Le nageur paralympique Théo Curin part « dans l’inconnu » avec son « exceptionnel » défi Titicaca

HORS-TERRAIN Accompagné de l’ex-nageuse professionnelle Malia Metella et de l’éco-aventurier Matthieu Witvoet, le sportif paralympique de 21 ans va entamer à la nage, le 10 novembre, les 108 km du lac Titicaca, situé à 3.800 m d’altitude

Jérémy Laugier
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Le trio d'aventuriers à bord de son embarcation de 450 kg, ici en juillet dernier sur le lac de Matemale (Pyrénées-Orientales).
Le trio d'aventuriers à bord de son embarcation de 450 kg, ici en juillet dernier sur le lac de Matemale (Pyrénées-Orientales). — Andy Parant
  • Chaque jeudi, dans sa rubrique « hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
  • Cette semaine, nous nous consacrons à « l’exceptionnel » défi Titicaca pensé par Théo Curin : 108 km à la nage à 3.800 m d’altitude, le tout en tractant une embarcation de 450 kg.
  • Amputé des quatre membres, le nageur paralympique de 21 ans commence cette folle aventure le 10 novembre, entre le Pérou et la Bolivie, aux côtés de l’ex-nageuse pro Malia Metella et de l’éco-aventurier Matthieu Witvoet.

Cent ans après la naissance de Georges Brassens, Théo Curin, Malia Metella et Matthieu Witvoet vont rejouer Les copains d’abord. Indirectement, grâce au Comité international paralympique (CIP). Amputé des quatre membres après une méningite foudroyante à l’âge de 6 ans, Théo Curin avait en effet perdu tout espoir d’aller décrocher un titre aux récents Jeux paralmpiques de Tokyo : « Je me suis entraîné comme un malade pendant huit ans et d’un coup, avec de nouvelles classifications de handicaps, je me retrouvais face à des nageurs ayant leurs deux mains. » Lui vient alors l’idée folle, pendant le premier confinement, « de lancer un challenge jamais fait » : traverser le majestueux lac Titicaca, partagé entre le Pérou et la Bolivie.

Le vice-champion du monde paralympique en 100 m et 200 m nage libre en 2017 à Mexico se met alors en tête de réussir « une aventure partagée à trois et pas seulement un défi sportif ». Arrivé mercredi à La Paz (Bolivie), il va donc tenter de parcourir à la nage, durant une dizaine de jours, les 108 km de traversée en totale autonomie de la longueur du lac Titicaca, le tout en traînant un innovant radeau de 450 kg, dans une eau à 10°C et à une altitude de 3.800 m. Un incroyable défi jamais réalisé. « Cela signifie 40 % d’oxygène en moins », indique Matthieu Witvoet, éco-aventurier de 27 ans, qui a accepté de rejoindre le projet de Théo Curin durant l’été 2020, tout comme Malia Metella, médaillée d’argent du 50 m nage libre aux JO-2004.

« Comment va-t-on aller aux toilettes ? »

« Je n’avais plus nagé du tout depuis 11 ans et Théo voulait me faire sortir de ma retraite, se marre la Guyanaise de 39 ans. Quand j’ai accepté sa proposition en une heure, je n’avais aucune idée d’où j’allais, mais la dimension d’aventure et les valeurs pour lesquelles se bat Théo m’ont tentée. J’ai quand même aussitôt eu deux réflexions : comment va-t-on aller aux toilettes, et vais-je pouvoir garder la coupe afro que je laisse pousser depuis trois ans ? »

Matthieu Witvoet, Théo Curin et Malia Metella (désormais sans sa coupe afro), se sont souvent retrouvés durant un an afin de préparer au mieux ce défi Titicaca.
Matthieu Witvoet, Théo Curin et Malia Metella (désormais sans sa coupe afro), se sont souvent retrouvés durant un an afin de préparer au mieux ce défi Titicaca. - Andy Parant

Durant sa préparation, l’ancienne nageuse professionnelle, désormais salariée chez l’assureur Allianz, a essayé d’adapter son corps au froid en dormant souvent la fenêtre ouverte. Les trois complices se sont surtout habitués à nager deux fois par mois en eau froide à la base nautique de Longueil-Sainte-Marie (Oise), tout en multipliant les stages en altitude, à Font-Romeu (1.800 m, en janvier et octobre 2021), en bivouac au bord du lac de Tignes (en février), où ils ont appris à nager en eau glacée aux côtés de l’explorateur polaire Alban Michon, sur le lac d’Annecy (en avril), où le trio a tracté pour la première fois une embarcation, puis sur le lac de Matemale (en juillet) avec le radeau définitif.

Une configuration à trois nageurs en même temps trop complexe

A savoir donc 450 kg à tracter à l’aide d’une ceinture, plus le poids de deux des trois nageurs, si on s’en tient à « la configuration optimale » souhaitée par le défi Titicaca. Cela n’était pas le souhait initial de Théo Curin (21 ans), qui en tant que membre de la Team EDF, s’est tourné vers la société spécialisée en innovation pour se charger de la conception de ce radeau, avec un budget total pour ce défi à hauteur de 350.000 euros, financé aussi en partie par Unilever, Tikehau et Simmons.

Amputé de ses quatre membres à l'âge de 6 ans, Théo Curin va entamer le 10 novembre une aventure inédite sur le lac Titicaca.
Amputé de ses quatre membres à l'âge de 6 ans, Théo Curin va entamer le 10 novembre une aventure inédite sur le lac Titicaca. - Andy Parant

« Pour lui, sa vision à la vie à la mort, c’était de nager tous les trois en même temps, confie Olaf Maxant, responsable de la performance à la direction de l’innovation d’EDF. Mais ça allait être difficile de synchroniser les efforts à trois. Après plusieurs essais, il valait mieux privilégier une rotation avec un seul nageur à la fois. »

« Ce n’est pas «Koh-Lanta», on a une tente cinq étoiles »

Après un an de tests et cinq salariés mobilisés, EDF s’est appuyé sur des matériaux de récupération comme deux coques de catamaran pour finaliser l’embarcation, qui compte bien des toilettes, mais aussi une tente, trois matelas, et un espace cuisine avec réchaud à gaz, pour la nourriture et pour réchauffer le trio d’aventuriers. « Ils ne vont pas prendre une douche au sens où on l’entend, mais chauffer de l’eau pour que celui qui vient de nager pendant une heure puisse immédiatement tremper pieds et mains dedans sera essentiel, explique Olaf Maxant. Durant nos premiers essais, on a constaté qu’ils étaient frigorifiés en sortant de l’eau et qu’ils n’arrivaient même pas à enlever leur combinaison. »

Un confort relatif qui pousse Malia Metella à cette remarque : « Ce n’est pas Koh-Lanta, on a une tente cinq étoiles et un grand chef, Juan Arbelaez, nous a même préparé des plats lyophilisés ». A partir du 10 novembre sur le lac Titicaca, l’objectif quotidien est donc le suivant : six créneaux d’une heure de nage à 2 km/h de moyenne, soit deux heures par nageur chaque jour, et 12 km réalisés. Théo Curin résume la complexité du défi.

Entre le froid et l’altitude, on accumule les difficultés. Dans notre carrière, Malia comme moi, on calcule tout au centième de seconde près et là, on découvre le fait de partir dans l’inconnu. »

« Matthieu est le plus fou d’entre nous »

Perçu comme « le cerveau de la bande » (dixit Théo Curin), Matthieu Witvoet est d’ailleurs là pour rassurer les deux nageurs de haut niveau sur cette dimension d’inconnu. « Matthieu est le plus fou d’entre nous, sourit d’ailleurs Malia Metella. Théo et lui sont prêts à nager de nuit s’il le faut. » Le jeune éco-aventurier, qui travaille dans un cabinet de conseil en économie circulaire en région parisienne, apporte depuis le début du projet son « expérience sur la préservation de l’environnement ». Tous les trois se sont justement attribué des missions, avec également la partie santé pour Matthieu, les contenus vidéo pour Théo en vue de la réalisation d’un documentaire, et la gestion de l’itinéraire pour Malia.

Malia Metella, Théo Curin et Matthieu Witvoet vont devoir faire face, durant une dizaine de jours, au froid et à l'altitude qui rendent leur aventure extrêmement périlleuse.
Malia Metella, Théo Curin et Matthieu Witvoet vont devoir faire face, durant une dizaine de jours, au froid et à l'altitude qui rendent leur aventure extrêmement périlleuse. - Andy Parant

Un petit moteur alimenté par des panneaux photovoltaïques a dû être installé pour leur permettre de revenir chaque matin au point GPS de la balise de la veille au soir, le radeau étant amené à dériver de plusieurs kilomètres chaque nuit avec le vent. Après l’expédition, l’embarcation du défi bénéficiera à plusieurs associations locales en vue de favoriser la préservation de la biodiversité dans la région, et de favoriser un système de collecte de déchets pour éviter la pollution du lac Titicaca et de l’île du Soleil sacrée.

« Ce défi humain montre que l’aventure est ouverte à tous »

« Les Péruviens et les Boliviens vont super bien nous accueillir et on veut laisser un héritage là-bas », résume Théo Curin. Avant cet épilogue idéal, le trio d’aventuriers doit s’enquiller les quelque 108 km de traversée entre Copacabana (Bolivie) et Puno (Pérou). Olaf Maxant se penche à son tour sur la complexité de cette aventure inédite.

Hormis peut-être la traversée de l’Atlantique à la rame, on n’a pas trouvé d’effort équivalent, tant pour la durée, l’altitude, le froid et les 450 kg de l’embarcation à traîner. Surtout quand on prend en compte la situation de handicap de Théo. Cet exceptionnel défi humain montre que l’aventure est ouverte à tous. Je n’ai pas de doute : ils vont réussir. »

« On a tous les trois des capacités mentales énormes, confirme Théo Curin. Heureusement car on sait qu’on sera cuits au bout du deuxième jour avec ces efforts à 3.800 m d’altitude. Pour moi, aller au bout de cette aventure aurait autant de valeur qu’une médaille sur des Jeux paralympiques. »

Matthieu Witvoet a beau avoir traversé il y a deux ans les 16 km du détroit de Gibraltar, il reconnaît que : « l’idée de Théo m’a immédiatement fait rêver et ce sera dur de trouver un défi plus dur derrière. On va faire face à des limites qu’on n’a jamais touchées, moi y compris, donc on n’est pas à l’abri de tous péter un câble à un moment ». Malia Metella, qui souffre actuellement d’une hernie discale, conclut : « Nous ne sommes pas là pour signer une performance mais pour aller d’un point A à un point B, tout en restant vivants ». Limpide.