Municipales 2020 : Pourquoi oublier d’acheter son nom de domaine peut coûter cher à un candidat ?

BOULETTE Des personnalités politiques oublient encore en 2019 de déposer leur nom de domaine quand ils annoncent leur candidature ou lancent leur campagne et le paient lorsqu’ils se font doubler

Marie De Fournas
Même les politiques les plus chevronnés se font avoir avec les noms de domaines sur Internet.
Même les politiques les plus chevronnés se font avoir avec les noms de domaines sur Internet. — EstudioWebDoce/ Pixabay
  • A presque chaque période électorale en France, l’équipe de campagne d’un candidat oublie ou n’achète pas à temps les noms de domaines du site de campagne, alors usurpé par ses adversaires politiques ou tout simplement des trolls.
  • Un flux énorme d’électeurs potentiels qui n’arrivent pas à la bonne page, un mauvais référencement Google, une perte de crédibilité ou encore une rançon à payer… Les conséquences peuvent sérieusement ébranler des candidats, même les moins connus.

Démarche parfois sous-estimée : l’achat d’un nom de domaine peut pourtant ébranler une campagne. Mercredi dernier, le candidat à la primaire démocrate aux Etats-Unis, Joe Biden a lancé son site « Todos con Biden » («Tous avec Biden » en français) visant à séduire l’électorat hispanique. Sauf que son équipe de campagne a oublié d’acheter le nom de domaine www.todosconbiden.com. L’erreur a fait les choux gras de l’équipe de campagne de Donald Trump qui s’est empressée de l’acquérir. Aujourd’hui le message « Oups, Joe a oublié les latinos » apparaît en tête de la page, qui redirige les internautes vers le site de campagne du président, dédiée à l’électorat hispanique. Une erreur de taille qui n’arrive pas qu’outre Atlantique.

A presque chaque période électorale en France, l’équipe de campagne d’un candidat omet ce petit détail. Ainsi, en 2011, François Hollande n’achète pas à temps le nom de domaine associé à sa campagne, si bien que pendant plusieurs jours, l’adresse www.hollande2012.fr redirigeait vers le site Internet de l’UMP. « Les conséquences sont énormes, analyse Charlotte Euzen, professeure en communication institutionnelle à Sciences po Lille. C’est un flux énorme d’électeurs potentiels qui n’arrivent pas à la bonne page, n’accèdent pas au programme du candidat, mais à celui d’un autre. C’est une bataille d’accès à l’information. »

Encore plus catastrophique si le candidat a moins de notoriété

L’experte en communication digitale précise que la situation peut devenir encore plus catastrophique si le candidat a moins de notoriété, comme c’est souvent le cas aux municipales dont les prochaines élections auront lieu mi-mars 2020. « Si un candidat peu connu est obligé de prendre un nom de domaine tarabiscoté parce que tous les autres à son nom ou avec son slogan ont été achetés, cela peut réellement le fragiliser. Il faut avoir un nom de domaine reconnaissable par tous pour qu’il remonte dans Google. Et dans le moteur de recherche, le référencement en ligne est lié au caractère unique du nom de domaine. Avoir deux sites aux noms très proches sur une même page c’est une déperdition de flux pour le site officiel, même s’il arrive en première ligne. »

Les partis, lorsqu’ils s’organisent bien, achètent donc en amont non pas un nom, mais tous les dérivés. En 2011, lors de la primaire socialiste, l’équipe de Martine Aubry et celle de François Hollande avaient respectivement acheté 57 et 54 noms de domaine associés à leurs candidats, mais renvoyant pour la plupart vers une même page officielle.

« Vous devez vous battre pour récupérer votre propre nom »

Le nombre pourrait effrayer des candidats aux municipales avec un petit budget, mais il faut savoir que selon la terminaison choisie (. fr,. org,. com etc.), déposer un nom de domaine coûte entre 15 et 20 euros. Un investissement qu’il vaut mieux faire si l’on ne veut pas se retrouver à payer une rançon. Car lorsque les usurpateurs sont de simples « cybersquatteurs », comme on dit dans le jargon, des sommes sont demandées aux candidats. En 2013, les équipes de campagne de François Fillon sont obligées de racheter 1.000 euros www.fillon2017.fr à un jeune homme 20 ans qui l’avait acquis un an plus tôt pour moins de 20 euros. En 2004, l’un d’eux demandait 10.000 euros à François Bayrou en échange du nom francois-bayrou.fr.

« C’est délirant, mais sur Internet, vous devez vous battre pour récupérer votre propre nom », commente Charlotte Euzen. Et parfois c’est en vain. Ainsi en 2017, Nicolas Sarkozy est aussi victime de cybersquatting. Les noms de domaine Sarkozy2017.com et Sarkozy2017.fr renvoient vers les affaires judiciaires ou des photos peu flatteuses du candidat. Si aujourd’hui les sites ne renvoient toujours pas vers le site de campagne du candidat, mais vers une page vide. Là encore un problème selon la professeur à Sciences po qui estime important de continuer de financer chaque année les anciens noms de domaine. « Ces pages d’archive font l’ensemble de l’histoire du candidat, retrace ses engagements antérieurs. Et au risque qu’il y ait confusion avec le nouveau site de campagne, elles peuvent aussi permettre de rediriger les internautes vers celui-ci. »

« En 2019, c’est quelque chose que l’on pardonne difficilement »

Charlotte Euzen pointe du doigt le manque de coordination dans la stratégie digitale globale chez certaines équipes de campagne. « Elles vont souvent bien gérer la partie réseaux sociaux mais pas le reste. C’est comme ça que l’on se retrouve avec des candidats qui n’ont pas de cohérence entre le nom de leur site de campagne, le Twitter et la chaîne YouTube, car les noms ont déjà été pris. » Si un nom de domaine ne fait pas gagner, se le faire voler reste une démonstration d’amateurisme qui fragilise une candidature. « En 2019, c’est quelque chose que l’on pardonne difficilement », conclut l’experte.