interview« Je ne comprends pas quand on parle de sacrifices », revendique Lavillenie

JO Paris 2024 : « Je ne comprends pas quand on parle de sacrifices », revendique Renaud Lavillenie

interviewA 37 ans, le champion olympique 2012 de la perche, qui publie un livre dans lequel il retrace son parcours singulier, n’a rien perdu de la passion qui l’anime à chaque fois qu’il s’élance pour un saut
JO Paris 2024 : Les souvenirs olympiques de Renaud Lavillenie
Nicolas Camus

Propos recueillis par Nicolas Camus

L'essentiel

  • Actuellement au repos forcé, Renaud Lavillenie profite de cette période calme pour parler de son livre Je ne regrette (presque) rien (éditions Solar), paru le 9 novembre.
  • Le champion de saut à la perche (37 ans), médaillé d’or à Londres en 2012, y raconte son parcours assez unique dans le milieu, lui que « rien ne prédestinait à devenir un jour champion olympique et recordman du monde ».
  • A 20 Minutes, il confie ses espoirs pour les JO 2024 ( « pas forcément mes derniers »), revient sur l’épisode malheureux de Rio en 2016 et explique les ressorts qui l’ont toujours guidé, quitte parfois à ne pas être très bien compris.

Renaud Lavillenie piaffe d’impatience. Opéré en septembre d’un tendon des ischios-jambiers, le perchiste est contraint d’observer une longue période d’inactivité qui a du mal à se conjuguer avec son tempérament. Mais à 37 ans, c’était là un passage obligé pour ne pas hypothéquer son prochain grand objectif : les JO de Paris. En attendant de pouvoir reprendre progressivement la course, dans un mois, puis de retrouver son habitat naturel – le sautoir – fin mars-début avril, le champion olympique 2012 profite de son temps pour raconter son parcours singulier, qu’il dévoile dans son livre Je ne regrette (presque) rien (éditions Solar), paru le 9 novembre.

Diriez-vous que l’ambition de disputer ces derniers JO, à 37 ans, après pas mal de pépins et cette opération, décrit finalement assez bien ce qui a toujours été votre moteur pour faire de la perche ?

Déjà, je me dis que ce ne sont pas forcément les derniers (sourire). Je ne veux pas mettre de barrière comme ça, je n’en ai jamais mis depuis le début. Ce qui m’anime est le plaisir de sauter, la passion de cette discipline, si je n’avais pas ça, j’aurais arrêté depuis quelques années déjà. L’âge n’est pas un critère. Les Jeux en soi sont un événement majuscule, et le fait que ce soit à Paris fait que ma tête et mon corps ne se posent pas de question.

De l’extérieur, on se dit que ce seraient les adieux parfaits… mais ce n’est pas comme ça que vous fonctionnez ?

La perche est une discipline vraiment à part. Avant d’être en compétition contre les autres, on l’est avec soi-même. Parce qu’il faut se faire violence pour maîtriser la perche qui nous fera aller le plus haut, parce que nos repères sont par rapport à ce qu’on fait nous, pas les autres. Si tu vas sur une compète uniquement pour gagner, parfois tu n’as besoin de rien faire, juste passer une barre, et à l’inverse si t’es jamais le meilleur tu passes ton temps à perdre et tu n’y vois rapidement plus aucun intérêt. J’ai toujours sauté pour moi, pas pour faire plaisir aux autres ou pour gagner. Et après j’ai eu la chance que tout se combine, d’y ajouter les victoires.

Êtes-vous confiant sur le fait de vous qualifier malgré ce timing serré ?

Si je ne l’étais pas, je ne me lancerai pas. Le niveau de performance qu’il faut atteindre pour se qualifier (5,82 m) est relativement élevé mais dans mon cas pas inaccessible. Je l’ai déjà fait plus de 150 fois dans ma carrière, y compris avec de petites blessures ou dans des conditions difficiles. C’est rassurant. Et en attendant, je prends le temps de tout bien mettre en place pour aller chercher les centimètres importants quand il faudra appuyer fort. Je n’attends que ça !

Trois JO, trois histoires très différentes : le titre en 2012, la polémique en 2016, la blessure en 2021… Et en 2024, alors ?

C’est à la maison, on va sentir un engouement monter, j’imagine que ce sera monumental. Le plus dur pour moi est de me qualifier. Ensuite, hormis l’or qui me paraît compliqué avec Duplantis, tout est possible. A Tokyo, je ne pouvais pas être plus diminué, à peine sur une jambe, et j’ai quand même fini 8e. J’ai cette revanche à prendre, j’ai envie de refaire des Jeux en étant sur mes deux pieds pour voir ce que ça donne.

Remporter une médaille d’or olympique fait-il entrer dans une sorte de cercle restreint, et est-ce qu’on en a conscience ?

Oui, parce que c’est quelque chose qui parle aux gens. Il y a une vraie différence entre champion olympique et champion du monde. Les JO, c’est grandiose. C’est trois semaines, tous les quatre ans, où tout le monde ne regarde que ça. Ça marque les gens. En plus j’ai la chance de faire de l’athlétisme, le sport numéro 1 des Jeux, on n’est que onze athlètes [français] avoir été champions olympiques en plus de 120 ans d’histoire, c’est une rareté. Et on est trois perchistes dans le lot !

Vous avez toujours refusé de hiérarchiser entre votre titre olympique et votre record du monde…

Parce que ce ne sont pas du tout les mêmes approches. Le record du monde, ça ne dépend que de tes qualités intrinsèques, alors que pour être champion olympique, tu dépends aussi des autres, sur un jour de compétition. On a vu des champions olympiques dans toutes les disciplines qui n’étaient pas au niveau qu’on imaginait, mais dans ce contexte, le jour-J, la fenêtre s’est ouverte. J’ai été le meilleur le jour le plus important de la saison, en 2012, et j’ai été le meilleur de toute l’histoire de ma discipline à un moment donné. Ce sont deux sommets différents.

Vous dites dans votre livre ne pas croire à la dynamique collective en grande compétition… Le fait que les JO 2024 aient lieu à domicile change-t-il votre analyse ?

Absolument pas (sourire). Quand je serai sur la piste, je serai seul. J’ai été pas mal de fois dans cette situation où l’athlé n’avait pas de très bons résultats, t’arrives et on te dit que t’es le sauveur. On ne te pose pas la question de la dynamique à ce moment-là. Et si tout le monde fait une perf, je ne me dis jamais que ça va être plus facile pour moi. Mais ça dépend aussi du niveau de chacun. Un athlète entre le 5e et le 10e rang mondial, ça peut le pousser pour accrocher un podium. Quand t’es favori, tu es préparé à jouer la gagne donc il n’y a pas besoin de se raccrocher à des éléments extérieurs. C’est là qu’on voit la différence entre les bons et les très bons. Les très bons ne vont jamais se poser la question de ce qu’il se passe autour.

Vous dites ne presque rien regretter. Quel est ce « presque », seulement ce qu’il se passe à Rio ?

C’est la chose la plus sûre, cette sortie de route avec ma comparaison complètement inappropriée. Sur le reste, c’est aussi en fonction du lecteur, de comment on ressent les émotions, les mots. Le presque entre parenthèses est là pour susciter de l’intérêt. Tout le monde dans sa vie à un moment regrette quelque chose. C’est bien de mettre le doigt dessus et se demander pourquoi.

Malgré les victoires, les records, l’un des chapitres les plus attendus est celui sur Rio. Vos larmes sur le podium restent un moment dont les gens se souviennent…

C’est la répercussion de la violence des 24 heures que j’ai pu vivre. Je voulais être précis sur cet épisode parce qu’il y a eu une énorme incompréhension. Je me suis fait pas mal défoncer gratuitement, par des gens qui n’y connaissaient rien. J’entends ce qu’on peut me reprocher, mais dans mon sport, c’est un truc qu’on n’avait jamais vu, ni revu depuis. Il y a eu un changement de comportement radical du public en l’espace d’un saut. Beaucoup n’avaient pas capté ça. Ensuite, entre la finale et le podium le lendemain, j’ai reçu des menaces de mort, je me retrouve à devoir aller m’expliquer sur la plus grande chaîne locale [Globo], où on nous dit [avec Julien Galland, son agent] qu’on est fous d’être venus sans escorte. Ce sont des trucs marquants. A la remise des médailles, je ne m’attendais pas à reprendre une claque. J’ai essayé de me contenir, ne pas craquer, parce que je ne voulais pas leur faire ce plaisir, mais c’était trop dur.

Renaud Lavillenie en larmes sur le podium après sa médaille d'argent aux JO de Rio, le 16 août 2016.
Renaud Lavillenie en larmes sur le podium après sa médaille d'argent aux JO de Rio, le 16 août 2016.  - Soutello/AGIF/Shutterst/SIPA

Votre livre est-il aussi une volonté de « défendre » qui vous êtes, vous le répétez souvent, quelqu’un de direct, pas policé ni politique ?

Dans le sport il y a tout type d’athlètes, certains ne font pas une vague, d’autres des tempêtes, on ne peut pas reprocher à l’un ou l’autre d’être comme il est. Quand j’étais sur un stade, ma priorité était de sauter le plus haut possible et de gagner. C’est ce qui me faisait le plus plaisir, que ce soit blindé en tribunes ou qu’il n’y ait personne. Mais la société a évolué, au début de ma carrière en 2008-2009 ce n’était que le début des réseaux sociaux, maintenant il n’y a plus que ça. On est comparé, on va dire « ah lui, il est super sympa, ouvert, alors que l’autre il a le boulard », sauf que ce n’est pas aussi simple. Les gens ne se rendent pas toujours compte de tout ce qui se passe autour, c’était l’occasion d’expliquer.

Vous insistez beaucoup sur le fait que la perche est votre passion, avant tout le reste… Ça n’a pas l’air d’être le cas pour tout le monde, quand on vous lit en creux ?

C’est une évidence. Dans mon sport mais dans tous les autres et même dans le monde professionnel. Il y a des personnes très haut placées qui sont là parce qu’ils sont bons mais du jour au lendemain ils peuvent changer, ça ne leur ni chaud ni froid. Moi, je faisais de la perche avant d’être connu et d’avoir de l’argent, et j’en ferai toujours après. J’ai ça en moi. Je ne comprends pas quand on parle de sacrifices dans le sport de haut niveau. Si c’en est un, c’est que quelque chose ne va pas. Il y a des choix difficiles à faire, des périodes où on fait des trucs qu’on n’aime pas trop, mais ce ne sont pas des sacrifices. Ce sont des étapes importantes pour revenir à ce qu’on aime, c’est tout.

Vous consacrez un chapitre à Mondo Duplantis, avec qui vous vous entendez très bien. Il n’y a jamais eu une once de jalousie face au petit jeune qui arrive et vous surpasse ?

Il était fait pour ça. Depuis tout jeune, il est conditionné pour être un champion, et c’est un « bon » champion. Ce n’est pas le mec qui est venu, qui a mis sa carotte pour un petit centimètre et puis qui est reparti. Mondo est arrivé et il s’est installé à ma place, sur la durée. Il n’y a pas de jalousie parce que le mec est vraiment très fort. Et puis oui, on a une relation particulière, et ce n’est pas donné à tout le monde de sauter en même temps qu’une personne qui s’est inspirée de vous pour performer. C’est une chance de concourir avec lui.

Mondos Duplantis et Renaud Lavillenie se tombent dans les bras alors que le Suédois vient de porter le record du monde à 6.22m lors du All Star Perche organisé par le Français à Clermont, le 25 février 2023.
Mondos Duplantis et Renaud Lavillenie se tombent dans les bras alors que le Suédois vient de porter le record du monde à 6.22m lors du All Star Perche organisé par le Français à Clermont, le 25 février 2023. - Thierry Larret/SIPA

Il n’y a pas de regret, donc, à ne plus être au sommet de la hiérarchie ?

J’ai eu mon temps. Ça fait partie du jeu. Je fais quand même partie, à ce jour, des trois meilleurs de tous les temps dans ma discipline, avec Serguei Bubka et Mondo [Duplantis]. C’est assez prestigieux (sourire).

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