Ultra-cyclisme : Comment Arnaud Manzanini a-t-il pu parcourir 1.500 km sur neige pour atteindre le Cap Nord ?
HORS-TERRAIN Le cycliste ultra-distance lyonnais de 48 ans a bravé les -30 °C de Laponie pour boucler le mois dernier son impensable projet North Calling
- Chaque jeudi, dans sa rubrique « hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
- Cette semaine, nous nous consacrons au cycliste ultra-distance Arnaud Manzanini, qui est parvenu à rejoindre le 16 janvier le Cap Nord (Norvège), après 1.500 km à vélo parcourus en 13 jours.
- Perturbé par le Covid-19, le projet North Calling de l’athlète lyonnais de 48 ans est vertigineux, d’autant que celui-ci a affronté le mois dernier une température moyenne de -30 °C.
Arnaud Manzanini est du genre à réussir un exploit sportif qu’aucun autre athlète sur cette planète n’avait jusque-là envisagé tenter. Jugez plutôt : le 16 janvier, le cycliste ultra-distance a bouclé les 1.500 km (9.000 m de dénivelé positif) de son projet North Calling, après 13 jours à vélo en Laponie jusqu’au Cap Nord. « J’ai encore une petite perte de sensibilité au niveau d'un pied, nous a avoué le Lyonnais de 48 ans lorsque nous l’avons interviewé 15 jours plus tard. En même temps, après avoir fini la Race across America (RAAM) en 2015, j’ai mis six mois à récupérer toute la sensibilité de mes doigts. »
Le décor est posé : les (rares) amateurs d’ultra-cycling, discipline dont on ne connaissait même pas l’existence avant de rencontrer Arnaud Manzanini, repoussent les limites comme peu de sports extrêmes. Rien ne semblait prédestiner notre interlocuteur à pareille aventure de maboule. Passé par le sport-études de Gueugnon en football, celui-ci ne prend sa première licence de cyclisme sur route qu’à 19 ans. Suivent six années « classiques » au niveau élite amateur, avec un statut de sportif de haut niveau en parallèle d’un DUT techniques de commercialisation. Avec son profil de rouleur, Arnaud Manzanini remporte des courses régionales, avant de se consacrer pleinement, à partir de 1998, à sa carrière professionnelle dans la gestion d’agences immobilières.
La Race across America, une institution depuis quarante ans aux Etats-Unis
Jusque-là, rien ne peut justifier sa présence un jour dans notre rubrique Hors-terrain, puisqu’il délaisse même pour de bon le vélo pendant onze ans. Une hernie inguinale, en juin 2009, le pousse à se remettre en selle sur les conseils de médecins. Le déclic a lieu quelques mois plus tard, à 37 ans, lorsqu’il découvre, « totalement par hasard sur Internet », l’existence de la traversée à vélo des Etats-Unis.
N’importe quel cycliste sur route se serait contenté de sourire en voyant des images de cette fascinante Race across America (RAAM), qui relie depuis 1982 Los Angeles à Washington. Sauf Arnaud Manzanini, qui tente sa première RAAM avec un ami en 2013, et boucle les 4.833 km (60.000 m de D +) en huit jours et 15 heures. Notre gaillard change de dimension en 2015 en réalisant à nouveau ce défi XXL en onze jours, mais cette fois en solo, ce qui en fait la meilleure performance jamais réalisée par un Français livré à lui-même sur la RAAM.
Le Covid-19 a eu raison de son tour du monde en 2020
« La préparation physique et psychologique prend des dimensions herculéennes là-bas, explique le Lyonnais. Je n’avais aucune expérience en ultra mais j’avais un mental hors normes et un engagement total. » On le croit volontiers, d’autant plus en se plongeant dans son livre Rêves across America, publié en décembre 2018, dans lequel il raconte son aventure de l’intérieur. Il poursuit parallèlement un autre rêve : lever suffisamment de fonds pour organiser en 2020 un tour du monde.
Après les 80 jours de Jules Verne, Arnaud Manzanini vise alors de son côté le cap des 120 jours (avec seulement quatre liaisons incontournables en avion), pour s’offrir le record du monde sans assistance. Vous vous en doutez de la suite : le Covid-19 repousse son rêve. Mais ne comptez pas sur lui pour se morfondre et se contenter de quelques séances par-ci par-là sur son home-trainer.
Une défaillance dans les Alpes le conduit à planifier la Laponie en plein hiver
Non, l’ultra-cycliste opte pour un tour de France en 2020 par les côtes et frontières, soit 5.000 km parcourus en moins de 21 jours. « On avait beau être en plein mois de juin, j’ai quasiment eu une crise d’angoisse dans le col de la Bonette (Alpes de Haute-Provence) tellement le froid m’a tétanisé. Je me suis alors dit qu’il fallait que je me confronte à cette faiblesse. Et puisque je ne pouvais toujours pas faire mon tour du monde, pourquoi ne pas monter sur le toit de l’Europe ? »
Comprendre le Cap Nord (Norvège), et tant qu’à faire en plein hiver, en janvier 2021. Avec au menu de sympathiques températures dans toute la Laponie, entre -5 et -35 °C. Avec le recul, ça ne manque pas de faire sourire Arnaud Manzanini.
Ça donne un ressenti régulièrement à -45 °C, ce qui fait 95 °C d’écart avec les 50 °C que j’ai connus en Arizona ou dans l’Utah sur la RAAM. Je n’ai aucune préférence : les deux contextes agressent tout autant. »
Un contrôle de tous les instants de sa température corporelle
Pour résister à cette « agression » en mode Into the Wild, tout y passe : masque, cagoule, chaussettes chauffantes, entre trois et quatre couches de fringues en laine mérinos et Gore-tex, mais aussi un sac de trail placé contre lui pour empêcher sa réserve d’eau de geler. Et de succulentes graisses de noix ou d’amande comme festin quotidien. Mais jusque dans le grand froid, le Covid-19 change les plans d’Arnaud Manzanini, puisque en janvier 2021, il ne peut pas traverser à sa guise les frontières entre Norvège, Finlande et Suède, et il doit y respecter un couvre-feu. Il se contente donc de parcourir « seulement » 800 km en sept jours, davantage rythmés par sa température corporelle que par sa vitesse (de 16 à 18 km/h en moyenne).
« Quand tu as droit à toute une journée à -30 °C, tu ramasses vraiment, confie-t-il. Plus tu veux aller vite, et plus tu perds du temps. J’avais un capteur pour connaître en permanence ma température. Je devais bien entendu éviter l’hypothermie, mais si je montais au-dessus de 37,6 °C, je transpirais. Les gouttes de sueur se transformaient donc immédiatement en cristaux dans mon casque, je ne voyais plus rien et je me gelais très vite dans tout mon corps. Il fallait alors que je me trouve un éleveur de rennes chez qui changer mes habits. » CQFD.
« Seul l’instinct de survie était toujours là »
Coincé par les exigeantes règles liées au Covid-19, l’athlète rhodanien doit revenir en Scandinavie en janvier 2022 pour reprendre son itinéraire là où il s’était arrêté un an plus tôt. Et ainsi atteindre ce fameux Cap Nord sur son vélo très spécial à pneus équipés de 350 clous chacun. Un bouquet final de 700 km d’autant plus savoureux que la température moyenne est de -30 °C pendant les six jours, avec en bonus track des rafales de vent à 120 km/h qui le font chuter à trois reprises de son vélo. Arnaud Manzanini n’a aucun mal à comprendre que son initiative est en tout point « hors normes », surtout à cette période de l’année : il n’a croisé aucun cycliste pendant ces 13 jours de North Calling, en 2021 et 2022.
« Pas mal de gens s’arrêtaient en voiture, mais seulement pour me dire que c’était trop dangereux et qu’il fallait que je m’arrête, indique-t-il. Je me suis clairement plus fait engueuler qu’encourager là-bas. » Le Lyonnais dépense entre 6.000 et 7.000 calories chaque jour, pour agrémenter ce projet sous le signe du dépassement de soi et du sens de l’adaptation dans un environnement hostile, puisqu’il a parcouru l’intégralité des 1.500 km sur une épaisse couche de neige. Arnaud Manzanini reconnaît aisément que ces 13 jours tournaient le plus souvent à la galère.
Je ne prends du plaisir que dans l’aboutissement de ce projet. Seul l’objectif final de l’arrivée au Cap Nord, après deux ascensions de 6 km à 9 %, permet d’avancer. Le cerveau et la mémoire déconnectent et sur certaines journées, je n’ai plus en tête que des flashs. Je me rendais compte que je ne pouvais plus rien intellectualiser. Je n’étais pas du tout dans le délire de faire un record, seul l’instinct de survie était toujours là. »
« On en est aujourd’hui là où était l’ultra-trail il y a quinze ans »
Un état d’esprit qu’il partage avec la plupart de ses invités sur les podcasts Ultra Talk et Dans la tête d’un cycliste qu’il anime. Par ce biais, il fait tout pour mettre en valeur sa passion. Il est également l’organisateur de quatre courses d’ultra-distance en Europe, dont la Race across France qu’il a créée (5e édition les 18 et 28 juin), avec 2.500 km à parcourir du Touquet à Mandelieu.
Un événement qui est passé depuis 2018 de 43 à 1.300 participants, preuve de l’engouement grandissant autour de ce sport extrême. « On en est aujourd’hui là où était l’ultra-trail il y a quinze ans, résume Arnaud Manzanini. On parle d’ailleurs le même langage que les ultra-traileurs. On sait un peu plus qui on est grâce à ce type d’aventure, qui nous sort de l’hystérie collective dans laquelle on se trouve parfois. » OK, Alexander Supertramp.