiré par certains et envié par d’autres, la poitrine peut pourtant représenter un handicap lorsque l’on est une athlète, et particulièrement quand le sport est son métier. Douleurs, gênes, performances impactées… Les conséquences peuvent être nombreuses pour les sportives professionnelles.
En pratique, « les très fortes poitrines à ce niveau de sport sont vraiment rares, parce que le niveau d’entraînement d’une athlète pubertaire est tel que les seins se développeront moins », estime le Dr Carole Maître, gynécologue et médecin du sport à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). « Le sein est composé de tissu glandulaire et de graisse, explique-t-elle. Et le plus souvent, chez les femmes qui ont pratiqué le sport à haut niveau dès le plus jeune âge, la masse musculaire va être très développée là où la poitrine le sera beaucoup moins. En revanche, lorsque les athlètes sont freinées et gênées par une poitrine trop importante, la chirurgie peut être la solution de dernier recours. »
Douleurs et impact sur les performances
Lorsqu’elle a commencé le handball, Léa n’était encore qu’une enfant de 11 ans. « Déjà à l’école primaire, je portais des soutiens-gorge, et dès l’âge de 14 ou 15 ans, ma poitrine est devenue une gêne quasi impossible à gérer », se souvient-elle. Le mètre soixante et la cinquantaine de kilos de l’adolescente, alors en sport-études, ne lui permettent pas de porter le poids de son 90G. « Ma poitrine me ralentissait dans mes accélérations, me gênait dans mes mouvements, j’avais moins d’amplitude. Mes performances n’étaient pas au maximum », décrit la femme de 31 ans. « Mes seins sont très lourds. A cause d’eux, je perds en vitesse. Cela me fait mal au dos et me gêne pour servir. Je ne peux pas continuer comme cela », racontait en début de carrière la championne de tennis Simona Halep.
Pendant l’adolescence, pour les matchs et les entraînements, Léa porte « un soutien-gorge à larges bretelles et jusqu’à cinq brassières de sport par-dessus » pour tenter de maintenir au maximum sa poitrine. « En vain », raconte-t-elle. « Je ne trouvais aucun modèle à l’époque qui m’apporte confort et maintien optimal. Je sortais du hand avec toutes les bretelles et les coutures incrustées dans ma peau. Ma poitrine était écrasée et endolorie, et j’avais le dos en vrac. »
« L’importante poitrine de Serena Williams ne la pénalise pas »
Une très forte poitrine peut en effet « causer d’importantes douleurs dorsales et entraîner une cyphose, une accentuation de la courbure dorsale », confirme le Dr Maître. « Elle peut aussi occasionner des troubles de la posture ainsi qu’une tendance très forte à arrondir les épaules, soit tout l’inverse de ce que requiert la pratique d’un sport de haut niveau, poursuit-elle. C’est clairement un facteur limitateur de performances. »
« On ne peut toutefois pas dire qu’au-delà d’une certaine taille de poitrine, la pratique du sport et les performances seront forcément entravées, indique Carole Maître. Cela dépend du reste du corps aussi. L'importante poitrine de Serena Williams ne la pénalise pas dans ses performances sportives. Elle a manifestement su trouver son équilibre dans ses déplacements. Mais pour parvenir à ce résultat, elle a forcément dû développer le haut de son corps pour le rendre très puissant. La nature joue aussi son rôle : avoir un bon développement osseux et un squelette plus large permettra au corps de mieux supporter une poitrine importante. »
Brassières et exercices adaptés pour maintenir la poitrine
Il y a quelques mois, la marque de soutiens-gorge de sport Berlei lançait une nouvelle campagne de pub montrant l'impact du manque de maintien de la poitrine lors de la pratique d’un sport. Ainsi, mal soutenue, une poitrine de bonnet B peut rebondir de 8 cm, et au-delà d’un bonnet D, de 16 cm ! Ce que corrobore le Dr Maître.
Lors d’un effort sportif intense, comme une course avec accélération rapide, des sauts ou encore des lancers, le poids de la poitrine peut être multiplié jusqu’à cinq. »
Un constat confirmé par une récente étude publiée dans la revue Journal of Science and Medicine in Sport, qui a analysé les effets mécaniques d’activités sportives intenses sur des femmes ayant une très forte poitrine, concluant que « la taille des seins devrait être reconnue comme un obstacle potentiel à l’activité physique chez les femmes ».
« C’est pourquoi la première chose à faire, en particulier lorsque l’on pratique des sports à déplacements rapides, est d’assurer un bon maintien de la poitrine », prescrit le médecin du sport. Porter un bon modèle de soutien-gorge peut donc ne pas suffire. « Il faut veiller au bon équilibre hormonal de l’athlète, parce qu’un déséquilibre peut entraîner une rétention d’eau et une tension mammaire, souligne le Dr Maître. Il faut aussi surveiller l’alimentation et l’évolution du poids, qui jouera forcément sur la taille de la poitrine. Des exercices de kiné peuvent corriger la posture et rectifier une éventuelle cyphose, avec des exercices respiratoires permettant d’avoir les épaules bien droites ou du travail musculaire pour développer le haut du corps. Dans ce dernier cas, la musculation permet de tenir le poids et d’assurer le maintien du galbe du sein. »
La réduction mammaire comme ultime recours
Mais lorsque la gêne causée par la poitrine est trop importante, la réduction mammaire est l’ultime recours. « J’ai suivi quelques patientes qui ont eu besoin de recourir à la chirurgie, parce que leur développement mammaire n’était plus en harmonie avec leur morphotype. Il ne faut pas hésiter à consulter son professionnel de santé », prescrit la gynécologue et médecin du sport.
En fonction de la pratique sportive intensive de l’athlète, de ses symptômes liés à sa poitrine, alors il peut y avoir une indication pour une réduction mammaire : c’est la solution quand il n’y en a plus d’autre. Mais c’est toujours le fruit d’une demande de la patiente, jamais une proposition du médecin, parce que cela doit venir d’elle et seulement d’elle. »
La tenniswoman roumaine Simona Halep a opté pour cette option chirurgicale à l’âge de 17 ans. « Quand je l’ai fait, c’était pour le tennis », a déclaré la jeune femme dans une interview accordée à Sports Illustrated.
Aujourd’hui, « l’opération de réduction mammaire est très au point, assure le Dr Vladimir Mitz, chirurgien esthétique et auteur de Chirurgie esthétique, pour ou contre ! (éd. Flammarion). D’abord on évalue les besoins de la patiente, notamment en lui faisant passer une mammographie. Ensuite, on choisit la procédure la plus indiquée. L’intervention est réalisée sous anesthésie générale et dure à peine deux heures. La récupération est très rapide et une grande sportive peut reprendre son activité deux semaines plus tard. » Il existe aussi une autre technique de réduction mammaire, par liposuccion. « Cela permet une procédure presque sans cicatrice et qui soulage la patiente jusqu’à 300 grammes en moins dans chaque sein, détaille le chirurgien. C’est une technique qui peut particulièrement bien convenir aux grandes sportives. »
« Ma poitrine était devenue un handicap »
Léa a aussi eu recours à la solution chirurgicale à 24 ans. « Sur le terrain comme dans ma vie de tous les jours, ma poitrine était devenue un handicap », confie la jeune femme.
Quand on a 20 ans, on aimerait pouvoir porter de jolis soutiens-gorge, pas des trucs moches avec des bretelles de 5 cm de large pour retenir votre poitrine qui arrive sur vos côtes. Je n’avais plus de plaisir dans le sport, je ne supportais plus les douleurs, les moqueries et les regards. Pour la confiance en soi, c’est assez destructeur. »
« Jamais la décision de subir une réduction mammaire ne se décide au seul regard de sa pratique sportive, même à haut niveau, commentent en effet de concert les Dr Maître et Mitz. Cette décision découle toujours aussi d’un fort retentissement sur la santé et sur la vie de femme. » C’est pourquoi le Dr Mitz appelle ses confrères à « la plus grande vigilance avant d’accepter de pratiquer une réduction mammaire, en particulier chez les très jeunes patientes qui pourraient regretter leur choix ultérieurement ». « Pour autant, il ne s’agit pas de fixer un âge en dessous duquel on refusera par principe d’opérer, par exemple en exigeant que la patiente soit majeure, insiste-t-il. Parce que l’inconfort, la douleur physique et le mal-être dû aux complexes peuvent être profonds chez une jeune femme de 16 ans et justifier l’intervention. On évalue toujours l’intérêt de l’intervention au cas par cas. »
Le chirurgien rappelle « l’importance de bien réfléchir avant de se décider et d’être bien entourée par sa famille pour gérer ce changement corporel ». Un sentiment partagé par Léa, qui a pu compter sur le soutien de ses proches. Et si c’était à refaire, elle n’hésiterait pas une seconde. « J’ai retrouvé le plaisir de faire du handball, j’ai l’impression de voler, sourit-elle. Je cours beaucoup plus vite, mes mouvements sont plus amples, c’est le jour et la nuit. Et surtout, je suis bien mieux dans ma peau : ma silhouette est plus harmonieuse. Et même si j’ai gardé de cette époque des douleurs dorsales, je suis mieux dans mon corps au quotidien et sur le terrain. » Une décision qui a aussi visiblement réussi à Simona Halep. La joueuse roumaine, classée 185e au classement WTA l’année précédant son opération, est devenue numéro une mondiale en octobre 2017 et a remporté l’édition 2018 de Roland-Garros.
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