Fashion Week : A l’aube du défilé Balmain, le vol de la collection reste un complet mystère

mode Le défilé Balmain est prévu ce mercredi soir à la Fashion Week parisienne, dix jours après le vol de la collection. Et dans le milieu de la haute couture, le mystère demeure…

Jean-Loup Delmas
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Olivier Rousteing a annoncé le vol d'une partie de sa collection de la maison Balmain, dix jours avant la Fashion Week Paris 2023.
Olivier Rousteing a annoncé le vol d'une partie de sa collection de la maison Balmain, dix jours avant la Fashion Week Paris 2023. — Julien de Rosa
  • Imaginez que vous dérobiez un tableau de maître au Louvre. Comment le revendre ensuite, et à qui ?
  • C’est peu ou prou le mystère qui entoure cette Fashion Week parisienne 2023, après le vol d’une cinquante de pièces de la collection Balmain, il y a une dizaine de jours. Le défilé, maintenu, est prévu ce mercredi soir.
  • Dans le milieu de la haute couture, les spécialistes peinent à expliquer ce vol, tant le butin apparaît invendable.

La Fashion Week parisienne édition 2023 n’avait pas encore commencé qu’elle était déjà entrée dans l’Histoire de la mode. Le 16 septembre, dix jours avant le début des défilés, une camionnette contenant une partie de la collection Balmain est attaquée et dérobée par un gang de cambrioleurs armés. Bilan : une cinquantaine de pièces volées, selon le styliste vedette de la maison, Olivier Rousteing.

Un mélange des genres entre Ocean’s Eleven et Le Diable s’habille en Prada qui ne manque pas de mystères. Déjà car ce genre de vols de haute couture reste extrêmement rare, en tout cas officiellement. « Les maisons sont habituellement très discrètes sur ce type de sujets », souffle Sophie Malagola, créatrice de mode et ancienne directrice des collections chez DIM et Etam. Motus et robe cousue. Contactée par nos soins, la maison Balmain n’a d’ailleurs pas souhaité commenter les faits, préférant laisser l’enquête se poursuivre.

Deux autres affaires de ce type en vingt ans

Mais même officieusement, le milieu du luxe croise rarement celui du polar. « Que quelques employés des maisons volent parfois certains vêtements pour tenter de les revendre, cela existe, mais cela reste anecdotique. Cambrioler plusieurs dizaines de pièces d’une collection, par contre, c’est rarissime », renseigne Moïra Cristescu, créatrice de mode de la marque éponyme.

Depuis vingt ans, seuls deux autres cas font écho à l’affaire en cours, présentant même d’étranges similitudes. En 2007, quelques jours avant la Fashion Week de Londres, le créateur Christopher Kane se fait dérober plusieurs pièces de sa collection. Il ne dévoilera le vol qu’après les défilés. En 2011, la mésaventure se reproduit, cette fois pour Marc Jacobs. Avec deux variantes : la collection tout entière se fait piquer, mais cette fois juste après le défilé. « Que ces vols surviennent systématiquement quelques jours avant ou après une Fashion Week n’a rien d’un hasard, estime Moïra Cristescu. C’est l’un des rares moments où les cambrioleurs sont certains que toutes les pièces se trouvent au même endroit ».

Un butin à l’avenir bien mystérieux

Les pièces de Christopher Kane et celles de Marc Jacobs n’ont jamais été retrouvées, ouvrant la porte à un deuxième mystère. A quoi bon voler des pièces de défilé rarissimes ? Ces dernières - volées ou non - sont rarement destinées à la vente et servent davantage à présenter l’esprit des vêtements de la saison à venir. Des vêtements qui seront plus consensuels, plus portables, et donc plus… achetables.

Mystère et boule de gomme, donc, sur la destinée du butin Balmain. « La revente de ces pièces en tant que prototypes de défilé semble difficile, nous dit Serge Carreira, maître de conférences à Sciences po, spécialiste de mode et du luxe. Les maisons ne sont pas à l’abri de vols, mais cela concerne généralement des produits faciles à écouler sur le marché parallèle de contrebande comme des sacs, des baskets ou des sweat-shirts. » Tout le contraire des pièces d’une collection, a fortiori d’une collection d’Olivier Rousteing. Carine Mamou, cofondatrice de l’agence Fashion Light Up et ancienne directrice marketing de grandes enseignes, décrit des pièces « loin de la quiet luxury », comprendre loin d’être sobres. Si les modèles n’ont pas été dévoilés, imaginez chez les œuvres d’Olivier Rousteing « des sculptures, des embellissements, des pierres, des broderies… Des vêtements donc visibles et très facilement identifiables », importables dans l’espace public sans attirer l’attention.

Le créateur Marc Jacobs avait lui aussi connu une telle mésaventure.
Le créateur Marc Jacobs avait lui aussi connu une telle mésaventure. - Matt Baron/BEI//SIPA

Chacun et chacune y va de sa théorie pour tenter de dénouer le mystère. Si Moïra Cristescu imagine « des collectionneurs passionnés intéressés par des pièces qui ne sont pas encore sorties et qui ne sortiront peut-être jamais, des pièces uniques », Carine Mamou croit difficilement en cette hypothèse : « On ne parle pas d’une œuvre d’art au prix totalement inaccessible sans passer par la contrebande. Les collectionneurs ont les moyens de s’acheter les vraies pièces sans passer par là. »

Un magot hyper-rentable, ou au contraire, décevant financièrement

La cofondatrice ne croit pas plus à une revente sur des sites de seconde main du luxe, comme Monogram ou Dépot vente luxe. « Ces sites présentent tous des services d’authentification des pièces. » Seule hypothèse pour elle, la contrefaçon totale. « Les pièces volées vont pouvoir être copiées, imitées et reproduites. Balmain se veut une marque populaire et désirable, et des pièces similaires, même en contrefaçon, ont de quoi intéresser ».

Même la valeur du magot divise. Côté moins, Serge Carreira estime que « comme pour les œuvres d’art, la valeur marchande de ces pièces volées peut être très diminuée par rapport à leur valeur réelle. » Côté plus, ces pièces volées étant totalement uniques si elles ne sont ni reproduites ni destinées au commerce, leur valeur pourrait au contraire exploser, selon Moïra Cristescu.

« Il faudrait demander aux voleurs eux-mêmes ! »

Les créations d’Olivier Rousteing sont-elles perdues à jamais, comme les précédents Kane et Jacobs ? « J’ignore complètement ce qu’elles vont devenir. Il faudrait le demander aux voleurs eux-mêmes !, renonce définitivement Serge Carreira. il est probable qu’ils ne savaient pas qu’il s’agissait de pièces du défilé. Ils pensaient peut-être mettre la main sur d’autres produits Balmain… »

Dans cet océan d’énigmes, une certitude : Balmain a décidé de maintenir son défilé ce mercredi soir. Recréer des pièces de collection quelques jours après un vol, le défi semblait colossal. Mais les raisons d’y croire ne manquent pas, souligne le maître de conférences : « Balmain est une maison installée et dispose de ressources humaines et financières considérables. Bien évidemment, cela reste un effort considérable à une période dense pour les ateliers et les fournisseurs. Mais il s’agissait de prototypes, ce qui signifie que ces modèles étaient déjà finalisés » Dans le milieu de la haute couture, il est bien plus facile de se relever d’un vol que de l’expliquer.