Incidents au Stade de France : « J’attends de M. Darmanin des excuses pleines et entières », annonce le député travailliste Ian Byrne

INTERVIEW Après avoir pris la parole devant le Parlement britannique pour dénoncer les mensonges des autorités françaises, le député travailliste Ian Byrne a accordé une interview à 20 Minutes avant les nouvelles auditions devant le Sénat, jeudi

Propos recueillis par Aymeric Le Gall
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Le député travailliste (à droite sur la photo), était présent à Hillsborough et au Stade de France, lors du chaos en finale de la Ligue des champions 2022.
Le député travailliste (à droite sur la photo), était présent à Hillsborough et au Stade de France, lors du chaos en finale de la Ligue des champions 2022. — Paul Greenwood/BPI/REX/Shutterstock/SIPA
  • Après une première salve d'auditions devant la commission des lois et celle de la culture du Sénat, celles-ci reprennent jeudi avec notamment la passage du maire de Liverpool.
  • Présent au Stade de France le soir de la finale de C1, le député travailliste Ian Byrne a dénoncé les explications des autorités françaises et réclame justice.
  • Pour 20 Minutes, il a accepté de revenir sur cette soirée cauchemardesque et sur ce qu'il attend du gouvernement français après les « mensonges » de Gérald Darmanin.

Alors que s’ouvre, jeudi, devant la commission des lois et celle de la culture du Sénat, les auditions du préfet de police de Paris Didier Lallement, d’un contingent de la Fédération française de football mais aussi du maire de Liverpool, dont la prise de parole est très attendue, le scandale après les incidents du Stade de France a traversé la Manche pour enflammer tout le Royaume-Uni.

Dimanche, devant le Parlement britannique, Ian Byrne, le député travailliste de West Derby, à Liverpool, circonscription qui jouxte Anfield, a tancé la gestion du dossier par les autorités françaises et dénoncé «les mensonges » du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Avant d’assister depuis sa circonscription à l’audition de Steve Rotheram devant le Sénat français, celui-ci a accepté de répondre aux questions de 20 Minutes.

Comment avez-vous réagi en entendant les propos du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, mercredi dernier, lors de son audition devant la commission des lois et celle de la culture du Sénat ?

J’ai été extrêmement déçu de voir que M. Darmanin est resté sur la même ligne de défense, qu’il a répété peu ou prou les mêmes mensonges alors même qu’il n’avait pas la moindre preuve de ce qu’il avançait. Le plus triste là-dedans, à mon sens, c’est d’oser masquer ses propres erreurs en mettant ça sur le dos des supporteurs de Liverpool qui, par leur comportement, ont évité que le pire ne se produise.

Qu’attendez-vous du ministre de l’Intérieur ?

Des excuses pleines et entières pour ses calomnies et ses mensonges, malgré les preuves qui ont été apportées depuis par le travail des journalistes et les nombreux témoignages de supporteurs présents sur place. Je pense que ça serait un bon début. Ensuite, nous souhaitons la mise en place d’une enquête indépendante, vraiment indépendante, sur la manière dont les choses se sont passées, sur la gestion de la foule par les autorités publiques, les charges de la police, l’usage de gaz lacrymogènes contre des enfants, des familles, et globalement tout ce qui s’est passé près des portes d’accès du Stade de France, les gens écrasés contre les barrières, etc.

Et qu’attendez-vous des autorités et du gouvernement français plus largement ?

Il faut qu’on sache la vérité sur les responsabilités des différentes parties, qu’on comprenne comment on en est arrivé là, afin que cela ne se reproduise jamais, jamais, jamais plus. Et s’il ne fait pas ça, c’est qu’il ne fait pas son boulot correctement, non ? Ce qui s’est passé ce soir-là ne peut pas être, ne doit pas être politiquement instrumentalisé par le ministre de l’Intérieur et la ministre des Sports. Et je pense que le président de la République doit s’impliquer personnellement dans ce dossier. Je ne vous cache pas que j’ai peur rien qu’à l’idée que les Jeux olympiques puissent être organisés de cette manière. Quand vous organisez de tels événements internationaux, vous voulez montrer le meilleur de votre pays. Mais pour cela il faut d’abord savoir admettre ses erreurs, se regarder dans une glace, mener des investigations et en tirer des leçons.


Vous étiez sur place, comme vous l’étiez déjà en 1989 lors du drame d’Hillsborough. Qu’avez-vous ressenti tout au long de la soirée ?

Je n’avais jamais rien vu de tel de ma vie, je n’avais jamais vu des enfants se faire gazer comme ça, je n’avais jamais vu la police lancer des lacrymogène au beau milieu de foules en panique. Nous avons été traités comme des animaux… Ce n’est pas comme ça qu’on peut prétendre maintenir l’ordre et la sécurité autour d’un stade de football. Là aussi, il faut que les méthodes de la police française changent radicalement. Les responsables doivent se poser et faire face à leurs propres erreurs pour apprendre de tout ça, car il n’est pas concevable de revoir cela un jour aux abords d’un stade de football, qui plus est, avec une foule si nombreuse et qui ne montrait aucune animosité. Nous avions déjà vu de telles images de la police française lors de manifestations et je n’aurais jamais pensé voir cela de mes propres yeux à l’occasion d’un match de football…

Vous avez expliqué devant le parlement britannique que cette soirée aurait pu être plus dramatique qu’à Hillsborough, face à la police, si cela n’avait pas été des supporteurs de Liverpool.

Oui, je l’ai dit et je le répète, si ça n’avait pas été des fans des Reds, s’ils n’avaient pas fait montre d’un tel calme, de par leur expérience et leur mémoire collective après Hillsborough, je suis persuadé que les choses auraient pu virer au drame, qu’il y aurait eu plus de morts [97 à Hillsborough]. Ils ont tout fait pour ne pas céder à la panique au milieu d’un tel chaos, des souricières, des nasses créées par la police, face aux comportements suspects des stadiers, à l’absence totale d’informations, des files d’attente totalement folles, sans parler des gaz lacrymogènes, des sprays au poivre. Tout ce qui a pu mal tourner a mal tourné… Ça aurait pu devenir la plus grande catastrophe sportive jamais vue en Europe et c’est uniquement grâce aux fans de Liverpool que cela a pu être évité. Vous comprenez donc la tristesse, le dégoût, la colère qu’ils ont pu ressentir en entendant les politiciens français soutenir que c’étaient eux les principaux responsables de ce chaos, tout ça pour couvrir leurs propres incompétences en matière de gestion des foules.

Vous qui avez pu parler avec des supporteurs depuis leur retour à Liverpool, pouvez-vous nous dire dans quel état mental sont-ils aujourd’hui ?

Beaucoup de gens sont encore traumatisés et le seront probablement durant des années. Beaucoup d’entre eux nous disent qu’ils n’iront plus jamais voir un match de football à l’extérieur. A titre d’exemple, mon père était avec moi à Paris, il a 70 ans, il a été pris dans un mouvement de foule lors d’un des nombreux goulots d’étranglement créés par la police, il a été bousculé, écrasé. Aujourd’hui, il souffre de troubles du stress post-traumatiques graves, comme tant d’autres survivants, et il m’a lui-même affirmé qu’il n’irait plus jamais voir de matchs de football à l’extérieur après cela.

Le maire de Liverpool, Steve Rotheram, va s’exprimer devant le Sénat jeudi. Qu’attendez-vous de ce témoignage ?

Il va livrer son ressenti, son vécu sur place, il a lui aussi vécu une expérience horrible et il ne se privera pas pour le dire aux sénateurs. Je pense qu’il ne se privera pas non plus pour mettre en évidence les mensonges de vos ministres, du préfet et de toutes celles et ceux qui ont menti pour se couvrir. Ce sera le parfait porte-parole des fans de Liverpool car lui aussi était présent à Hillsborough et il a une grande expérience de tout ce qui touche au club de Liverpool et à ses supporteurs.


Lors d’une récente prise de parole publique, Steve Rotheram a envoyé un message fort aux autorités françaises en leur disant : « Vous avez choisi les mauvais supporteurs, la mauvaise ville, le mauvais club [à qui vous en prendre] » .

Oui, et il a parfaitement raison. C’est rien de dire que les Liverpuldiens ont un sacré vécu dans ce domaine. Ils se sont battus pendant des décennies pour dénoncer les mensonges de la police et des autorités britanniques dans le drame d’Hillsborough et, malgré les mensonges et les tentatives de déstabilisation, ils ont fini par obtenir justice. Liverpool et ses supporteurs ont probablement plus d’expérience dans ce domaine que tout autre club au monde et nous ne nous arrêterons pas jusqu’à ce que toute la vérité soit faite, que la justice soit rendue et que les excuses soient données.

Avez-vous un message à faire passer à nos ministres en charge du dossier ?

La balle est dans leur camp et nous allons voir s’ils décident de persister dans le mensonge et le déshonneur. Mon message à M. Darmanin et à Mme Oudéa-Castera : faites le boulot pour lequel vous êtes payés, pour lequel vos citoyens vous ont élus, faites tout ce qu’il faut pour que ce qui s’est passé ce soir-là ne se reproduise plus jamais.