« C’est du jamais vu »… Ce que la possible fusion Jumbo-Visma/Soudal-Quick Step raconte d’un cyclisme qui change

VELO Avec le retrait à venir de Jumbo, une nouvelle énorme équipe pourrait voir le jour et révolutionner son sport

Nicolas Stival
Les Danois Michael Morkov (Soudal - Quick Step) et Jonas Vingegaard (Jumbo-Visma) lors de la dernière étape du Tour de France entre Saint-Quentin-en-Yvelines et les Champs-Elysées, le 23 juillet 2023.
Les Danois Michael Morkov (Soudal - Quick Step) et Jonas Vingegaard (Jumbo-Visma) lors de la dernière étape du Tour de France entre Saint-Quentin-en-Yvelines et les Champs-Elysées, le 23 juillet 2023. — Thomas Samson / AFP
  • Depuis plus d’une semaine et les premiers bruits autour d’une fusion entre les équipes Jumbo-Visma et Soudal - Quick Step, l’information se précise peu à peu, même si de nombreux points restent à éclaircir.
  • Si l’opération se confirme, elle engendrera une révolution au sein du peloton.
  • L’incertitude demeure autour de l’avenir de nombreux coureurs, dont Julian Alaphilippe.

Vous en avez marre de la domination de la Jumbo-Visma sur le cyclisme mondial ? C’est bientôt terminé, en tout cas sous sa forme actuelle. L’équipe néerlandaise a signé un exploit inédit cette année, en remportant les trois grands Tours, qui plus est grâce à trois coureurs différents : Primoz Roglic sur le Giro, Jonas Vingegaard sur le Tour de France et Sepp Kuss sur la Vuelta, dont Vingegaard et Roglic ont tranquillement complété le podium.

Mais Jumbo, chaîne néerlandaise de supermarchés, ne prolongera pas son contrat de partenariat qui expire en 2024. Confronté à ce désengagement, Richard Plugge - le manager de la puissante écurie - a un plan dévoilé voici une semaine par le site néerlandais Wieleflits : fusionner avec la Soudal-Quick Step.

Richard Plugge et Jonas Vingegaard sur le Tour de France 2023.
Richard Plugge et Jonas Vingegaard sur le Tour de France 2023. - Daniel Cole / AP / Sipa

Ou plutôt, absorber l’entité belge où évoluent notamment Remco Evenepoel et Julian Alaphilippe, sous la houlette chancelante de Patrick Lefevere, ancien roi des classiques qui a désormais hâte de se retirer, alors qu’il fêtera ses 69 ans en janvier prochain. Le quotidien belge Le Soir a même annoncé que le Wolfpack pourrait être dissous, et tous ses membres être invités à trouver une autre meute.

Une révolution dans le peloton

« C’est du jamais vu dans le cyclisme, c’est comme si Red Bull s’associait à Ferrari en Formule 1. » L’image est suggérée par Matthieu Llorca, maître de conférences en sciences économiques à l’université de Bourgogne, à Dijon. Voir des marques importantes quitter le monde du vélo n’a rien de nouveau. Si l’on ne remonte qu’au début du siècle, on peut se souvenir des Once, Banesto, Mapei, Saxo, Rabobank (ancêtre de la Jumbo-Visma) ou encore de Sky, pour des raisons de stratégie ou sur fond d’histoire de dopage.

Mais l’événement en cours, dont les contours exacts restent à définir, s’inscrit dans un nouveau contexte. « Quand on compare avec Rabobank ou à Mapei, la durée du sponsoring de Jumbo aura été beaucoup plus courte », relève le spécialiste de l’économie du sport, en particulier du cyclisme. L’entreprise, arrivée en 2015 comme co-sponsor avec Lotto, la loterie nationale néerlandaise, est devenue en 2019 la partenaire principale de la formation de Plugge, associée à la société d’informatique norvégienne Visma. Elle ne renouvellera donc pas son contrat de cinq ans.

« En quatre ans, l’équipe a tout remporté, mais la conjoncture a changé par rapport à la décennie précédente, avec des taux d’intérêt plus élevés et l’inflation, relève Matthieu Llorca. Il faut de plus en plus de moyens pour gagner. » En 2009, Rabobank annonçait fièrement un budget de 10 millions d’euros. Lors du dernier Tour de France, le budget moyen d’une équipe s’élevait à 18,5 millions d’euros, mais celui des cadors chiffrait bien davantage.

Des cartes redistribuées

Ces dernières années ont été marquées – et pas seulement dans le cyclisme – par l’émergence d’« équipes-Etats » richement financées : UAE Team Emirates (Emirats arabes unis), Bahrain-Victorious, Jayco AlUla (Arabie saoudite) et Israël – Premier Tech ont rejoint Astana (Kazakhstan).

Selon Sportune, UAE, avec le télégénique surdoué Tadej Pogacar en tête de gondole, affichait lors du dernier Tour un budget de 35 millions d’euros, loin de la richissime entreprise Ineos (50 millions), mais devant Jumbo-Visma (27 millions) et Soudal – Quick Step (20). Dans un sport où les courses sont (pour l’instant) gratuites et où les droits télé vont aux organisateurs, seul le sponsoring fait vivre les équipes, qui cherchent toutes à participer au Tour de France, l’alpha et l’oméga en matière de visibilité médiatique et des retombées qui vont avec.


A ce sujet, le docu-série de Netflix Au cœur du peloton a redonné un coup de jeune à la Grande Boucle et à tout son barnum, ce qui a manifestement inspiré Amazon, diffuseur d’un doc consacré à la Jumbo-Visma sur sa plateforme Prime Video, et dont la rumeur sur l’implication dans le futur projet de Richard Plugge s’est répandue ces derniers jours.

« L’actualité peut donner des idées à certaines marques, qui peuvent faire comme Jumbo et venir pour une courte durée », juge Matthieu Llorca. Le slogan des fans du Stade Toulousain - « On vient, on gagne et on s’en va » - appliqué au vélo, en fait. « On pourrait aussi voir davantage de fusions, comme celle d’Arkéa-Samsic et B & B Hotels », ajoute l’économiste. La nouvelle équipe Arkéa-B & B Hotels, à naître début 2024, va d’ailleurs accueillir le Nordiste Florian Sénéchal, qui quitte la Quick-Step avant que celle-ci ne se fasse croquer par Richard Plugge.

Et les coureurs dans tout ça ?

Forcément, il était tentant lorsque les premiers bruits de « fusion-acquisition » ont surgi d’imaginer une formation qui associerait Jonas Vingegaard, Wout van Aert et Primoz Roglic au prodige Remco Evenepoel. Cela n’arrivera pas, et pas seulement parce qu’un tel assemblage coûterait un bras (et quelques doigts, aussi). Roglic a annoncé samedi, avant de remporter le Tour d’Emilie en Italie, qu’il allait quitter Jumbo-Visma, où Van Aert, Christophe Laporte et Vingegaard ont récemment prolongé.

Quant à Evenepoel, fer de lance de Soudal – Quick Step, le champion du monde 2022 entretient des relations très tendues avec la Jumbo, et L’Equipe annonçait dimanche qu’un très joli contrat l’attendait chez Ineos. L’opulente équipe britannique cherche une vedette capable de gagner un grand Tour, alors qu’Egan Bernal n’a jamais retrouvé son niveau d’avant son très grave accident de janvier 2022, et que Geraint Thomas porte comme il le peut ses 37 ans.

Julian Alaphilippe et Patrick Lefevere le 22 juillet 2019 à Nîmes, lors d'une journée de repos du Tour de France.
Julian Alaphilippe et Patrick Lefevere le 22 juillet 2019 à Nîmes, lors d'une journée de repos du Tour de France. - Gérard Julien / AFP

Et notre Julian Alaphilippe national alors, si souvent laminé par Patrick Lefevere depuis qu’il ne gagne plus ? Total Energies pourrait récupérer le double lauréat de la tunique arc-en-ciel (2020 et 2021), qui devra toutefois revoir fortement à la baisse son salaire actuel (2,3 millions d’euros par an, d’après Sportune). On va donc causer transferts dans le cyclisme jusqu’à bien plus tard que d’habitude cette année.

Mais il ne faudra pas oublier l’inévitable casse sociale que la possible future méga opération va générer. « Des coureurs vont rester sur le carreau, mais aussi d’autres membres d’équipes, comme des mécanos ou des médecins », rappelle Matthieu Llorca. On l’écrit ici, car ce n’est sûrement pas de ces « petites mains » dont on reparlera dans les jours à venir.