Karaté : « Je ne vais pas me pourrir la vie si je ne gagne pas », lâche Steven Da Costa, avant ses premiers JO à Tokyo

INTERVIEW Le numéro un mondial de la catégorie -67kg, victorieux début mai à Lisbonne de la première compétition officielle depuis plus d'un an, défend son titre de champion d'Europe à partir de mercredi

Propos recueillis par Nicolas Camus
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Steven Da Costa (de face) lors des championnats du monde de karaté en octobre 2018 à Madrid.
Steven Da Costa (de face) lors des championnats du monde de karaté en octobre 2018 à Madrid. — OFA/ZOJ/WENN.COM/SIPA
  • Champion du monde et d'Europe de karaté, Steven Da Costa remet son second titre en jeu à partir de ce mercredi à Porec, en Croatie.
  • A Lisbonne, début mai, le Français a disputé - et remporté - la première compétition organisée depuis mars 2020, et l'arrêt du circuit à cause de la pandémie.
  • Alors qu'il arrivait en pleine bourre vers les JO de Tokyo, il a dû prendre son mal en patience et se motiver pour repartir à l'assaut des Jeux, pour la grande première olympique du karaté.

Numéro un mondial, champion d’Europe et du monde en titre, le Français Steven Da Costa survole sa catégorie (-67kg) en karaté. Pour sa compétition de rentrée, après quatorze mois sans épreuve officielle, le combattant de Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle) a remporté la manche de « Karate1-Premier League » (l’équivalent de la Coupe du monde) de Lisbonne, début mai. Avant de défendre son titre lors des championnats d’Europe de Porec (Croatie), à partir de mercredi, il raconte à 20 Minutes ces mois sans combattre, sa rentrée et la préparation des JO de Tokyo, où le karaté fera sa toute première apparition – avant de sortir du programme en 2024 à Paris.

Au-delà de la victoire, que retenez-vous de cette compétition de rentrée à Lisbonne ?

Ça va, il y a pas mal de positif parce que je gagne, et j’avais hâte de voir où j’en étais au niveau mondial. J’avais refait des matchs test, où j’ai gagné aussi, mais ce n’est pas pareil qu’une compétition officielle avec le top 50. Donc c’est de bon augure, mais il y a quand même du négatif, c’est normal. J’avais encore un peu le frein, je n’ai pas réussi à me relâcher totalement. Rien d'alarmant je pense, c’est dû à la perte des repères.

C’était important de montrer à la concurrence que même après plus d’un an d’arrêt, vous êtes toujours le numéro 1 ?

Oui, c’est très bien pour la confiance, et effacer certains doutes qu'il pouvait y avoir. C’est bien aussi aux yeux des arbitres, je pense. Ça laisse la marque qu’il y avait avant l’arrêt. Mais plus globalement, j’avais juste hâte de retrouver l’ambiance compétition. Ça ne me manquait pas trop au début, mais là, c’était le moment, ça commençait à faire beaucoup trop long et j’avais hâte de voir où en étaient mes concurrents. Je n’ai pas combattu tout le monde, mais je n’ai pas remarqué de grande différence. Je ne crois pas que la hiérarchie ait beaucoup changé.

Comment avez-vous vécu l’arrêt des compétitions l’année dernière et le report des Jeux ?

Au départ, très bien. Le report des Jeux a été une très bonne chose pour moi, on sortait de deux ans de qualification où c’était le parcours du combattant. On a commencé à voir de grosses blessures, mais c'est normal, on a trop tiré, on avait une compétition toutes les deux semaines, dans un pays différent, pendant deux ans. Un rythme de fou, c’est comme si on avait fait l’équivalent de huit ans de carrière pendant ces deux années. Donc je me suis dit que j’allais pouvoir souffler et vraiment bien me préparer.

Mais ensuite, ça a commencé à faire long…

Exactement. Quand on est arrivé en janvier, j’ai commencé à me dire dommage que les Jeux ne soient pas passés. Parce que tu commences à douter, à te demander si t’es encore dans le truc. J’étais sur une bonne dynamique, ça allait peut-être me couper les jambes. C’est pour ça que ça se faisait pressant de reprendre. En plus, c’est dur de se remotiver. Tu t’habitues à ta petite vie cool, sans objectif proche t’as pas envie de te faire mal quand tu t’entraînes. Moi heureusement je suis en famille (ses frères Logan et Jessie font également partie de l’équipe de France), on pouvait se tirer la bourre sur les entraînements.

Les repas de famille chez les Da Costa ne ressemblent pas aux vôtres.
Les repas de famille chez les Da Costa ne ressemblent pas aux vôtres. - FRANCK FIFE / AFP

Quand avez-vous réellement repris les séances intensives ?

Je n’ai pas vraiment coupé le contact, j’ai juste diminué le volume. On s’entraînait moins, mais toujours fort. Je ne sais pas si c’était une bonne chose, parce que j’ai commencé à avoir des petits pépins. Mais c’était peut-être juste la retombée de la pression après ces deux ans. Ton corps se relâche, tu te fais mal plus facilement. Mais bon, là c’est reparti.

Et maintenant, c’est l’Euro qui arrive…

Oui, ça va venir vite. Et puis après, c’est là où je vais entrer dans le vif pour les JO. Il restera deux mois, la machine sera en route et on ne s’arrêtera plus.

Vous pensez être là où vous vouliez à cette période de l’année ?

Je ne saurais pas dire. Après, le principal, c’est d’être prêt le jour-J. Si on me dit tu perds les Europe mais tu gagnes les Jeux, je signe. On peut toujours passer à côté d’une compétition. Une journée ne ressemble jamais à une autre, on verra.

Vous êtes le numéro 1 dans votre catégorie, attendu à chaque compétition. Comment on gère cette pression ?

Ce n’est pas vraiment une pression, parce que je ne me dis pas que je n’ai pas le droit de perdre. Je pense que c’est plus une pression pour les autres. Je ne me considère pas favori quand je vais combattre. A chaque fois, je viens dans le but de faire mon taf. Si ça passe tant mieux, sinon c’est qu’il manquait quelque chose. Si je me mets parfois un peu de pression, c’est plus par orgueil que par rapport aux autres.

Vous l’avez travaillé, ce détachement par rapport aux résultats ?

Non, c’est assez naturel. Je pense avoir la tête sur les épaules, je suis bien entouré. Personne ne met plus haut que ce que je suis. A chaque fois, quand je gagne, je suis content mais ça reste du sport. Je ne sauve pas de vie, je ne suis personne. Je me fixe des objectifs et je fais tout pour les atteindre, c’est aussi simple que ça.

Chez lui, Steven s'entraîne avec des exercices accessibles à tout le monde (ou pas vraiment).
Chez lui, Steven s'entraîne avec des exercices accessibles à tout le monde (ou pas vraiment). - FRANCK FIFE / AFP

Ces Jeux, ça va être une grande première pour le karaté…

(Il coupe)... et la grande dernière aussi.

Qu’est-ce qu’on se dit, qu’il ne faut absolument pas se louper ?

Cette question revient souvent, évidemment. Comme je dis à chaque fois, si je dois gagner les Jeux, c’est que c’était mon jour, et si je ne les gagne pas c’est que ça ne devait pas arriver et que je suis passé à côté de quelque chose. Mais je vais pas mettre l’objectif plus haut ou plus important que ce qu’il est, même si bien sûr, les Jeux, c’est le Graal, l’objectif le plus important. Je ne vais pas me pourrir la vie. J’y vais pour gagner, comme pour toutes les compètes. Si je passe à côté je serai super triste, en tout cas j’y vais pour l’or, peu importe si ce sont les premiers, les derniers ou ce que vous voulez.

Est-ce que vous avez hâte de découvrir l’ambiance JO, de pouvoir vous dire « je suis un athlète olympique », avec tous les autres, même si les conditions seront particulières cette année ?

Alors franchement… non (il rit). Je suis très heureux d’être qualifié pour les Jeux, ça a été très dur, mais faire le touriste ne m’intéresse pas. On me dit demain tu vas aux Jeux mais tu perds au premier tour, j’y vais même pas. Même s’il y a une grande histoire, même si c’est très beau, ça ne m’intéresse pas. C’est ma manière d’être. Quand on part en compétition, quel que soit le pays, je ne sors pas de ma chambre d’hôtel. Il y en a plein qui vont visiter, et je ne critique pas, chacun fait comme il veut, mais pas moi. Ça voudrait dire que je ne suis pas dans mon truc. Même aux Jeux, je ne me ferai pas embarquer parce que ce n’est pas ma manière de me préparer. Je suis très fêtard, mais après.

Que pensez-vous de la décision de Paris d’avoir enlevé le karaté pour 2024 ?

(Il soupire) Je me suis battu, j’ai fait le maximum au moment où ça se décidait, mais le reste ce n’était pas entre mes mains. C’est politique. Pour être honnête, j’ai pleuré le karaté. Ce n’est même pas personnel, moi j’aurai 27 ans, ça se trouve je ne serai même plus dans les clous, je l’ai fait pour ce sport, son histoire, sa renommée. On fait partie des sports les plus pratiqués au monde, alors je l’ai pris comme une grande injustice. Et je n’aime pas ça. Je trouve que pour le sport, c’est moche. C’est une grande déception, et ce n’est pas comme si on s’y attendait, en plus.

Vous y croyiez au maintien en 2024 ?

C’est même pas que j’y croyais, c’est que pour moi c’était fait. La France fait partie du top 5 mondial, on ramène pas mal de médailles, je me suis pas dit qu’on allait se faire remplacer par des sports où en plus on ne ramènera pas d’or, je pense. Personne n’est venu nous voir pour justifier cette décision. Le breakdance et tout, pour moi ce ne sont pas des sportifs, ce sont des artistes. Et puis ça ne les intéresse pas. Les meilleurs, ils n'ont rien à cirer des Jeux, c'est pas leur délire, ils le disent eux-mêmes. Je ne leur en veux pas du tout, ils n'y sont pour rien dans tout ça. Je leur souhaite de performer à Paris, de réaliser leur rêve. Moi je défends juste mon sport, et je ne comprends pas.