XV de France : « Qu’on parle plutôt du grand monsieur qu’Haouas est devenu »
RUGBY Le pilier des Bleus, au parcours tortueux, s’affirme de plus en plus sportivement. Mais il est toujours sous la surveillance de son club comme de Fabien Galthié, et doit aussi passer devant la justice pour une affaire vieille de six ans
- Le pilier Mohamed Haouas est devenu un élément essentiel du XV de France de Fabien Galthié.
- Son parcours de vie, inhabituel dans ce milieu là, va l'emmener devant les tribunaux début janvier.
- Ses proches aimeraient que l'on parle moins de son passé pour se concentrer sur la réussite de sa carrière.
Dans toute la légion des nouveaux appelés par Fabien Galthié avant le Tournoi des VI Nations, au début de l’année, son histoire était celle qui se racontait le plus. Pas banale. Un gamin d’un quartier populaire, passé quelques jours par la case prison et sauvé par sa découverte tardive du rugby, on n’en voit pas tous les jours. A 25 ans, Mohamed Haouas, pilier invincible en mêlée, était la trouvaille du nouveau staff des Bleus.
Surtout après son bon début de tournoi. Et puis, un coup de sang face à l’Ecosse fait perdre à la France ses espoirs de grand chelem et l’envoie en suspension pendant trois semaines. Avant que, début septembre, plusieurs incartades – on évoque des retards et une prise de bec - au cadre de vie édicté par son club de Montpellier ne lui causent une nouvelle suspension et la perte de sa prime d’éthique. Son passé redevient alors soudainement un poids : on y mélange un peu tout, de son casier judiciaire à sa bagarre improbable avec son coéquipier Bismarck Du Plessis pendant un échauffement en 2018 au rouge face à l’Ecosse, la belle histoire est détricotée.
Le pardon de Galthié
« Fabien Galthié pardonnera-t-il à Haouas ? », titre le Midi-Olympique juste avant l’annonce de la sélection pour la tournée d’automne. Vraie question, compte tenu de la « tolérance zéro » promise par Galthié. Sauf peut-être pour le sélectionneur, qui ne semble même pas avoir hésité la moindre seconde et laisse même au manager des Bleus Raphaël Ibanez le soin de justifier la convocation d’Haouas, titulaire indiscutable sur le côté droit de la mêlée française face à l’Irlande et le pays de Galles, avant de retrouver l’Ecosse dimanche.
« Momo bénéficie de notre confiance. Son chemin est tortueux parfois, mais au regard de la confiance que nous avons en son manager Xavier Garbajosa […] et aussi à la lecture des données GPS, de la préparation physique, des entraînements, on a de bonnes raisons de croire qu’il peut encore donner pour le XV de France. Même si c’est vrai que d’un point de vue de management, on est vigilants. Il est attachant mais il mérite une attention particulière. C’est un enjeu pour nous, mais pour lui aussi. »
« La page est tournée »
Si le staff des Bleus a été clément, c’est aussi parce qu’il a été rassuré par Xavier Garbajosa, qui avait lui-même tenté de déminer un maximum la situation. « Pour clôturer le dossier, “Momo” a enfreint les règles de vie commune, expliquait-il en septembre. Nul n’est au-dessus de ces règles. D’autres joueurs ont été sanctionnés sans que vous le sachiez. Ce n’est pas sorti car ils n’ont pas le statut de “Momo” ni son passif. Il n’y a pas d’esclandre, la page est tournée. »
Preuve aussi que personne n’a envie de l’abandonner en route. « On évoquait souvent le fait que pour s’en sortir dans la vie, il fallait gagner la confiance des gens qu’il croisait, explique Isabelle Gely, son ancienne responsable pédagogique au centre de formation de Montpellier. Ça marche entre nous : il a toujours été honnête dans ce qu’il me disait, dans ce qu’il faisait ou allait faire. Il est comme ça, ça passe ou ça casse avec ses interlocuteurs. Parfois, des gens pensent qu’il est un peu naïf, et certains joueurs ont sans doute compris que ce colosse pouvait parfois tomber dans les pièges sportifs. Pour moi, il est entier. »
Sans doute pour ça que Galthié avait été plus pédagogue que critique avec lui après son rouge face à l’Ecosse. Et qu’il était lui-même allé le défendre auprès de la commission de discipline. Haouas s’était d’ailleurs fendu dans l’Equipe d’une interview pleine de sincérité dans laquelle il revenait sur l’incident, assumant son « erreur » et avouant aussi sa crainte de ne plus jamais revoir le maillot bleu. Conscient que son passé peut encore peser.
Trop d’ailleurs, pour Isabelle Gely.
« Il sait à quel point ça me désole que l’on parle encore de cela, soupire-t-elle. Le négatif est derrière lui, ça ne sert à rien qu’on pleure dessus ou qu’on joue avec. Lui ne s’en sert pas. Peut-être qu’un jour quelqu’un arrivera à comprendre qu’il faut parler de lui uniquement pour ses compétences rugbystiques et du grand monsieur qu’il est devenu. De sa précocité sportive, de son adaptation au niveau international. Il est arrivé à ce qu’il voulait, seul, à la force de sa volonté et de son travail. Ce n’est pas inné. »
Une trajectoire qui sert d’exemple dans son quartier populaire du Petit Bard, à Montpellier, d’où il est originaire. « Je ne le cite pas parce qu’il est sorti du quartier mais pour son éthique de travail, pour avoir choisi un sport qui n’existe pas ici, estime Hamza Aarab, président du club de futsal du coin et éducateur. Il s’est donné les moyens de l’excellence. C’est quelqu’un qui a toujours voulu prouver, qui n’a jamais eu peur de la concurrence ou de la compétition. »
L’entourage en question
Mais la justice française a parfois le temps long et le timing fâcheux. Le 29 janvier, à une semaine du début du Tournoi des VI Nations, Mohamed Houas sera jugé par le tribunal correctionnel de Montpellier pour des cambriolages qui l’avaient mené à faire quelques jours de prison en 2014 et à vivre plusieurs années sous contrôle judiciaire. Son avocat, Me Gallix, n’exclut pas l’idée de demander un report après le tournoi. Mais sur le fond, il semble confiant à l’idée de faire éviter la prison à son client.
« Ce sont des faits anciens, qui remontent à plus de six ans, décrit-il. A l’époque, Mohamed avait 19 ans, il avait des mauvaises fréquentations en venant d’un quartier difficile. Depuis, les choses ont évolué très favorablement. D’abord pour le joueur professionnel puis international qu’il est devenu, ensuite pour l’homme devenu papa. Sa vie est désormais complètement différente, et les risques extrêmement limités. »
Hamza Aarab se souvient de cette époque. « Il n’a pas l’esprit délinquant. Ce n’est pas un délinquant sauvé du mauvais chemin par les sports, c’est un jeune qui s’est retrouvé dans ce genre d’histoires par effet de groupe. Des fois, tu côtoies des gens qui ont choisi un autre chemin sans même être concerné. C’est un accident de parcours. Il n’a jamais pensé à voler, il pense sport. »
Cet « entourage » avait d’ailleurs été ciblé par le président du MHR, Mohed Altrad, lors de la récente suspension d’Haouas. Un proche nuance : « Il n’est pas toujours bon, mais ce n’est pas forcément facile de quitter le quartier, où il a beaucoup d’amis. Il a changé de vie, mais il ne peut pas couper avec tous ses copains. Il faut trier, garder les bons. Peut-être qu’un changement de club lui ferait du bien… »
Ça tombe bien, plusieurs gros clubs du Top 14 sont déjà à l’affût pour tenter de signer l’un des piliers les plus dominants d’Europe. Sans que Montpellier ne lâche l’affaire pour une prolongation. Bref, voilà qu’on parle rugby, présent et futur. Isabelle Gely : « C’est tout ce qui compte. S’il pouvait retomber dans une forme d’anonymat et juste jouer au rugby, pratiquer le métier pour lequel il est doué et servir l’équipe de France, rien ne le rendrait plus heureux. La seule chose qu’il veut c’est que sa mère, sa femme et son fils soient fiers de lui. »