Cyclisme : « Trop facile de porter ces accusations »…Comment la Jumbo-Visma fait face aux allégations répétées de dopage

TOUR d'ESPAGNE Avec trois coureurs aux trois premières places du général du Tour d’Espagne, et avec une domination incroyable depuis le début de la saison, la Jumbo-Visma est visée par des accusations de dopage

Antoine Huot de Saint Albin
Attention, transformation en Avengers dans 3,2,1…
Attention, transformation en Avengers dans 3,2,1… — AFP
  • Avec Sepp Kuss, Primoz Roglic et Jonas Vingegaard aux trois premières places de la Vuelta, la Jumbo-Visma domine nettement le Tour d’Espagne.
  • Depuis le début de la saison, l’équipe néerlandaise emporte (presque) tout sur son passage avec une facilité déconcertante.
  • Suffisant pour que les suspicions de dopage tombent à droite et à gauche. Sans preuve.

S’il y a bien un jour où le craquage est possible, c’est celui-là : monter l’Alto de l’Angliru, au sommet duquel sera jugée l’arrivée de la 17e étape de la Vuelta ce mercredi, ressemble aux 12 travaux d’Hercule réunis en un seul. Une montée de près de 13 bornes à 9,8 % de moyenne avec des pics à 24 %, suffisant pour faire tomber un homme de sa monture. Si dominatrice depuis le début du Tour d’Espagne, la Jumbo-Visma, qui a trois coureurs aux trois premières places du classement général, peut-elle alors tout perdre après cette ascension du démon ?

Dans les Asturies, si les rayons du soleil peuvent disparaître aussi rapidement qu’un Français dans le tableau final d’un tournoi du Grand Chelem, on n’imagine cependant pas Sepp Kuss (leadeur du général), Primoz Roglic et Jonas Vingegaard baisser pavillon. Pire, dans nos plus beaux cauchemars, on voit le trio arriver main dans la main, en train de danser la gavotte en haut de l’Angliru, en hommage à l’influence celte de la région.


« Pour Armstrong il n’y avait pas de preuve non plus »

Et la danse bretonne ne sera pas de trop pour tenter d’échapper à l’éternel refrain qui vient se glisser doucement dans les oreilles des membres de l’équipe néerlandaise : « C’en est trop, ils sont tous dopés. » Au micro de RMC Sports, Jérome Pineau, l’ancien manageur de l’équipe B & B Hotels, n’a pas pu s’empêcher de sortir le lance-flammes après l’énième démonstration de Sepp Kuss, qui enchaîne son troisième Grand Tour d’affilée, dans le Tourmalet :

“On a tous fait des stages. Ils [les coureurs de la Jumbo-Visma] mettent quatre coups de pédale, ils prennent 10 mètres. Comment ils font ? J’y étais dans ce milieu il n’y a pas longtemps. Les discussions autour des bus, ce n’était pas sur ce qu’ils faisaient en stage. Et il n’y avait pas que les petites équipes qui se plaignaient. Mais personne ne dit rien. Il n’y a pas de preuve, mais pour Armstrong il n’y avait pas de preuve non plus. »

Victoires sur le Giro, sur le Tour de France, (probablement) sur la Vuelta, sur des classiques… La Jumbo-Visma n’a laissé que des miettes cette année à la concurrence. Mais c’est surtout l’impression de facilité et l’insolente domination qui provoquent un sentiment de malaise, surtout quand Vingegaard a mis trois minutes à Van Aert sur le chrono du Tour de France. « Je suis le meilleur des gens normaux », avait même commenté le coureur belge. Osé.

« Vu l’historique du cyclisme, on peut comprendre qu’il y ait des commentaires de ce ton-là, commente Tom Leezer, ancien coureur de l’équipe néerlandaise. C’est normal d’avoir des interrogations, mais assurer qu’il y a du dopage, c’est deux choses différentes. A chaque fois qu’une équipe domine, comme avait pu le faire le team Sky, il y a des suspicions de dopage. »

Encadrement avec un passif, un positif cet été

Des accusations notamment liées à l’encadrement de l’équipe néerlandaise. Ainsi, Grischa Niermann, directeur sportif de l’équipe, a reconnu avoir utilisé de l’EPO entre 2000 et 2003 lorsqu’il courait sous le maillot de la Rabobank. Une dizaine de membres du staff actuel étaient d’ailleurs présents dans cette « fameuse » équipe, au moment où des coureurs comme Rasmussen, Boogerd ou Dekker ont été épinglés. Plus récemment, en juin, Michel Hessman, qui avait couru le dernier Giro, remporté par Primoz Roglic, a été contrôlé positif à un agent diurétique, et immédiatement suspendu par son équipe.

Bisous les haters.
Bisous les haters. - AFP

« C’est un cas isolé, et ce n’est évidemment pas super pour l’équipe Jumbo-Visma, mais ça ne doit pas remettre en cause l’intégrité de l’équipe, assure Daan Olivier, passé chez les Jaune et Noir. Tu ne veux jamais que ça arrive, mais t’as 30 coureurs dans une équipe, parfois tu ne peux pas tout contrôler et un coureur peut faire une erreur. » Selon lui, « il est impossible qu’il y ait du dopage mécanique à la Jumbo-Visma, impossible. J’ai couru avec cette équipe, et je sais qu’il y a une tolérance zéro avec le dopage ».

Malgré cette « tolérance zéro », l’équipe préfère rester en dehors du MPCC, Mouvement pour un cyclisme crédible, qui a pour but de défendre l’objectif d’un cyclisme propre, en se basant notamment sur les notions de transparence, de responsabilité et de mobilisation de ses adhérents. Le MPCC proscrit notamment les cétones, ces compléments alimentaires que l’équipe néerlandaise affirme utiliser.

« Les meilleures analyses physiologiques »

Alors, comment Jonas Vingegaard, Wout Van Aert, Primoz Roglic peuvent-ils faire passer proprement les autres équipes pour des enfants ? « Les responsables de la performance de Jumbo-Visma font de meilleures analyses physiologiques des coureurs, répond Bert De Backer, passé par la B & B Hôtel. Pour moi, par exemple, sur le Tour, ce n’est pas tellement les qualités physiques qui ont fait la différence, mais ils ont réussi à adapter leurs tactiques en fonction des qualités de Vingegaard et Pogacar. Ils savaient à quel moment Pogacar allait être le plus en difficulté et faire la différence à ce moment-là. »

La base, à mon avis et de ce que j’ai vécu, c’est un super scouting, reprend Tom Leezer. Ils ont pris Vingegaard dans une petite équipe quand il était jeune. Même chose pour Kuss et Roglic. La Jumbo-Visma a cru en eux direct. La seconde chose, c’est qu’ils ne dépensent pas tout leur argent sur des gros salaires, mais ils investissent aussi énormément dans le matériel, les équipements, l’aérodynamique, la nutrition, les camps d’entraînement… Grâce à ça, chaque année, tu t’améliores peut-être de 1 ou 2 % et à force… »

Les accusations de Jérôme Pineau n’ont pas du tout été comprises par tous nos intervenants : « C’est très dangereux et trop facile de porter ces accusations sans avoir de preuves, estime De Backer. J’aime beaucoup Jérôme, mais quand j’étais dans son équipe, il y avait des choses à améliorer facilement. L’équipe pouvait être 25 % meilleure, avec les mêmes coureurs, avec des choses de base à intégrer dans l’équipe, comme la nutrition. Il ne comprend pas comment certains coureurs peuvent avoir un tel niveau, il ne peut pas l’expliquer, et c’est dangereux de trouver les explications dans le dopage. »

Contactée, l’équipe Jumbo-Visma s’est fendue d’un communiqué cinglant : « Nous nous concentrons sur la victoire de la Vuelta et nous continuons à expliquer de manière transparente comment nous travaillons et quelle est la base de nos succès (alimentation, entraînement en altitude, équipement de pointe, etc.). De plus, nous trouvons étrange que les médias donnent une tribune à quelqu’un sans être en mesure d’étayer correctement ses accusations. Surtout sachant les dégâts que la même personne a récemment causés au cyclisme avec ses délires. » Il n’y a pas que l’Angliru qui fait mal à la tête.