Pourquoi Facebook souhaite-t-il lancer une version d’Instagram pour les moins 13 ans ?

RESEAUX SOCIAUX Facebook, maison-mère d’Instagram, planche sur un projet de plateforme exclusivement destinée aux enfants

Hakima Bounemoura
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Illustration d'Instagram.
Illustration d'Instagram. — Igor Golovniov - Sopa images - Sipa
  • Facebook souhaite lancer une version d’Instagram, spécialement dédiée aux plus jeunes.
  • Des dizaines d’associations de protection de l’enfance, mais aussi de chercheurs, médecins et psychologues, qui s’insurgent aujourd’hui contre ce projet, ont adressé un courrier au patron de Facebook, Mark Zuckerberg.
  • « Ce n’est malheureusement pas la première entreprise du numérique qui cherche ainsi à fidéliser sa clientèle. Mais cette démarche pose problème, car il s’agit là de la santé mentale de nos enfants », explique Justine Atlan, directrice générale de l’Association e-Enfance.

Facebook va-t-il bientôt lancer un « Instagram Kids » ? La maison-mère de la plateforme de partage de photos et vidéos, créée en 2010, a fait savoir qu’elle planchait sur un projet de réseau social exclusivement destiné aux enfants de moins de 13 ans. « Nous avons commencé à explorer une version d’Instagram pour les adolescents les plus jeunes. […] Nous convenons que toute expérience que nous développons doit avoir pour priorité la sécurité et le respect de la vie privée, et nous consulterons des experts du développement de l’enfant, de la sécurité et de la santé mentale ainsi que des défenseurs de la vie privée », a expliqué ce jeudi une porte-parole de Facebook, pour tenter d’éteindre les critiques.

Car des dizaines d’associations de protection de l’enfance, mais aussi de chercheurs, médecins et psychologues s’insurgent aujourd’hui contre ce projet. « De plus en plus de recherches démontrent qu’une utilisation excessive du numérique et des réseaux sociaux est dangereuse pour les adolescents. Instagram, en particulier, tire profit de la peur des jeunes de passer à côté d’un événement. […] L’attention constante de la plateforme sur l’apparence et l’image met à mal la vie privée et le bien-être des adolescents », explique cette coalition internationale de professionnels des droits de l’enfant, qui vient d’adresser une mise en garde au patron de Facebook Mark Zuckerberg, et qui réclame l’abandon de ce projet.


« Un espace plus sûr » pour les plus jeunes ?

Facebook n’a pas encore officiellement tranché la question d’un « Instagram Kids », mais selon l’entreprise californienne, cette version destinée aux enfants aurait pour principal objectif de leur permettre d’utiliser la plateforme « en toute sécurité ». L’un des arguments de Facebook est aujourd’hui d’avancer le fait qu’il y a déjà de nombreux enfants qui fréquentent sa plateforme. Car le réseau social, qui interdit en théorie l’inscription à sa plateforme aux moins de 13 ans, ne procède dans les faits à aucune vérification d’âge, exposant ainsi les plus jeunes à de nombreuses publicités, mais aussi à des phénomènes de cyberharcèlement et à de la pédocriminalité. « Instagram Kids » serait aussi un moyen d’encadrer davantage les données personnelles des enfants, soumises à des règles plus strictes.

« De plus en plus d’enfants demandent à leurs parents s’ils peuvent rejoindre des applications qui les aident à suivre leurs amis. À l’heure actuelle, il n’y a pas beaucoup d’options pour les parents. Nous travaillons donc à la création de produits supplémentaires adaptés aux enfants, gérés par les parents. Nous envisageons de proposer une expérience contrôlée par les parents sur Instagram pour aider les enfants à suivre leurs amis, à découvrir de nouveaux passe-temps et centres d’intérêt, et plus encore », explique à 20 Minutes Instagram France.

Un argument « sécurité » balayé d’un revers de main par les associations de protection de l’enfance qui « estiment qu’il est peu probable que les enfants de 10 à 12 ans utilisant illicitement Instagram ne décident de la quitter pour revenir à une version plus adaptée à leur âge. […] La cible de Facebook est en réalité bien plus jeune, afin de les habituer au plus tôt à son écosystème », explique le collectif Campaign for a commercial-Free Childhood (« Campagne pour une enfance sans publicité »). « Le lourd passif de Facebook en matière d’exploitation des plus jeunes et de prise de risque à l’égard de ces derniers en font une entreprise particulièrement peu recommandable en tant que dépositaire d’une plateforme de partage de photos et de messagerie destinée aux enfants », ajoute le collectif qui milite contre le marketing ciblant les enfants.

Justine Atlan, directrice générale de l’association e-Enfance, qui gère la plateforme contre les cyberviolences Net Ecoute, est plus nuancée sur ce projet. « Créer un espace pour les enfants qui soit plus sécurisé et avec un contrôle parental accru pourrait, dans les faits, être une bonne chose. Mais le souci, c’est que Facebook ne s’attaque pas au vrai problème. Au lieu d’élargir l’accès des réseaux sociaux aux plus jeunes – qui n’en ont pas du tout l’utilité ou le besoin à cet âge là –, la plateforme ferait mieux de trouver des garde-fous pour empêcher les moins de 13 ans d’y accéder aujourd’hui. Or elle ne fait pas grand-chose, et on voit tout le mal qu’une telle exposition sans réel contrôle peut engendrer », explique-t-elle à 20 Minutes.

« Fidéliser la clientèle dès le plus jeune âge »

Confronté à la concurrence de TikTok et Snapchat chez les adolescents, Facebook cherche surtout aujourd’hui, avec ce projet d’« Instagram Kids », à renforcer son emprise sur les plus jeunes utilisateurs. Pour Instagram, recruter des moins de 13 ans sur sa version enfants est un moyen de s’assurer qu’ils continueront à utiliser la plateforme « des grands » puisqu’ils auront adopté dès le plus jeune âge les codes de l’application. « Ce n’est malheureusement pas la première entreprise du numérique qui cherche ainsi à fidéliser sa clientèle. Mais cette démarche pose problème, car il s’agit là de la santé mentale de nos enfants », note la directrice générale de l’association e-Enfance, soulignant que les actes de cyberviolences ont explosé depuis l’année dernière, à cause de la crise sanitaire et des confinements.

« Si la collecte de précieuses données familiales et la fidélisation d’une nouvelle génération d’utilisateurs d’Instagram sont sans doute bonnes pour le bilan de Facebook, cela va probablement augmenter l’utilisation d’Instagram par de jeunes enfants particulièrement vulnérables aux fonctions de la plateforme favorisant la manipulation et l’exploitation », s’inquiète de son côté le collectif Campaign for a commercial-Free Childhood, qui vient de lancer une pétition pour demander officiellement l'abandon de ce projet.

Ce n’est pas la première fois que Facebook a pour projet de lancer une plateforme spécifiquement destinée aux enfants. En 2018, l’entreprise californienne avait déjà émis l’idée de lancer un Messenger Kids. « Un projet qui n’a jamais vu le jour en France, mais dont il existe une version aux Etats-Unis. Les parents ne sont clairement pas prêts à voir débarquer en France ce genre de plateforme spécialement réservée aux enfants », explique Justine Atlan, qui parie que ce projet sera sûrement relégué aux oubliettes…