JO 2021: De Tbilissi à Tokyo, l'improbable parcours de l'ancien réfugié Luka Mkheidze

JEUX OLYMPIQUES Né en Géorgie, le poids léger a dû fuir la guerre dans son pays quand il était adolescent, avec toujours le judo en fil rouge de ses pérégrinations

Nicolas Camus
Luka Mkheidze (de face) lors du Grand Slam de Paris en février 2020.
Luka Mkheidze (de face) lors du Grand Slam de Paris en février 2020. — Henri Collot/SIPA
  • Les épreuves de judo démarrent ce samedi aux Jeux olympiques de Tokyo, avec les poids légers.
  • Luka Mkheidze va ouvrir le bal pour l'équipe de France masculine en -60kg. Géorgien d'origine, il a fui son pays avec sa famille à l'adolescence pour venir s'installer en région parisienne, puis en Normandie.
  • Tout au long de son fascinant parcours, le jeune homme n'a jamais cessé de pratiquer le judo, sa passion depuis tout petit.

De notre envoyé spécial à Tokyo,

Luka Mkheidze est un bon cuisinier. Il aurait même pu en faire son métier, après un an passé à travailler dans un restaurant, mais le judo l’a emporté sur tout le reste et c’est bien sur le tatami qu’il s’adonne finalement à la meilleure manière de faire chauffer ses adversaires. Plutôt au grill qu’à l’étouffée, d’ailleurs. « Il n’a pas un judo conventionnel où on va chercher les pénalités. Il va essayer de faire tomber son adversaire, un régal pour les puristes », décrivait récemment pour le site 76actu Thomas Destin, le président du club de Perrey Guerrier, au Havre.

C’est là où tout a commencé pour ce judoka petit format (1,60 m), qui va découvrir les JO ce samedi dans la catégorie -60 kg Enfin, où tout a commencé en France. Car le parcours de Luka Mkheidze est tout à fait singulier. C’est en réalité en Géorgie, où il est né en 1996, qu’il a découvert le judo, poussé par son père. Ce dernier rêvait d’en faire quand il était gamin, mais sa maman ne lui avait jamais permis. Alors il a entrepris d’initier le fiston. « Il ne m’a jamais obligé non plus, raconte aujourd’hui Mkheidze. C’est moi, ça m’a tout de suite plu. »

Le judo ou rien

Il devra toutefois prendre son mal en patience. Quand il pousse les portes du club du coin à 5 ans, il se fait gentiment refouler par les entraîneurs à cause de sa petite taille. En Géorgie, le judo, comme la lutte, est un sport roi. On n’a pas trop le temps avec l’initiation des marmots, on s’entraîne presque comme les grands d’entrée de jeu. Le petit Luka doit patienter deux ans, pendant lesquels il se met à la natation et au basket. Mais déjà, rien ne vaut pour lui l’odeur du tatami.

A peine ses sept bougies soufflées, il s’empresse de remettre le kimono. Une habitude qu’il conservera à chaque étape de son enfance mouvementée. Champion de Géorgie en benjamin, il doit fuir son pays avec sa famille en 2008, à l’âge de 12 ans, après la deuxième guerre d’Ossétie du Sud. Premier stop en Pologne, où il reste huit mois mais a tout de même le temps de trouver un endroit pour pratiquer sa passion. Arrivé en région parisienne en 2010 avec le statut de réfugié politique, il prend ses quartiers au club Bolivar, dans le 19e arrondissement de la capitale.

La famille, qui dort dans une chambre d’hôtel, ne reste pas là bien longtemps. Direction Le Havre, où il trouve vite un nouveau club. Doué, Luka ne tarde pas à se faire un petit nom dans la région, qui va rapidement devenir trop petite pour lui. Après un passage au Pôle espoirs de Rouen, il obtient la nationalité française en 2015, lors de sa dernière année junior. Enfin. « Je me posais plein de questions. Je me demandais si je pourrais aller voir le niveau au-dessus, car sans la nationalité c’était impossible », retrace-t-il.

Une place aux JO arrachée en avril

Une fois son passeport en main, il décide de repartir à Paris pour passer un cap. « Je commençais à tourner en rond et J’avais besoin de changer de partenaires, avoir plus d’opposition », explique-t-il. Il signe à Sucy (94), puis intègre l’Insep un an plus tard. « J’ai réussi à faire mon trou, petit à petit. J’ai commencé à faire des tournois nationaux, puis internationaux. Ce n’était pas facile car j’avais le sentiment de partir de plus loin que les autres. Cadet-junior sont des années importantes pour l’expérience, et moi j’étais bloqué. Mais j’ai réussi à rattraper le temps perdu. »

A peine quatre ans plus tard, le voilà aux Jeux olympiques, après avoir profité du report pour chiper la place dans sa catégorie à Walide Khyar, qui tenait encore la corde en 2020. Sa médaille d’argent obtenue lors des championnats d’Europe en avril dernier, après avoir battu son compatriote en quarts de finale, a été décisive. Luka Mkheidze a décollé pour Tokyo avec en bandoulière le souvenir de Zurab Zviadauri, l’homme qui a ancré le judo au plus profond de lui en remportant la médaille d’or des poids moyens en 2004 à Athènes.

Toujours un lien avec la Géorgie

« J’avais 8 ans, j’ai vu comme tous les habitants étaient heureux, conte-t-il, le visage soudain très sérieux. Il les a rendus fiers. Ça m’a donné envie de connaître la même chose. » Et si le destin a fait qu’il tentera sa chance sous les couleurs d’un autre pays, la volonté reste la même. « Je suis arrivé très jeune, ce n’était pas facile de s’adapter à une culture très différente, d’apprendre la langue, qui est vraiment compliquée (rires), mais je pense m’être bien intégré et je me sens très bien ici, assure le judoka de 25 ans. Je suis très heureux de combattre pour la France. »

Et puis s’il faisait la journée de sa vie ce samedi, sûr qu’elle aurait du retentissement jusqu’à Tbilissi, où les Mkheidze ont toujours de la famille. Le lien n’est pas rompu. « Parfois, je croise des Géorgiens en compétition. Certains je les ai connus petit, dans mon club, c’est génial de les retrouver. On parle, ils m’encouragent, me disent qu’ils croient en moi et que je vais y arriver, même si aujourd’hui je combats pour la France. »