Comment le prêt-à-porter français doit riposter face à l’ultra fast fashion

COCORICO Deux connaisseurs du milieu, interrogés par « 20 Minutes », expliquent comment l’industrie française du textile peut remonter la pente face aux géants de l’ultra fast fashion

Lisa Sfartman
L'industrie du textile confrontée aux géants de l'ultra fast fashion.
L'industrie du textile confrontée aux géants de l'ultra fast fashion. — C. Allain
  • L’ultra fast fashion, et notamment le géant chinois Shein, propose des milliers de nouveaux articles chaque jour, à très bas prix.
  • Le phénomène, aussi polluant que populaire, a bouleversé les habitudes de consommation.
  • Les enseignes françaises de prêt-à-porter doivent se réinventer pour réussir à riposter.

En 2008, le géant chinois Shein débarque, dans un contexte d’évolution technologique et de mondialisation. Avec des nouveaux produits conçus en trois jours et 8000 nouvelles références par jour sur le site, Shein est 30 fois plus rapide et efficace que Zara. Aujourd’hui, le leader de l’ultra fast fashion offre 900 fois plus de produits qu’une enseigne française et est devenu une véritable machine de guerre.

Les marques de prêt-à-porter françaises tentent depuis de suivre la cadence et certaines sont même dans la tourmente, comme San Marina, Naf Naf ou Pimkie. « En France, c’est impossible de copier le modèle de Shein, parce qu’on ne peut pas faire fabriquer les pièces dans les mêmes conditions abominables notamment » explique Yann Rivoallan, président de la Fédération du Prêt à Porter Féminin. Mais alors, comment les marques françaises peuvent-elles contre-attaquer face à l’ultra fast-fashion ?

L’image et l’humain, les vraies valeurs

D’après Yann Rivoallan, le prêt-à-porter français doit se focaliser sur ce que Shein ne peut pas avoir : une image et des valeurs, une singularité et la qualité du produit. « Les marques comme Bash, Petit Bateau, Lacoste ou Fuzalp représentent la créativité à la française, elles ont toutes une histoire, et c’est sur cette image qu’il faut investir » indique-t-il. Le parfait exemple français est Sézane, créé en 2013, la marque est devenue un symbole de la mode française grâce à une identité forte. « La vente en appartement, le contact avec les clients, les besoins en matière de qualité qui ont été entendus, la qualité d’image très forte, les nouvelles pièces mises en ligne les dimanches… Tout ça a permis à Sézane de créer une forme de rareté et une image solide, et d’aujourd’hui avoir une clientèle plus que fidèle » explique Yann Rivoallan.

La proximité, justement est un autre point à ne pas négliger. La vente exclusivement online incarne une certaine inhumanité, qu’il faut pointer du doigt. Pour Frank Rosenthal expert en marketing du commerce, « il faut miser sur le commerce physique, sur l’essayage en boutiques, sur les conseils que l’humain peut apporter, le rendu d’une matière, forme ou couleur, que le numérique ne pourra jamais apporter ».

Communication et transparence

Pour réussir à fidéliser ou élargir sa clientèle, l’industrie française doit aussi argumenter sur l’aspect développement durable et communiquer sur les efforts écologiques réalisés. Si les marques ne peuvent pas produire autant et aussi vite que celles de l’ultra fast fashion, elles peuvent s’engager sur des produits de qualité, avec des matières plus nobles et durables, pour lutter contre la dégradation de la mode. La transparence, des lieux et conditions de fabrication notamment, doit être mise en lumière.

Côté communication, les enseignes tricolores doivent, selon nos experts, aller sur le terrain de l’influence et des réseaux sociaux, comme Camaïeu qui vient d’annoncer son grand retour par le biais de Lena Situations, suivie par plus de 4,4 millions de personnes. « Des actions avec les influenceurs peuvent être très positives, car les créateurs de contenus, par leur vision, peuvent transformer la société » selon Yann Rivoallan. Pour Frank Rosenthal, il faut cependant veiller à bien les sélectionner, « ne pas seulement regarder leur audience, mais plutôt sur leur image et leurs valeurs, qu’ils s’y connaissent en matière de mode notamment, qu’ils aient une conscience éthique, pour incarner un rôle d’ambassadeur qui est très important ».

La digitalisation et l’agilité, les outils indispensables

Zara et Shein prouvent leur efficacité grâce à la digitalisation et leur agilité. L’intelligence artificielle est par exemple fortement utilisée pour pouvoir innover en permanence. Côté français, la marque de lingerie Undiz a mis en avant une intelligence artificielle pour représenter les mannequins d’une publicité. Mais la technologie peut aller encore plus loin et servir de véritable « outil d’imagination pour s’inspirer sans copier, et d’organisation, pour l’automatisation de tâches comme la gestion des mails ou agenda, permettant un gain de temps et une flexibilité », selon Yann Rivoallan.

Réguler la mode jetable

La surconsommation d’une mode jetable est aussi présente que la conscience écologique chez les jeunes générations, c’est là tout le paradoxe de notre société. « Avoir la possibilité de consommer autant et pour des prix dérisoires, c’est naturel chez eux, ils sont nés dans cette ère, c’est leur plaisir générationnel », estime le président de la Fédération française du Prêt à porter.

Selon ce dernier, il faut une régulation de l’ultra fast fashion et des influenceurs de TikTok qui en font la promotion. « Shein qui invite des influenceuses à faire des haul (une vidéo qui vante une séance de shopping), ça ne doit plus exister, estime Yann Rivoallan. C’est aussi problématique qu’un utilisateur qui ferait la promotion d’un comportement nocif pour sa santé. Ici ce n’est pas dangereux pour la santé du consommateur, mais ça l’est pour l’environnement par exemple ». Selon lui, la consommation émanant d’une certaine liberté, il faut apporter une réflexion sur la société « en redéfinissant le marketing et en accompagnant le secteur dans une démarche éthique ».