Guerre en Ukraine : « C’est le signe que nous sommes vivants »… Comment le championnat de foot a repris ses droits malgré la guerre
FOOTBALL Alors que le pays est toujours en guerre contre la Russie, le championnat ukrainien de football a repris ses droits le 24 août dernier dans des conditions de sécurité renforcées
- Arrêté de 26 avril dernier après l’invasion russe en Ukraine, le championnat de football 2022-2023 a repris le 23 août sur décision du ministère des Sports.
- Match à huis clos, abris antiaériens, le gouvernement ukrainien a pris des mesures pour garantir au maximum la sécurité des joueurs et de leurs staffs.
- S’ils ont conscience que le risque zéro n’existe pas, les joueurs semblent heureux de pouvoir à nouveau exercer leur métier et offrir un peu de bonheur à leurs supporters.
Dans le sous-sol de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, les joueurs du Rukh et du Metalist Kharkiv tuent le temps comme ils peuvent. Certains tapent la discute par petits groupes autour d’un petit café tandis que d’autres ont le nez sur leurs smartphones. Tous attendent le feu vert des arbitres pour sortir du petit abri antiaérien situé à quelques encablures du stade Ukrainia et reprendre le match là où ils l’avaient laissé. Quelques minutes plus tôt, une sirène a retenti alors qu’ils disputaient leur première rencontre de la saison, après huit mois d’interruption forcée à la suite de l’invasion russe en Ukraine.
Dans les haut-parleurs du stade, ce message : « Attention ! Attention ! Alarme aérienne ! Nous demandons à tout le monde de nous suivre jusqu’au refuge ». Averties d’un risque de frappe de missiles russes, les autorités ukrainiennes n’ont eu d’autres choix que de mettre tout ce petit monde à l’abri. Au total, ce ballet se répétera trois fois et le match, commencé à 15h, s’achèvera 4h30 plus tard, aux alentours de 19h30, par la victoire (2-1) du Metalist Karkhiv. Cette scène est appelée à se répéter un peu partout dans les régions où le football a repris ses droits, sur décision du ministère des Sports.
C’est le prix à payer par les joueurs pour pouvoir à nouveau exercer leur métier. « Si l’alerte aérienne dure moins de 40 minutes, le match peut reprendre. Si ça dure plus longtemps, il sera rejoué un autre jour. La sécurité des deux équipes passe avant tout », nous explique Igor Oks, l’attaché de presse du FC Chernomorets (1ère division). Si Lviv et Kiev sont aujourd’hui épargnées par le gros des combats – raison pour laquelle l’essentiel des matchs de l’Ukrainian Premier League se disputera dans ces deux régions – la menace d’une attaque russe plane toujours.
Offrir un peu de joie au peuple ukrainien
« Aucun endroit n’est vraiment sûr à 100 % à l’heure actuelle en Ukraine. Et on sait que la reprise du championnat peut être perçue par Moscou comme une provocation et que les stades pourraient devenir des cibles toutes désignées pour l’armée russe, relate Andrew Todos, journaliste d'origine ukrainienne basé à Londres et fondateur du site Zorya Londonsk spécialisé sur le football ukrainien. Mais disons que les moyens de défenses les plus sûrs du pays sont situés dans ces deux régions. Malgré tout, le gouvernement a dû mettre en place des mesures de sécurités autour des rencontres. » Obligation de disposer d’un abri antiaérien à moins de 500 m du stade, donc, mais aussi match à huis clos et validation en amont, au cas par cas, par les autorités militaires de la tenue ou non des rencontres.
Malgré ce protocole, les joueurs et les staffs sont heureux de pouvoir à nouveau fouler la pelouse. « Les joueurs vont vraiment bien, ils sont très excités par cette reprise, assure Igor. Ils l’attendaient depuis longtemps. Il y a une ambiance très conviviale au sein de l’équipe. » « Ils sont heureux de pouvoir à nouveau faire leur métier et de pouvoir contribuer à offrir un peu de joie et de distraction au peuple ukrainien », embraye le journaliste. La décision du ministère des Sports de reprendre le championnat est saluée unanimement dans le pays. Pour une raison simple, selon l’attaché de presse du FC Chernomorets.
« Les Ukrainiens ont plus que jamais besoin d’émotions positives. Or, le football est le sport numéro 1 en Ukraine et, pour des millions de personnes, c’est une grande fête que de pouvoir à nouveau regarder les matchs à la télé. Surtout pour les soldats. Et puis, reprendre le championnat alors même que nous sommes en guerre, c’est le signe que nous sommes vivants et invaincus. »
« La vie doit continuer »
« En tant qu’athlètes de haut niveau, les footballeurs ont été exemptés de service militaire, ils n’ont pas pris part à la défense du pays et je pense qu’ils voient ce retour à la compétition comme une sorte de devoir, de responsabilité vis-à-vis de celles et ceux qui se battent sur les lignes de front contre l’envahisseur russe », renchérit Andrew Todos. « Nous serons éternellement reconnaissants à notre armée et à tous nos défenseurs, confirme Oks. L’héroïsme de nos soldats est la principale raison pour laquelle nous avons la possibilité de rejouer au football. »
Ce come-back du football après huit mois de guerre marque d’une certaine manière le dernier volet d’un retour à la vie (à peu près) normale. « Cela ne ressemble plus à ce qu’étaient les premiers mois de la guerre, notamment à Kiev, avec les tirs de missiles et l’avancée des troupes russes. Aujourd’hui, les gens sortent à nouveau, ils vont au café, au cinéma, témoigne Andrew Todos. La vie doit continuer. C’est aussi une manière de montrer aux Russes qu’ils ne nous empêcheront pas de vivre. » Le football comme arme de propagande, rien de nouveau sous le soleil en somme. C’est d’ailleurs ce qui a poussé le gouvernement de Volodymyr Zelensky à maintenir les matchs sur le sol ukrainien et non à l’étranger, comme l’avait proposé le Shakhtar Donetsk, qui jouera ses rencontres de Ligue des champions à Varsovie (Pologne).
Pour le gouvernement ukrainien, c’est un message de résistance envoyé à Poutine et ses sbires. Quitte à risquer des représailles. « Il est absolument clair que le stade de football est un bien civil, prévient Igor Oks. Il n’y a aucune sorte d’armes, de véhicules militaires ou de soldats aux abords des terrains. Donc, s’ils nous attaquent au stade, ce sera une preuve de plus que l’armée russe tue des civils en Ukraine ». Conscient que s’attaquer au football c’est aussi s’attaquer à l’Europe (le Shakhtar est qualifié pour la C1, le Dynamo Kiev pour la C3), pas sûr cependant que Vladimir Poutine prenne le risque de relancer ouvertement le conflit avec l’ensemble du continent.
Le Shakhtar déplumé de sa colonie brésilienne
En parlant du Shakhtar, il convient tout de même de se demander à quoi va ressembler ce championnat sous haute sécurité alors que deux équipes manquent officiellement à l’appel : le FC Marioupol, dont la ville est passée sous pavillon russe, et le Desna Tchernihiv, qui a vu son terrain disparaître sous une roquette russe. D’un point de vue du niveau, on peut penser que les équipes seront toutes plus ou moins sur un pied d’égalité. Avec la fuite de sa colonie brésilienne, le Shakhtar est aujourd’hui composé quasi intégralement de jeunes joueurs ukrainiens et devra lutter à armes égales avec les autres équipes du pays. Sur la scène européenne, difficile de l’imaginer performer avec un groupe aussi peu expérimenté.
Il pourra peut-être alors compter sur l’esprit revanchard de ses troupes, lui qui a aujourd’hui une dent contre la FIFA après l’annonce de l’instance de prolonger d’un an la possibilité pour les joueurs étrangers de jouer librement, sous forme de prêt, pour une autre équipe. C’est le cas par exemple de Tetê, qui a rejoint l’OL en fin de saison dernière. Selon le New York Times, Les Lyonnais s’étaient finalement mis d’accord avec leurs homologues du Shakhtar pour un transfert définitif du Brésilien contre la somme de 15 millions d’euros, avant que la décision de la FIFA ne vienne tout chambouler. Désormais, l’ OL ne proposerait plus que trois millions pour le joueur.
« C’est ridicule. Ils nous donnent des cacahuètes !, s’est étranglé Sergei Palkin, le directeur général du Shakhtar Donetsk dans le New York Times. Ce n’est pas respectueux de la part de la FIFA et des clubs. Ils ne parlent que de la famille du football. Mais dans la vraie vie, il n’y a pas de famille du football. »
Contactés par nos confrères américains, les Lyonnais contestent la version des faits donnée par Palkin mais ont refusé de fournir plus des détails. En attendant de voir de quelle manière cette affaire sera réglée, le club doit se préparer pour une saison qui s’annonce longue et compliquée. Elle le sera pour toutes les équipes, du reste, à l’image du FSC Marioupol, le deuxième club de la ville, délocalisée dans la capitale ukrainienne.
Avec seulement dix joueurs qui ont réussi à rejoindre leur nouveau camp de base dans la banlieue de Kiev, le club a dû compléter son effectif avec des jeunes issus d’autres clubs du pays, y compris de la région de Donetsk ravagée par le conflit. C’est finalement le président du FSC Marioupol qui résume le mieux la situation actuelle du football Ukrainien : « Actuellement, le plus important c’est de participer ».