Attentats en Norvège: les jeux vidéo, une nouvelle fois sur la sellette
Une semaine après le massacre d’Oslo, une chaîne de magasins norvégienne, Coop Norway Retail, a décidé de retirer de la vente une cinquantaine de jeux (dont World of Warcraft et Call of Duty: Modern Warfare2), parce que l’auteur du massacre du 22 juillet, Anders Behring Breivik, y jouait (comme des millions d’autres européens). Pourtant, si l’homme a reconnu dans un «manifeste» de 1.500 pages avoir joué à certains jeux, il a précisé que ceux-ci lui servaient surtout d’alibis pour cacher à ses amis ses véritables activités.
Geir Inge Stokke, le directeur de Coop Norway Retail, a expliqué sa décision à l’AFP: «Il s'agit d'épargner des gens qui, d'une manière ou d'une autre, ont été touchés par les actes terroristes. Nous ne voulons pas qu'en allant acheter du pain et du lait, ils tombent nez-à-nez avec des jeux violents dans nos magasins.» Une mesure qui ne plaît pas aux joueurs norvégiens, qui déplorent un amalgame et dénoncent une stigmatisation de leur activité.
A l’instar de Yann Leroux, psychanalyste et spécialiste des jeux vidéo: «Si l’idée c’est de dire que les jeux vidéo violents sont responsables (de son acte, ndlr), on va un peu vite.» Selon lui, si des officiels ou les médias, comme TF1, ont rapidement mis en avant cette activité de l’extrémiste après les attaques, c’est «parce que c’est plus commode de penser que l’on a trouvé un responsable». Grâce à cela, «les choses paraissent beaucoup plus simples», déplore-t-il.
«Jouer avec la violence, c’est tout autre chose qu’être violent»
Pour ce spécialiste, agacé par cet éternel débat sur les jeux vidéo et les comportements violents, c’est indéniable, jouer n’est pas tuer: «Les jeux violents n’entraînent pas les conduites violentes, point.» En 2007, une étude de la sociologue Karen Sternheimer allait déjà dans ce sens. Et avant elle, Christopher Ferguson, chercheur de l'Université Internationale A&M du Texas, avait comparé et confronté 25 études sur les effets des jeux vidéo violents. Les résultats globaux de son analyse «ont montré que bien que les jeux vidéo violents semblent accroître les pensées agressives des gens, les jeux violents ne semblent pas accroître les comportements violents», avait-il écrit. Par ailleurs, une étude plus récente, publiée en avril dernier par d’autres chercheurs américains et européens, conclut que le jeu vidéo violent serait utilisé comme un défouloir pour canaliser une violence interne. L’étude montre même qu’il y aurait un lien entre utilisation de jeux vidéo violents et baisse du taux de criminalité aux Etats-Unis…
«Jouer avec la violence, c’est tout autre chose qu’être violent», renchérit Yann Leroux. Selon lui, «dans les jeux dits violents, ce qui intéresse ce n’est pas l’hémoglobine, ce sont les stratégies, les exploits individuels, un peu comme aux échecs. On reste dans cet espace de jeu». Il précise qu’il faudrait «des conditions extraordinaires pour qu’il existe un lien avec le réel». Il en va de la personnalité, de l’état d’esprit de chacun.
Le psychanalyste va même plus loin en expliquant que l’âge moyen des gamers se situe aujourd’hui autour de la trentaine, et affirmant fermement qu’ «on peut être un très bon père de famille tout en étant une brute épaisse sur le champ de bataille virtuel».
«Un moyen extraordinaire pour développer l’imaginaire»
Au contraire, Yann Leroux considère les jeux vidéo comme un «objet de culture», au même titre que les livres ou les films, et dont la «spécificité réside dans l’interactivité avec l’image». Pour lui, c’est un moyen «extraordinaire pour développer l’imaginaire, être en contact avec l’histoire dans des jeux comme Age of Empire ou encore des jeux en rapport avec la conquête spatiale». On peut même y voir un aspect éducatif dans certains cas.
Le spécialiste rappelle que les thèmes violents se retrouvent par ailleurs autant dans les livres et les films. «Au départ on avait une crainte de certains livres, qui ont été interdits. Il y a même eu une levée de boucliers contre les comics, jugés trop violents, et les jeux de rôles il y a quelques années, et maintenant on les a oubliés (…) Le jeu vidéo a encore l’éclat du neuf», pense-t-il. D’ailleurs il estime que ce qui effraie peut-être certaines personnes à l’heure actuelle, «c’est qu’on ne sait pas vraiment ce qu’il y a [dans ces jeux]. On imagine sans doute qu’on passe son temps à courir avec une arme dans des couloirs sombres».
Mais Yann Leroux est confiant: «Les choses vont se lisser petit à petit, comme pour le reste, il faut se donner du temps. On a déjà les Cahiers du jeu vidéo, clin d’œil aux Cahiers du cinéma». Il garde ainsi bon espoir que dans le futur le jeu vidéo ne soit plus un bouc-émissaire, utilisé à tort et à travers pour expliquer l’incompréhensible.