Mondiaux sur piste : « Je veux sortir de ce cyclisme où tout est calculé », confie Benjamin Thomas

INTERVIEW DU LUNDI Le coureur Cofidis vise plusieurs médailles dans les Mondiaux sur piste qui commencent mercredi à Saint-Quentin-en-Yvelines

Propos recueillis par Nicolas Stival
Quatre fois champion du monde sur piste, Benjamin Thomas avait été sacré dans la course aux points, le 22 octobre 2021 lors des Mondiaux de Roubaix.
Quatre fois champion du monde sur piste, Benjamin Thomas avait été sacré dans la course aux points, le 22 octobre 2021 lors des Mondiaux de Roubaix. — Alex Whitehead / SWpix.com / Shutterstock / Sipa
  • Chaque lundi, 20 Minutes donne la parole à un acteur ou une actrice du sport qui fait l’actu. Cette semaine, place au cycliste Benjamin Thomas.
  • Le coureur de Cofidis sera l’une des têtes d’affiche des championnats du monde sur piste organisés de mercredi à dimanche à Saint-Quentin-en-Yvelines. Le même vélodrome accueillera les Jeux olympiques en 2024.
  • Egalement performant sur route, le quadruple champion du monde explique son affection pour une discipline moins lucrative, mais au moins aussi spectaculaire.

Quatre titres mondiaux (omnium deux fois, américaine et course aux points), huit sacres européens et une médaille de bronze olympique. A 27 ans, Benjamin Thomas a déjà copieusement garni son armoire à trophées grâce au cyclisme sur piste. Le Tarnais sera l’une des têtes d’affiche d’une équipe de France conquérante à la maison pour les championnats du monde de Saint-Quentin-en-Yvelines, de mercredi à dimanche.

Le coureur de Cofidis affiche un profil rare, avec des performances également remarquées sur route. Pour s’en tenir à 2022, il a remporté l’Etoile de Bessèges et les Boucles de la Mayenne, et « presque gagné », à 400 mètres près, la 15e étape du Tour de France sur ses terres occitanes, entre Rodez et Carcassonne. Toutefois, Thomas garde une tendresse particulière pour l’atmosphère confinée de la piste, où il compte bien briller à domicile, cette semaine puis dans moins de deux ans, lors des Jeux olympiques.


Sur quelles courses allez-vous vous aligner ?

La poursuite par équipes, l’omnium et l’américaine, soit trois disciplines olympiques. Le but sera d’aller chercher le meilleur résultat possible. L’an dernier (aux Mondiaux de Roubaix), nous avions terminé deuxièmes de la poursuite par équipes (derrière d’intouchables Italiens), nous allons essayer de reproduire cette performance. L’omnium et l’américaine, ce sont des courses en peloton donc tout est jouable. Il y a un peu plus de hasard que sur la poursuite où c’est vraiment le chrono qui parle. Il faut avoir un peu plus de réussite mais le podium est envisageable et ce sera mon objectif.



Quelle est votre épreuve préférée ?

Je prends beaucoup de plaisir à courir l’américaine (disputée en relais avec Donavan Grondin). C’est vraiment un bel effort et le fait que ce soit redevenu une discipline olympique lui donne une belle dimension. C’est l’épreuve reine, spectaculaire. Il n’y a pas seulement l’aspect physique mais aussi les côtés technique et stratégique, encore plus importants que sur les autres épreuves.

Vous allez courir dans le vélodrome où l’équipe de France s’entraîne. Peut-on parler d'un gros avantage ?

C’est forcément un avantage, en plus d’avoir le public avec soi. J’avais eu la chance d’y faire les Mondiaux en 2015 quand j’étais encore espoir, dans la course aux points. C’est un super souvenir. On s’entraîne tout le temps à Saint-Quentin, les championnats d’Europe et des Coupes du monde y ont été organisés. On connaît la piste sur le bout des doigts.


Benjamin Thomas a remporté deux médailles d'or lors des championnats d'Europe de Munich en août dernier: la poursuite par équipes et, ici, la course aux points.
Benjamin Thomas a remporté deux médailles d'or lors des championnats d'Europe de Munich en août dernier: la poursuite par équipes et, ici, la course aux points. - John MacDougall / AFP

Ce vélodrome accueillera aussi les Jeux olympiques 2024. Cet événement est-il déjà dans vos têtes ?

Ces Mondiaux servent de répétition générale. La pression va commencer à monter, petit à petit. Les Jeux, ça reste quelque chose de spécial, ce sera un cran en plus. Oui, c’est déjà dans un coin de la tête. La qualification olympique commence en début d’année prochaine. Mentalement, ces championnats du monde seront importants pour se rassurer sur les différentes épreuves, la poursuite notamment, en faisant de bons chronos, et pour se mettre en confiance avant le début des qualifs.

Il existe une grosse attente autour de l’équipe de France, avec une jeune génération et des résultats en nets progrès…

On est sur une bonne dynamique, comme on l’a vu lors des championnats d’Europe. C’est dans la continuité de ce qu’on a fait à Tokyo (deux médailles de bronze en vitesse par équipes puis sur l’américaine avec Benjamin Thomas et Donavan Grondin). Les filles auraient également mérité une médaille à l’américaine, comme Clara Copponi sur l’omnium si elle n’était pas tombée. Nous continuons à progresser.

Peut-on dire que vous êtes un leader de cette équipe ?

L’équipe est jeune et je suis presque l’un des anciens. Mais une grande partie du groupe a déjà fait les JO à Tokyo, aussi bien chez les garçons que chez les filles, et a pris pas mal d’expérience. Chez les filles, il y a Clara qui a déjà ce leadership. J’essaie d’amener mon vécu, mais chacun apporte sa pierre à l’édifice.



On va attendre beaucoup des pistards français aux JO de Paris. Comment vous préparez-vous à gérer cette pression ?

J’ai déjà vécu cette expérience aux Jeux de Tokyo. On m’avait presque mis la médaille autour du cou avant l’omnium et ça ne m’avait pas du tout réussi. J’avais terminé à la 4e place, la pire.

Un titre olympique serait-il une consécration malgré votre palmarès déjà très fourni ?

Oui, ça bouclerait la boucle. Mais il faut aller le chercher. On peut gagner les courses qu’on veut avant, mais pour avoir une médaille aux Jeux, il faut être là le jour J. Je crois beaucoup au destin. Ça arrivera si ça doit arriver. Sinon, ça n’enlèvera pas tout ce que j’ai fait.


Avec Donavan Grondin, Benjamin Thomas a obtenu la médaille de bronze de l'américaine aux Jeux olympiques de Tokyo, le 7 août 2021.
Avec Donavan Grondin, Benjamin Thomas a obtenu la médaille de bronze de l'américaine aux Jeux olympiques de Tokyo, le 7 août 2021. - Odd Andersen / AFP

Vous êtes double champion de France du contre-la-montre, en 2019 et 2021. Est-il imaginable de vous voir sur route, pour le chrono, en 2024 ?

C’est un peu tôt pour décider. J’ai besoin de retravailler cette discipline que j’ai délaissée cette saison. On verra. La priorité reste la piste.

Même si on peut citer Wiggins, Cavendish ou O’Grady, cette polyvalence piste-route est rare. Comment jonglez-vous entre les disciplines ?

La polyvalence vient du fait que ce sont des coureurs qui ont la passion, l’amour de la piste. Cela fait plus de 10 ans que je fais les deux. On n’abandonne pas la piste car on aime ça, c’est vraiment dans nos gènes. Chaque fois qu’on y revient, c’est un plaisir. Il ne faut pas le cacher : on est payé par des équipes sur route, et sur la piste on vient quasiment courir bénévolement. L’an dernier, j’ai renoncé à un Tour de France, que j’aurais pu disputer, pour faire les Jeux. Encore une fois, ce sont des choix que l’on fait par passion.

Comment définiriez-vous ce plaisir de la piste ?

On retrouve un petit monde, avec une belle ambiance même entre équipes nationales. Le fait de courir dans un endroit fermé, c’est comme un spectacle, alors que sur route les gens ne nous voient passer que quelques secondes. Il y a beaucoup plus de communication avec le public. Dans le Tour de France, l’ambiance est incroyable mais on voit les gens deux secondes et au virage suivant, ils ont disparu. Et puis, en équipe de France, nous sommes tous des amis.


Sur route, Benjamin Thomas est un spécialiste du contre-la-montre, comme ici entre Lacapelle-Marival et Rocamadour, lors de l'avant-dernière étape du Tour de France, le 23 juillet 2022.
Sur route, Benjamin Thomas est un spécialiste du contre-la-montre, comme ici entre Lacapelle-Marival et Rocamadour, lors de l'avant-dernière étape du Tour de France, le 23 juillet 2022. - Shutterstock / Sipa


En quoi la piste et la route peuvent-elles être complémentaires ?

La piste, ça apprend à rouler vite. Mes qualités en contre-la-montre, je les ai travaillées sur la piste. La vélocité, les sprints, les efforts intenses, etc. La route apporte de la résistance et de l’endurance, quand des épreuves s’enchaînent. Dans l’omnium par exemple, cela permet d’être au niveau sur les quatre épreuves. Sur une américaine d’une heure, ça permet d’être aussi performant dans les 10 derniers kilomètres qu’au début de la course.

Mais la piste va nous donner cette agilité, cette vitesse de jambes qui peut servir sur route pour une arrivée au sprint ou des finaux à l’image de celui de Carcassonne dans le Tour de France. Rouler très vite pendant une heure à plus de 50 km/h de moyenne, et tenir tête à un peloton, c’est quelque chose que seule la piste peut nous apporter.

Toutefois, il est plus rentable d’être routard…

Oui c’est sûr. Mais j’ai la chance et le privilège d’avoir une équipe, Cofidis, qui me libère pour faire de la piste. J’essaie de donner le meilleur de moi-même sur la route, j’ai participé à pas mal de compétitions. Mon équipe bénéficie quand même d’un retour sur investissement et ça lui donne une belle image de formation pluridisciplinaire et complète avec des coureurs qui font de la piste, une équipe féminine, une équipe handisport…

Quels sont vos objectifs pour les années à venir ?

Retourner sur le Tour de France l’an prochain, car j’en garde un super souvenir. Beaucoup de gens me parlent encore de l’étape de Carcassonne, de cette échappée avec ma famille et mes amis au bord de la route. Et il y a bien sûr Paris 2024 avec les qualifications olympiques.

Je veux confirmer ma bonne saison et continuer à progresser. Je suis un coureur qui court à l’instinct. J’aime bien partir à l’avant, sortir des sentiers battus. C’est ma philosophie. Je veux sortir un peu de ce cyclisme où tout est calculé et où l’on fait le minimum d’efforts.