Newcastle - PSG : Les Magpies version Arabie saoudite, nouveaux riches discrets

FOOTBALL Repris en 2021 à 80 % par le fonds souverain saoudien (PIF), Newcastle poursuit sa progression au gré d’une politique sportive mesurée, loin du cliché du nouveau riche qui claque ses sous n’importe comment à chaque mercato

William Pereira
Petit à petit, Newcastle fait son nid.
Petit à petit, Newcastle fait son nid. — Every Second Media//SIPA
  • Newcastle reçoit le PSG en Ligue des champions ce mercredi. Il s’agira du premier match de C1 à St James'  Park depuis vingt ans pour les Magpies
  • Le retour au premier plan du club du nord-est de l’Angleterre s’explique par son rachat par l’Arabie saoudite, il y a deux ans
  • Mais alors que l’on s’attendait à de gros investissements sur le marché des transferts, le Toon ficelle une stratégie de longue haleine

L’histoire a commencé le 8 octobre 2021 devant St James’ Park, l’église au centre du village. Des supporters de Newcastle rassemblés par centaines (milliers ?) célèbrent alors le retour annoncé du club local au plus haut niveau, dans une ambiance mi-heureuse, mi-dérangeante. Marqué par l’ennui d’une vie qui n’avait plus grand-chose à lui offrir depuis les années Alan Shearer, ce peuple de travailleurs du nord-est anglais a piétiné sans le moindre regret ses principes en échange du retour des beaux jours. En ce jour d’annonce du rachat par le fonds souverain saoudien (le PIF), les fans de la Toon Army posent avec le drapeau de l’Arabie saoudite et chantent à la gloire du prince héritier Mohammed Ben Salmane. Le sang sur les mains ? Bof, pas grave. Après tout, un journaliste torturé puis découpé et quelques civils bombardés au Yemen (liste non exhaustive) n’ont jamais empêché qui que ce soit de dormir, et certainement pas un supporter comblé.

Sur le plan moral, Newcastle ressemble au PSG, son adversaire de mercredi en Ligue des champions. Mais la comparaison s’arrête là. Les Magpies, que l’on imaginait venir emmerder Manchester City et Paris sur leur créneau en se mettant à recruter à coups de centaines de millions d’euros, ou a minima faire n’importe quoi comme des vulgaires Everton ou West Ham, ont choisi une voie différente. Moins ostentatoire, presque modeste. Un paradoxe, quand on observe de loin la révolution de la ligue saoudienne.

« Pour ce qui est du football en matière de soft power, d’image, de tourisme, etc., il faut regarder chez eux, explique l’économiste Luc Arrondel, directeur de recherche au CNRS et spécialisé dans le football. C’est en Arabie saoudite que les clubs ont le plus dépensé en transferts. Leur balance est négative d’un milliard d’euros [891 millions d’euros], juste derrière la Premier League, qui est à 1,2 milliard d’euros. »

Le PIF a eu le nez creux

Pour ce qui est du football intelligent, il faut en revanche se tourner vers l’Angleterre, où le projet saoudien est piloté par une structure sportive solide. Du manager général Darren Eales à Eddie Howe, l’entraîneur, en passant par le directeur du football Dan Ashworth, tout le monde connaît le foot anglais sur le bout des doigts. « Ils ont quand même dépensé beaucoup d’argent, en revanche, ils ont commis très peu d’erreurs, applaudit Kieran Maguire, économiste anglais spécialisé dans le sport. Ils ont recruté les bonnes personnes aux bons postes. » L’été dernier Newcastle a dépensé 153 millions d’euros, dont 108 pour Sandro Tonali (Milan AC) et Harvey Barnes (Leicester). Une belle somme mais rien de démesuré, dans la droite lignée de la politique sportive du club depuis le passage sous pavillon saoudien : les dépenses sont contrôlées, mais n’interdisent pas les gros coups quand ils sont nécessaires. Et jamais en surpayant au-dessus du prix du marché (à un cas près). Exemples :

> Bruno Guimarães recruté en janvier 2022 pour 42 millions d’euros en provenance de l’OL alors que Newcastle, à peine racheté par le PIF, fonçait droit vers la relégation.

Bilan : Réussite totale, idole de St James’ Park

> Alexander Isak, acheté à l’été 2022 pour 70 plaques à la Real Sociedad (alors qu’il en valait 30 selon Transfermarkt) pour aider le Toon à franchir le cap offensivement.

Bilan : Réussite, titulaire indiscutable

> Anthony Gordon, la jeune star anglaise qui monte, arrachée à Everton pour 45 millions d’euros au bout du dernier mercato hivernal pour renforcer le milieu dans le but d’aller chercher le top 4 en PL.

Bilan : Plutôt bon. Lent au démarrage, beaucoup mieux depuis le début de la saison.

Anthony Gordon
Anthony Gordon - 2023 Richard Callis/SPP/Sipa USA

« Le mercato de cet été n’était pas mal mais ça aurait mérité mieux, analyse Antoine, supporter français de Newcastle. Les avis qui circulent chez les supporters sont qu’on aurait dû prendre un ailier de classe mondiale. Il y a eu les rumeurs folles, Federico Chiesa, Khvicha Kvaratskhelia mais finalement c’est Barnes. Talentueux certes, mais sans faire l’unanimité. Mais pour le moment nous supporters ne sommes pas encore hyperexigeants. On n’attend pas forcément des stars. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui le club est "saoudien", qu’il faut gagner la LDC demain, il faut prendre le temps d’évoluer. Ne brûlons pas les étapes, c’est comme ça qu’un projet échoue. »

Un constat partagé par Laurent Robert, ancienne légende du club et accessoirement ex-Parisien. « Il y a eu des recrutements bien réfléchis, ils n’ont pas voulu s’enflammer comme les grosses équipes en amenant des grands noms. Newcastle a fait tout l’inverse de ce que les spectateurs et les observateurs pouvaient craindre avec l’arrivée d’un gros investisseur. »

Doutes autour du nouveau sponsor maillot saoudien

La vérité derrière cette habile gestion sportive, c’est qu’elle est un peu forcée. On ne débarque plus dans le football européen en faisant joujou avec son portefeuille illimité façon Roman Abramovitch. « Nouvelle règle », comme dirait l’autre : l’émergence des Chelsea, Manchester City et Paris Saint-Germain a engendré le fair-play financier (FPF), et, aussi discutable soit-il, ce dernier représente une contrainte prise au sérieux par les nouveaux arrivants. Kieran Maguire développe :

Quand Chelsea a joué contre Manchester City en finale de Ligue des champions [2021], c’était un match entre les deux plus grands générateurs de pertes dans l’histoire de la Premier League. Des règles ont donc été introduites pour que cela ne se produise plus. En réalité, les propriétaires de Newcastle aimeraient dépenser les sommes d’argent dont ils disposent, mais ils sont limités par ces règles. »

Pour dépenser plus à l’avenir tout en restant pérenne et dans les clous du FPF, la direction des Magpies redouble d’imagination afin de gonfler ses revenus : matchs amicaux de l’Arabie saoudite à St James’ Park pour doper la billetterie et connecter la ville anglaise à son nouveau pays, mais aussi augmentation des revenus commerciaux via la signature de contrats de sponsoring. Adidas signe son retour en tant qu’équipementier du club, et l’un des épisodes de la série de Prime Video We Are Newcastle se concentre sur la quête d’un nouveau sponsor maillot. Car le dernier partenariat avec Fun88, une société chinoise de paris en ligne, ne pesait pas bien lourd : 6,5 millions de livres par an pour s’afficher sur la tunique noire et blanche. Pire, la Premier League a décidé de bannir les marques liées aux paris d’ici 2026 et Fun88 n’avait donc plus d’avenir en Angleterre.

Pour la remplacer, Newcastle a jeté son dévolu sur Sela, la principale boîte d’événementiel saoudienne également détenue par le PIF. Un coup suspect qui rappelle les vieilles manœuvres de City et du PSG pour doper leurs revenus commerciaux. « Le cas des clubs possédés par des fonds souverains est délicat, Luc Arrondel. Connaître l’origine des revenus commerciaux n’est pas toujours évident. Quand Qatar Airways finance un sponsor maillot au PSG, est-ce que c’est le Qatar ? Est-ce que ça rentre dans le cas du FPF ? C’est compliqué. C’est pareil pour Newcastle. » Le montant de l’accord avec Sela interpelle également : 25 millions annuels, c’est quasiment cinq fois plus que le précédent. La crainte d’une ingérence de la part de l’Etat saoudien a mis en alerte les commissions indépendantes de la Premier League.

Selon The Guardian, celles-ci devraient se montrer clémentes, car l’argument de la qualification en C1 comme explication à l’augmentation exponentielle des revenus de sponsoring est jugé acceptable. « Tous les contrats liés au sponsoring et tous les deals au-delà du million de livres sont scrutés afin de déterminer s’ils sont bien respectueux des lois du marché, complète Kieran Maguire. Et Newcastle est contrôlé de très, très près. » Le prix à payer pour entrer dans une nouvelle dimension.