France - Ecosse : « Le 10 ne maîtrise pas le jeu », la prise d’initiatives, nouveau mal français
RUGBY En Irlande, Fabien Galthié déplorait un excès de jeu dans le camp français. A qui la faute ? La prise de décisions et l’autonomie des maîtres à jouer semblent remises en question
A entendre parler les membres du staff ou les joueurs du XV de France, cette semaine, à Marcoussis, on pourrait croire qu’ils ont trouvé chez leur futur adversaire le remède aux manques créatifs observés en Irlande. Ce serait Finn Russell, le fantastique, le magicien, l’imprévisible. L’Ecossais occupe évidemment une place de choix dans la constellation des ouvreurs les plus sexy du moment, et la France du rugby est bien placée pour en témoigner depuis qu’il survole les pelouses du Top 14 avec le maillot du Racing.
Laurent Labit un peu plus que les autres. « Je l’ai entraîné pendant deux ans au Racing 92. C’est un joueur extraordinaire qui fait venir les gens au stade. […] Dès qu’il met un pied sur le terrain, c’est comme un gosse qui va à la récréation. C’est son truc. Dès qu’il y a un ballon, il est partout, il fait des gestes incroyables, il ne s’arrête jamais. S’il rate un geste, il essaie aussitôt de le refaire, toujours avec le sourire. »
Trop de jeu, ou de mauvais choix ?
Une certaine idée du divertissement. Non pas qu’on s’emmerde avec notre XV de France, il faudrait être sacrément ingrat pour se plaindre avec des Dupont, Ntamack et Penaud au simple prétexte qu’une série de 14 victoires consécutives vient de prendre fin sur la pelouse de la meilleure équipe du moment. Mais il y a, chez Russell, une science très précise de l’alternance entre le jeu léché et le bourrinage au pied que n’a peut-être pas encore cette équipe de France.
« En raison de mauvaises décisions tactiques prises, on s’est trop exposé […] on a laissé beaucoup d’énergie en première période, on a trop joué dans notre camp, on aurait dû jouer plus haut », déplorait ainsi Fabien Galthié à chaud, à Dublin. En s’obstinant à vouloir rééditer l’essai sublime de Penaud, ou en voulant échapper à la pression irlandaise sur leur jeu au pied, comme expliqué par Ntamack il y a deux semaines, les Bleus se sont noyés.
L’échec en Irlande pose une question plus large, celle de la prise d’initiatives. « L’essai de Penaud prouve que cette équipe en est capable, nous dit l’ancien international français Christophe Lamaison. Mais l’équilibre n’est pas facile à trouver. » Le XV de France de Fabien Galthié excelle dans l’application des plans de son tacticien. Quand un thème est religieusement travaillé en semaine, il sera appliqué à la perfection le week-end. Exemple avec la discipline : entre l’Italie et l’Irlande, le nombre de fautes est passé de 18 à 7 grâce « à un gros travail effectué à l’entraînement sur les rucks », comme l’expliquait Romain Taofifenua en milieu de semaine à Marcoussis.
Ntamack ou Dupont, qui a les clés de la maison ?
Idem pour la notion de dépossession chère à Galthié l’an passé. Ntamack savait précisément où taper pour aller embêter l’adversaire. Cette année, le concept, un peu fumeux, de repossession implique des phases de jeu à utiliser avec parcimonie. Il y a donc une part de libre arbitre pas tout à fait maîtrisée. Problème dans le problème, cette carence finit par poser la question du leadership dans le jeu. Antoine Dupont semble avoir toutes les clés en mains, y compris celles du jeu au pied, là où Romain Ntamack devrait être celui qui débloque les situations. « On n’a pas l’impression que c’est le 10 qui maîtrise le jeu, que ce soit Romain Ntamack ou Matthieu Jalibert quand il joue à ce poste, à la différence des autres nations, souligne Lamaison. En France, c’est Dupont. C’est lui qui est capitaine, qui fait les transitions de passes entre avants et trois-quarts, c’est lui qui prend même le jeu au pied. C’est dans ce domaine que ça pose question. Pourquoi Dupont prend le jeu au pied à son compte ? Qu’est-ce qu’il reste à Ntamack ? Il lui reste la créativité. » Labit refuse quant à lui d’accabler son 10.
Romain est là où on l’attend. On demande surtout à ce qu’il ne soit pas seul maître à bord. Il doit être secondé, assisté. Les joueurs autour de lui doivent aussi lui donner des informations. Après, lui doit faire les bons choix, bien sûr, mais pour ça il faut qu’il y ait une communication autour de lui pour qu’il puisse mieux circuler et bien faire jouer son équipe. »
On prend les mêmes…
S’inquiéter avant l’Ecosse avec un bilan de 14-1 sur les 15 derniers matchs relèverait cependant d’une paranoïa, dont le XV de France n’a pas forcément besoin, surtout pas pendant le tournoi le moins important de l’année. Le staff n’a pas prévu de tout reprendre à zéro, dimanche, au Stade de France. Labit : « on n’ira pas jusqu’à changer notre façon de jouer ou de construire les matchs ». En dehors d’Atonio, suspendu, les mêmes devraient donc débuter contre l’Ecosse, en espérant que ça suffise.
Christophe Lamaison a une théorie à ce sujet. « Je n’ai pas l’impression que ce soit le bon moment pour dévoiler toutes ses cartouches. Galthié et son staff ne dévoilent pas tout, la Coupe du monde est dans six mois. En tant que supporteur, on a toujours envie de voir des essais de 80 mètres, mais je ne suis pas certain que ce soit actuellement la priorité du staff. » Laissons ça à Finn Russell et les siens, pour le moment.