Mode : D’où viennent ces microtrends qui disparaissent aussi vite qu'elles n'apparaissent ?

Mikaël Libert
L'essentiel
- Alors que la fashion week de Paris se termine, il reste des tendances qui échappent aux podiums et trouvent leur épanouissement dans la rue.
- Chaussettes hautes, baskets running, les professionnels appellent cela des microtrends dont les origines ne sont pas forcément identifiables.
- Portées par les réseaux sociaux, sublimées par les algorithmes et l’intelligence artificielle, ces tendances restent la plupart du temps éphémères.
Le « patient zéro ». Si les grands créateurs se bornent encore à suivre le calendrier printemps-été et automne-hiver, dévoilant leurs collections au rythme des « fashion week », les tendances de mode, elles, se régénèrent à un rythme plus effréné. On ne parle pas ici de styles ou de looks, lesquels évoluent relativement peu, même si l’on en voit émerger parfois de franchement nouveaux. Il est plutôt question ici de ce que les spécialistes qualifient de « microtrends », des petits détails vestimentaires, repris en masse, qui apparaissent aussi rapidement qu’ils disparaissent. Courants fugaces dont l’origine est parfois obscure et que les professionnels tentent de suivre, voire d’anticiper, sous peine de devenir « ringards ».
Ces derniers mois, les observateurs avisés auront sans doute remarqué que nombre de jeunes femmes se plaisaient à porter, avec leurs jupes courtes, de hautes chaussettes dans des sneakers basses. L’été s’éloignant, cette microtendance tend non pas à disparaître mais à se modifier, les chaussettes hautes étant désormais remontées sur un collant ou, de plus en plus, au-dessus d’un legging. Dans la garde-robe d’autres femmes, les baskets « de ville » sont en perte de vitesse au profit de modèles plus « running », portées sur des tenues habillées. Au cœur de l’été, mais de façon tout de même plus confidentielle, on a pu remarquer que le crop top pouvait être simplement remplacé par un soutien-gorge. « Le côté dessus-dessous lingerie, on a vu ça sur beaucoup de défilés. Sur celui de Jacquemus, à Versailles, il y avait de tout petits hauts, pratiquement des soutiens-gorge, qui étaient présentés sur des jupes », se souvient Sophie Malagoli, créatrice de mode et experte tendance. Rien d’étonnant, selon elle, que l’on retrouve donc cette tendance dans la rue, cette marque étant « très désirée » et « très suivie sur les réseaux sociaux ».
« L’inspiration de la rue doit venir de quelqu’un »
Pour la créatrice, ce « mélange des genres » qui se décline sur les podiums, puis dans la rue, ne date pas d’hier. « Il y a un fil conducteur autour de l’esprit de contradiction, faire fusionner les paradoxes, flirter avec une forme de provocation ''bad taste'' », confirme Vincent Grégoire, directeur de la prospective de l’agence Nelly Rodi. D’ailleurs, une grande partie de son job est de veiller les réseaux sociaux à l’affût de ces tendances : « Il y a des microtrends comme ça qui sont lancées comme des défis, des challenges, notamment sur TikTok. Mais il est très difficile de remonter à la source », reconnaît-il. Parfois, ils y parviennent, comme ce fut le cas pour les fameuses chaussures Tabi de la maison Margiela, devenues un must have grâce à une influenceuse.
Pour Sophie Malagoli, « l’inspiration de la rue doit venir de quelqu’un ». Que ce soit de cette nouvelle catégorie de people que sont les influenceurs ou, plus généralement, de célébrités ou de stars. De son côté, Vincent Grégoire y voit plutôt « une culture de la rue, un concours de circonstances ». « Il suffit que plusieurs personnes aient la même idée au même moment, laquelle est agglomérée et mise en lumière par les algorithmes et l’intelligence artificielle », avance l’expert de Nelly Rodi. Des trends fashion, comparables aux trends musicales que l’on voit apparaître dans les « pour toi » de TikTok, qui ont une durée de vie de quelques semaines.
Comprendre et anticiper pour ne pas être à la ramasse
Ainsi, les chaussettes hautes, dépareillées, sont des microtrends vouées à une mort prochaine. D’autres sont restées, devenant des « maxitrends ». Vincent Grégoire cite en exemple les jeans troués ou les xouxou, ces cordons permettant de porter en bandoulière son téléphone. « Au départ, c’était juste un truc commercial gadget chinois qui est ensuite devenu un statement », assure-t-il. Tout l’enjeu étant, pour les professionnels de la mode, de comprendre des microtrends histoire de ne pas être à la ramasse. « Si cela peut sembler irrationnel, il y a néanmoins une part d’objectivité dans l’apparition de ces microtendances parmi les tendances de fond, estime Vincent Grégoire. Cela peut être une question de contexte géopolitique, économique, identitaire, social, culturel ».
Prédire et anticiper ces microtendances est primordial pour les grands noms de la mode. Pour le calendrier classique des collections, l’inspiration des créateurs est un mélange de tout rappelle Sophie Malagola : « Salons de tissus, grands événements, cinéma ». Avec la sortie du film Barbie, par exemple, les professionnels s’attendaient à voir du rose partout et ils ont eu le temps de s’adapter. Pour les tendances qui émergent des réseaux sociaux, les délais sont plus serrés insiste Vincent Grégoire : « Dans ces cas, ils sortent des drops, des capsules, des micro collections dans les collections, des séries limitées de produits qui échappent au contrôle. Les créateurs sont obligés de se plier à ce rythme pour ne pas être perçus comme ringards ».
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